Au Cambodge, ce sont cette fois-ci 160 familles qui risquent d’être chassées de leur domicile sans bénéficier de mesures de relogement satisfaisantes ni d’indemnisations équitables.
Lundi 10 août, les habitants de deux villages situés sur les berges d’un lac de la capitale, Phnom Penh, ont reçu une notification officielle leur laissant sept jours pour démonter leurs habitations. Une société privée doit réaménager le site à des fins touristiques et commerciales.
Environ 4 200 familles vivant à proximité du lac Boeung Kak, dans le centre de Phnom Penh, sont concernées par ces travaux de réaménagement, qui résultent d’un accord conclu en 2007 entre la municipalité et cette société. Celle-ci a commencé à combler le lac avec du sable en août 2008 en vue des constructions.
L’accord a été conclu sans consultation préalable des familles, qui, depuis qu’elles en ont été informées, ont à plusieurs reprises manifesté contre ce projet et fait part de leurs inquiétudes à ce sujet. Au moins deux villageois ont été arrêtés en raison de ces manifestations pacifiques.
Des employés de la société et des membres des forces de sécurité ont soumis de nombreux autres habitants à des tentatives d’intimidation et à des actes de harcèlement. Par ailleurs, l’élévation du niveau des eaux liée au déversement de sable dans le lac a inondé et détruit de nombreux logements près de la rive, contraignant leurs occupants à partir.
Les habitants du Village 2 et du Village 4 se sont vu proposer trois options dans la notification signée par le gouverneur du district de Daun Penh : l’équivalent de 5 600 euros de compensation auxquels s’ajouteraient deux millions de riels (environ 340 euros) pour couvrir le coût du démantèlement des logements, un appartement sur un site de réinstallation situé à quelque 20 kilomètres de là et deux millions de riels, ou un nouveau logement sur le site mais avec un déplacement temporaire.
Le site de réinstallation, à Damnak Trayoeung, est dépourvu d’abris adaptés, d’eau, d’électricité, d’installations sanitaires et de système d’évacuation des eaux usées ; de plus, il n’offre aucune perspective d’emploi et les habitants n’y auraient pas accès aux services de santé.
La proposition de relogement sur le site est appréciable car elle montre que les autorités explorent d’autres voies que l’expulsion. C’est également l’option à laquelle la plupart des 160 familles sont le plus favorables.
Cependant, d’après la notification, celles-ci doivent quand même démonter leurs maisons sous sept jours et accepter d’être relogées pour une durée indéterminée sur un site éloigné de leur lieu de travail et des écoles, sans pour autant avoir la garantie officielle qu’elles pourront revenir afin d’obtenir une propriété à Boeung Kak.
En juillet 2009, les forces de sécurité ont expulsé par la force 60 familles à revenus modestes vivant dans une zone connue sous le nom de Groupe 78, dans le centre de Phnom Penh. Les familles du Groupe 78 vivaient sous la menace d’une expulsion forcée depuis trois ans ; les autorités cambodgiennes n’ont respecté aucune des garanties prévues par le droit international.
Le gouvernement cambodgien manque régulièrement à l’obligation qui lui incombe de garantir le droit à un logement décent et de protéger la population contre les expulsions forcées. Pour la seule année 2008, Amnesty International a reçu des informations au sujet de 27 expulsions forcées qui concernaient, selon certaines estimations, 23 000 personnes.
Amnesty International appelle à nouveau le gouvernement cambodgien à mette un terme aux expulsions forcées et à décréter un moratoire sur toutes les expulsions massives jusqu’à ce que soit mis en place un cadre juridique garantissant la protection des droits humains.
L’organisation a exhorté les autorités à mettre immédiatement un terme à tout projet d’expulsion forcée des familles vivant dans les Villages 2 et 4 de Boeung Kak.
Elle les a également engagées à réexaminer leur décision de déplacer ces habitants vers un site de réinstallation à Damnak Trayoeung et à mener de véritables consultations autour des projets d’aménagement du site, notamment en précisant la durée du relogement temporaire et en garantissant l’obtention de titres de propriété à Boeung Kak.
Enfin, elle les a enjointes à respecter les obligations qui incombent au Cambodge en vertu des traités internationaux relatifs aux droits humains interdisant les expulsions forcées et les atteintes aux droits humains qui y sont liées.