Une jeune fille brillante qui ne peut pas s’inscrire au lycée, une adolescente qui se brûle avec de l’huile et est refusée à l’hôpital, une femme de ménage sur le point de perdre le seul revenu qui lui permet de faire vivre sa famille, un militant des droits humains qui n’est pas autorisé à sortir de sa ville.
Voici quelques exemples parmi les dizaines de milliers de Dominicains qui ne peuvent exercer leurs droits fondamentaux depuis une décision de 2013, qui a privé de nationalité toute personne née depuis 1929 de parents ou de grands-parents étrangers sans papiers.
Sans papiers, ces citoyens « fantômes » n’ont plus accès aux services de base tels que l’éducation et la santé, et n’ont pas la possibilité de gagner leur vie décemment.
Merida, 42 ans, est l’une d’entre eux. Elle est née en République dominicaine de parents haïtiens qui n’ont pas obtenu de certificat lors de sa naissance parce qu’ils n’avaient pas de papiers eux-mêmes. Merida souffre d’un problème cardiaque ; à chaque visite chez le médecin, elle se voit refuser tout traitement au motif qu’elle n’a pas de papiers d’identité. Elle achète des médicaments en se servant de l’ordonnance d’un ami qui a une pathologie similaire. Toutefois, Merida pense qu’elle a besoin de changer de traitement en raison des effets secondaires de ces médicaments.
D’un coup de crayon, les autorités de République dominicaine ont rayé de la carte quatre générations de Dominicains.
Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International
L’action des autorités n’est pas suffisante
Les autorités dominicaines affirment qu’elles ont déjà pris des mesures suffisantes afin de résoudre le problème et que personne n’est privé de nationalité dans le pays. Pourtant, des recherches menées par Amnesty International prouvent le contraire.
Le rapport montre que la solution apportée par les autorités à ce problème – un programme de six mois qui a expiré le 1er février 2015 – s’est avérée inefficace pour beaucoup, qui n’ont toujours pas la possibilité d’obtenir la nationalité à laquelle ils ont droit.
Des centaines de personnes affirment n’avoir jamais reçu d’informations sur ce programme et n’avoir appris son existence qu’après son expiration. Pour beaucoup, la liste des documents à fournir était impossible à rassembler. Dans certains cas, on leur demandait de présenter un certificat légal de la sage-femme présente lors de leur naissance, ou la déclaration écrite de sept témoins pouvant témoigner qu’elles étaient bien nées dans le pays.
Prétendre que le problème n’existe pas ne le fera pas disparaître.
Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International
Cette situation me touche en tant que personne, sur un plan psychologique.
Adonis Peguero Louis, né en République dominicaine en 1994 de parents haïtiens
Contrainte de travailler comme une esclave
Marisol (son nom a été modifié) est une jeune femme née en République dominicaine d’origine haïtienne. Ni elle ni ses frères et sœurs n’ont été enregistrés à leur naissance, car leurs parents n’avaient pas de papiers officiels. Lorsqu’ils sont morts, Marisol avait 10 ans et n’a eu d’autre choix que de travailler comme domestique dans une famille aisée, à Saint-Domingue.
La famille, qui avait pourtant promis de l’envoyer à l’école, l’a obligée à travailler 15 heures par jour. Ils la battaient et ne la laissaient jamais aller à l’école. Elle n’a pas pu s’inscrire au programme de naturalisation : lorsqu’elle a appris son existence, il avait déjà expiré. La famille dans laquelle elle travaille aujourd’hui comme femme de ménage menace de la renvoyer, craignant d’éventuelles sanctions liées à l’emploi d’une personne sans papiers. Sans papiers, Marisol ne peut pas non plus enregistrer ses enfants à l’état civil.
J’espérais que mes enfants auraient un meilleur avenir, mais sans papiers d’identité ce ne sera pas possible.
Une jeune Dominicaine d’origine haïtienne
Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International, a déclaré :
« Les autorités en République dominicaine doivent trouver sans plus attendre une solution durable à cette crise. Elles doivent d’ores et déjà mettre en place une procédure simple et accessible, sans limite de temps, permettant d’accorder la nationalité dominicaine à tous ceux qui en sont privés depuis la décision rendue en 2013. »