Afghanistan. Une vie au service des droits humains

La semaine dernière, le prix Simurgh pour les droits humains a été décerné à Horia Mosadiq, spécialiste de l’Afghanistan à Amnesty International, par la fondation Arman Shahr. Chaque année, il récompense un défenseur des droits humains qui s’est particulièrement illustré en Afghanistan. Horia Mosadiq nous livre ses réflexions sur ce qui l’a amenée à devenir militante et sur l’avenir des droits humains dans son pays.

Dès le début de ma vie, j’ai connu la guerre. Je suis née en 1973, quelques années seulement avant l’invasion de l’Afghanistan par l’Union soviétique, qui a déclenché plusieurs décennies d’un conflit avec lequel mon pays est toujours aux prises aujourd’hui. J’ai parfois l’impression de n’avoir connu que des violations des droits humains et des atrocités depuis que je suis enfant. Mais c’est aussi le fait d’être le témoin direct de cette injustice qui m’a conduite au militantisme.

Je n’oublierai jamais le matin du 27 avril 1978 : la révolution communiste de Saur a eu lieu et ma vie a changé définitivement. À Hérat, ma ville d’origine (située dans l’ouest de l’Afghanistan), nous nous sommes réveillés au son des fusillades. C’était la première fois de ma vie que je voyais mes parents apeurés. Mon père, qui travaillait pour l’État, a passé des heures à écouter la radio dans l’attente d’une annonce officielle. En l’entendant, il a pâli. « Il y a eu un coup d’État », a-t-il indiqué à ma mère.

À partir de ce moment, mon père n’a pratiquement plus quitté la maison. Plus de visites d’amis, de soirées ni de lectures de poèmes. Les discussions politiques, qui occupaient auparavant une bonne partie de nos dîners, ont aussi cessé. La nuit, mon père éteignait la lumière et écoutait la BBC en secret, craignant que quelqu’un le surprenne et le dénonce.

Constater les effets de la répression à un âge aussi précoce, c’était effrayant. Je me demandais souvent pourquoi il était dangereux d’écouter la radio. Pourquoi des gens étaient tués parce qu’ils s’étaient exprimés ouvertement ou avaient soutenu tel ou tel parti.

Horia Mosadiq

Constater les effets de la répression à un âge aussi précoce, c’était effrayant. Je me demandais souvent pourquoi il était dangereux d’écouter la radio. Pourquoi des gens étaient tués parce qu’ils s’étaient exprimés ouvertement ou avaient soutenu tel ou tel parti.

Lorsque l’armée soviétique a envahi l’Afghanistan, en 1979, le pays a sombré dans la guerre civile. Les moudjahidin – appuyés par l’Arabie saoudite, les États-Unis et d’autres pays occidentaux – sont entrés en résistance et ont combattu l’Armée rouge. Les deux camps ont commis des atrocités. Au début des années 1970, l’Afghanistan était un pays relativement moderne mais, dans les années 1980, il y a eu une montée du conservatisme et les femmes ont été de plus en plus réprimées.

J’ai de nombreux souvenirs – mauvais pour la plupart – de cette période, pendant laquelle l’Afghanistan a glissé progressivement vers le chaos. J’ai vu mon père payer des commandants des moudjahidin pour qu’ils ne fassent pas de mal à ses enfants au seul motif qu’ils allaient à l’école. Il a démissionné de la fonction publique car il ne pouvait plus continuer à travailler pour un régime qui violait les droits humains de façon aussi manifeste. Mes camarades masculins ont été enrôlés de force dans l’armée dès l’âge de 16 ans. La guerre a fait des victimes parmi les élèves et les étudiants, les enseignants, les fonctionnaires mais aussi les Afghans ordinaires.

À l’école, j’ai commencé à dénoncer les politiques du gouvernement soutenu par la Russie, jusqu’à ce qu’un de mes professeurs me prenne à part pour me dire que mes opinions pouvaient me coûter ma scolarité, ma liberté, voire davantage.

Lorsque les Soviétiques ont quitté l’Afghanistan, en 1989, il n’a pas fallu longtemps pour que le régime s’effondre. Les moudjahidin se sont emparés du pouvoir en 1992, ouvrant ainsi l’une des pages les plus sanglantes de notre histoire. Kaboul, où je vivais avec ma famille, était quotidiennement la cible de pilonnages et d’attaques de factions rivales des moudjahidin qui se disputaient le pouvoir. Des dizaines de milliers de civils ont trouvé la mort. En 1993, mon pire cauchemar est devenu réalité : une roquette s’est abattue sur notre maison et mon frère a été tué.

Lorsque les talibans ont pris le contrôle de l’Afghanistan, en 1996, ils ont été bien accueillis par de nombreux Afghans lassés de la guerre, qui ne souhaitaient rien d’autre que la paix et la stabilité. Mais au lieu de cela, la répression s’est durcie. Un jour, j’ai été passée à tabac par un policier chargé de la promotion de la vertu et de la prévention du vice parce que j’avais soulevé ma burqa pour regarder un morceau de tissu.

En 1995, je me suis réfugiée au Pakistan avec ma toute jeune famille. Là, j’ai travaillé comme journaliste pour une agence de presse internationale. À maintes reprises, j’ai dénoncé les atrocités commises par les talibans et d’autres groupes armés.

Après l’invasion conduite par les États-Unis, qui a abouti au renversement du régime en 2001, je suis rentrée dans mon pays. J’ai poursuivi ma carrière de journaliste ; je rassemblais des informations sur les atteintes aux droits humains perpétrées par les chefs de guerre et les commandants des moudjahidin qui continuaient d’opérer au vu et au su de tous. Nombre d’entre eux avaient obtenu une légitimité de façade et faisaient même partie du nouveau gouvernement. Malgré les innombrables menaces que j’ai reçues, je n’ai jamais abandonné mon combat pour la vérité.

J’ai créé le premier réseau pour les victimes de la guerre en Afghanistan afin de donner aux rescapés la possibilité de raconter leur histoire dans des médias locaux et j’ai organisé des manifestations pour réclamer la vérité et la justice.

Mais mon militantisme a déclenché la colère des mauvaises personnes. Entre 2006 et 2008, les menaces pesant sur ma vie ont connu une véritable escalade, ce qui a rapidement eu des répercussions sur ma famille. Mon mari a été la cible de tirs, mes enfants ont failli être enlevés trois fois et il y a eu deux effractions à mon domicile. Il était devenu trop dangereux pour moi de rester à Kaboul alors, en 2008, j’ai été évacuée avec l’aide d’Amnesty International, organisation pour laquelle j’ai fini par travailler.

Aujourd’hui, je suis installée à Londres mais je retourne fréquemment en Afghanistan. Lorsque je prends l’avion pour Kaboul, je ne suis jamais certaine de revoir mon mari et mes enfants. Mais malgré toutes les épreuves qu’ils ont dû traverser à cause de mon travail, ils m’ont toujours soutenue.

Je continuerai de lutter aussi longtemps que je pourrai pour que la situation s’améliore en Afghanistan. J’estime que les Afghans méritent un avenir meilleur, dans lequel leurs droits humains seraient respectés et protégés, et je n’abandonnerai pas tant que ce rêve ne se sera pas réalisé. Le prix Simurgh pour les droits humains que l’on m’a décerné aujourd’hui symbolise la reconnaissance de mon travail et de celui d’Amnesty International mais il est aussi dédié aux femmes et aux hommes courageux d’Afghanistan et du monde entier qui partagent le même rêve.