Ukraine : l’impunité règne pour les membres de groupes d’autodéfense pro-Kiev auteurs d’enlèvements et de mauvais traitements

Dans l’est de l’Ukraine, les lignes de front ne cessent de bouger ces derniers mois, depuis que des séparatistes pro-russes ont pris le contrôle effectif de plusieurs villes stratégiques de la région. Les forces ukrainiennes sont engagées depuis plusieurs mois dans une offensive visant à rétablir l’autorité du pouvoir central de Kiev sur les zones tenues par les séparatistes pro-russes. Ces opérations ne sont pas nécessairement suivies du retour à une situation de droit. Dans le cadre plus général de la dégradation des conditions de sécurité dans l’est du pays, Amnesty International a récemment fait part aux autorités ukrainiennes de son inquiétude concernant les agissements d’Oleg Liachko, un député à l’attitude particulièrement inacceptable, qui place en « détention » – enlève, en réalité – et maltraite des personnes dans toute la région. À la tête du Parti radical d’Ukraine, Oleg Liachko est membre du Parlement ukrainien et a été candidat aux dernières élections présidentielles. Il se déplace en compagnie de jeunes hommes musclés, armés et revêtus de treillis, une caméra omniprésente filmant ses « exploits ». Les images disponibles sur son site internet font froid dans le dos. On y voit Oleg Liachko pénétrant dans des lieux publics ou privés, toujours escorté d’hommes en armes, pour ensuite enlever des personnes ou les contraindre à exécuter ses ordres. Oleg Liachko est censé être un législateur. Il a toutefois décidé de faire régner sa propre loi. La formule « Gloire à l’Ukraine, mort aux occupants » lui sert de cri de ralliement. Il n’a pas le droit de procéder à des arrestations. Pourtant, il se livre à des enlèvements et n’hésite pas à maltraiter ses victimes, aussi bien verbalement que physiquement, devant sa propre caméra. Son site, comme d’autres, propose de nombreuses vidéos montrant des enlèvements et des atteintes aux droits à un procès équitable, à la liberté et à la sécurité, ainsi qu’au droit de ne pas être soumis à la torture ou à toute autre forme de mauvais traitement. En mai 2014, Oleg Liachko et ses sbires ont enlevé deux hommes, que l’on peut voir dans une vidéo assis à l’arrière d’une fourgonnette, une cagoule sur la tête et les bras attachés. Leurs ravisseurs leur retirent leurs cagoules et Oleg Liachko commence à interroger l’un d’eux, qui se présente comme étant Igor Khakimzianov, ancien « ministre de la défense » de la république populaire autoproclamée de Donetsk. L’homme est en sous-vêtements. Il est visiblement blessé à deux endroits et il saigne. Une autre vidéo, datée du 10 mars dernier, montre Oleg Liachko en train d’enlever un membre du conseil régional de Lougansk, Arsen Klintchaïev, dans un bureau de cette même ville. Plusieurs des hommes armés qui l’accompagnent maintiennent le conseiller au sol et le traînent jusqu’à un véhicule, où il est ensuite soumis à un interrogatoire. Torse nu, menotté, il paraît manifestement choqué. Après avoir roulé un certain temps, le véhicule revient au siège du conseil régional. Là, Oleg Liachko injurie et menace Arsen Klintchaïev, en lui disant notamment qu’il fera 15 ans de prison s’il ne lui obéit pas. Trois autres vidéos, apparemment datées du 8 juillet, mettent de nouveau en scène Oleg Liachko dans sa campagne de violence, d’intimidation et d’enlèvement. Dans l’une d’elles, il oblige le maire de Slaviansk à écrire une lettre de démission « volontaire ». Ce dernier résiste de manière évidente et le parlementaire ukrainien le menace à un moment de le jeter par la fenêtre du quatrième étage. Le maire finit par céder. Dans une deuxième vidéo, Oleg Liachko menace de tuer le procureur local ou le chef de la police de Slaviansk, à qui il reproche de ne pas avoir arrêté Vitali Rybalko, soupçonné d’être l’un des chefs de file des séparatistes pro-russes. Le chef de la police lui donne l’adresse privée de Vitali Rybalko, puis on le voit pénétrant avec ses hommes armés chez ce dernier, qu’il enlève et conduit devant le policier. Une troisième vidéo montre Oleg Liachko en train d’interroger un homme de 62 ans dont l’identité ne peut être établie, car il a un sac en plastique sur la tête. Les mains du prisonnier sont attachées à ses jambes avec du ruban adhésif et il est maintenu dans cette position inconfortable dans un lieu impossible à identifier. Oleg Liachko l’interroge sur ses liens avec les séparatistes, qu’il dément. L’une des vidéos les plus récentes mises en ligne sur le site d’Oleg Liachko, un reportage télévisé filmé le 27 juillet, le montre avec quatre hommes armés en train d’enlever Iouri Borissov, présenté comme le maire par intérim de la ville de Stakhanov, alors qu’il se trouvait à Berdiansk. On le voit même à un moment lui donner un coup de pied. Une vidéo prise le lendemain montre Iouri Borissov à genoux, s’excusant devant le peuple ukrainien d’avoir participé à l’organisation à Stakhanov d’un « référendum », le 10 mai 2014, à la suite duquel les séparatistes avaient proclamé l’indépendance de la région. Amnesty International considère que les actes d’Oleg Liachko et de ses complices armés constituent une atteinte flagrante aux normes du droit international, qui indiquent clairement que seules les autorités compétentes sont habilitées à procéder à des arrestations ou à des placements en détention. Oleg Liachko jouit pourtant pour l’instant de la plus totale impunité. Selon les informations recueillies par l’organisation, l’insécurité est de plus en plus forte dans l’est de l’Ukraine. Aussi bien les forces favorables à Kiev que les groupes séparatistes armés se rendent responsables d’atteintes aux droits humains, et notamment notamment d’enlèvements et de mauvais traitements infligés aux captifs. Amnesty International constate depuis des années la vulnérabilité des citoyens ordinaires face à des représentants des pouvoirs publics corrompus et l’incapacité des autorités ukrainiennes à enquêter sérieusement sur les atteintes aux droits humains et à traduire en justice leurs auteurs présumés. Dans la situation particulière que connaît actuellement l’Ukraine, cette impunité persistante ne peut que saper encore davantage l’état de droit dans le pays. Dans une lettre récemment adressée au procureur général d’Ukraine, Amnesty International demandait l’ouverture immédiate d’une enquête sur les agissements d’Oleg Liachko et sur tous les cas d’enlèvement et de mauvais traitements attribués aux forces favorables à Kiev. Des délégués d’Amnesty International ont rencontré fin juin de hauts représentants du Conseil national de sécurité, du ministère de l’Intérieur et du Service de la sûreté de l’État. À chaque entretien, il leur a été répété qu’Oleg Liachko n’était pas autorisé à procéder à des placements en détention. Toutes les personnes responsables ou complices de tels actes doivent être traduites en justice, et leurs victimes doivent recevoir des réparations. En outre, tout individu enlevé doit être immédiatement remis en liberté. Lorsque la personne enlevée est remise aux autorités ukrainiennes, elle doit être informée dans les meilleurs délais des charges pesant éventuellement contre elle, avoir immédiatement accès à un avocat et être conduite sans attendre devant un juge, ou à défaut être libérée. En l’absence de telles mesures, il est certain que des violations des droits humains continueront d’être commises et que l’impunité perdurera, les individus comme Oleg Liachko étant laissés libres de semer la terreur sans crainte de devoir répondre de leurs actes devant la justice.