Justice n’a toujours pas été faite pour les victimes d’un massacre datant de vingt-six ans au Guatémala

Le 5 décembre 1982, un escadron des « forces spéciales » de l’armée guatémaltèque est entré dans le village de Dos Erres, rattaché à la municipalité de La Libertad, dans le département septentrional du Péten. Quand elle en est repartie trois jours plus tard, plus de 250 hommes, femmes et enfants avaient été massacrés.

Les femmes et les filles avaient été tuées après des viols en masse. De nombreux cadavres ont été jetés dans le puits du village et d’autres abandonnés dans les bois avoisinants. Le village a ensuite été complètement rasé.

Cela s’est passé il y a vingt-six ans. Les personnes ayant orchestré et mis à exécution le massacre n’ont jamais été condamnées. L’affaire a été bloquée par des recours incessants formés auprès des instances judiciaires nationales et semble être au point mort.

Le vendredi 5 décembre, à Guatémala, la capitale, des parents de victimes et l’Association des parents des prisonniers « disparus » au Guatémala (FAMDEGUA) organisent une manifestation de protestation devant la Cour suprême et le bureau du procureur afin de réclamer justice.

Amnesty International a interrogé en 1997 un témoin vivant dans la clandestinité et s’est procuré un exemplaire de la déposition faite préalablement au procès par un autre. Tous deux ont affirmé qu’un commandant des services secrets de l’armée de la base de Santa Elena avait ordonné le massacre, pour couvrir semble-t-il le viol d’une femme de ce village par un autre officier plus tôt ce jour-là.

Les témoins ont décrit les événements qui se sont déroulés comme suit :

« Quant au massacre, après la réunion au cours de laquelle les officiers ont décidé de tuer tous les villageois, l’exécution a commencé à deux heures de l’après-midi. Le premier a été un enfant de trois ou quatre mois qui a été jeté dans le puits. L’exécution a continué de même avec tous les enfants.

« Les adultes se trouvaient à l’intérieur de l’église évangélique, nous les entendions prier Dieu. Parmi les femmes il y avait des filles de douze et treize ans que certains soldats ont commencé à violer.

« Ils ont amené les gens sur le bord du puits et les ont frappés avec des gourdins. Puis ils les jetaient dans le puits. Après les femmes, ils ont tué les hommes, jeunes puis vieux, les jetant tous dans le puits. »

Le gouvernement guatémaltèque a annoncé une « résolution à l’amiable » avec la Commission interaméricaine des droits de l’homme, en avril 2000. L’un des éléments centraux de cette résolution était l’engagement pris par l’État guatémaltèque concernant l’ouverture d’une enquête visant à traduire en justice les personnes ayant exécuté le massacre et celles l’ayant planifié et ordonné.

En juillet 2008, faute de progression dans l’enquête, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a de nouveau saisi la Cour interaméricaine des droits de l’homme de l’affaire.

La Commission a demandé que l’État soit sommé de mener une enquête exhaustive, impartiale et efficace sur le massacre, afin de déférer à la justice les commanditaires et les exécutants de ces meurtres. Elle a également demandé que l’on ordonne à l’État d’éliminer tous les obstacles juridiques ayant empêché que l’affaire trouve son dénouement devant les tribunaux. Cette requête est actuellement examinée par la Cour.

L’enquête a été ouverte au Guatémala en 1994, puis le cas a été soumis une première fois à la Commission interaméricaine des droits de l’homme par l’Association des parents des prisonniers « disparus » au Guatémala (FAMDEGUA) en 1996.

En réponse à la Commission, en 1997, le gouvernement du président d’alors, Álvaro Arzú, a admis qu’il était impossible de nier ce qui s’était passé à Dos Erres et qu’« un système judiciaire ne peut tolérer ni dissimuler des actes allant à l’encontre de la justice, et la loi doit donc être appliquée, indépendamment de l’identité des coupables. »

La « résolution à l’amiable » convenue en avril 2000 devait couvrir les aspects vérité, justice et réparations. Par « vérité » s’entendaient des excuses officielles, et l’État s’était engagé à garantir la « justice » selon les termes de l’accord dans un délai spécifique. La « réparation » devait prendre la forme d’indemnisations et de dédommagements moraux : un monument aux morts pour Dos Erres, une vidéo sur le massacre devant être présentée à l’échelle nationale, et un soutien psychologique aux témoins et aux rescapés.

En août 2002, le successeur du président Arzú, Alfonso Portillo, a reconnu publiquement la responsabilité de l’État dans la tuerie de Dos Erres. Il a également assuré aux familles de victimes qu’elles recevraient des réparations.

Un accord sur les réparations a été annoncé en mai 2001, mais ce n’est pas avant décembre 2001, soit dix-neuf ans après le massacre, que le gouvernement a versé 14 millions de quetzals aux familles des personnes tuées par l’armée à Dos Erres. Celles-ci ont apprécié le geste tout en continuant à insister pour que les responsables présumés soient traduits en justice.

Depuis l’ouverture officielle de l’enquête au Guatémala en 1994, la défense a interjeté au moins 30 appels, et exercé d’autres voies de recours à environ 49 reprises. Dans les faits, l’enquête, démarrée il y a bientôt quinze ans, n’a pas débouché sur une seule condamnation.

« Le fait que la Commission interaméricaine des droits de l’homme ait de nouveau porté le cas de Dos Erres devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme témoigne de l’absence manifeste de volonté politique concernant l’établissement des responsabilités pour les crimes contre l’humanité commis pendant les années de conflit armé interne qu’a connues le Guatémala, a déclaré Kerrie Howard, directrice adjointe du programme Amériques d’Amnesty International. Vingt-six ans après le massacre, et près de soixante après la signature par le Guatémala de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, les rescapés et les parents de ceux qui ont péri à Dos Erres n’ont pas encore vu une seule personne déférée en justice pour ces crimes abominables. »