Les tremblements de terre ayant dévasté le sud-est de la Turquie et le nord de la Syrie le 6 février, puis de nouveau le 20 février, nécessitent une réaction humanitaire mondiale engagée et soutenue.
À ce jour, le nombre de morts dépasse les 46 000 et continue à augmenter. Des centaines de milliers de personnes se retrouvent sans domicile et sans abri, ni nourriture, eau potable ou soins médicaux. Des milliers de personnes continuent à manquer à l’appel.
Amnesty International exprime ses plus sincères condoléances aux personnes affectées par ces séismes, et salue les efforts inlassables des bénévoles et secouristes effectuant des opérations de recherche et sauvetage dans des circonstances très difficiles.
L’aide s’est fait attendre, et plus de deux semaines après les premiers tremblements de terre, les besoins des personnes et des communautés touchées dans les deux pays ne cessent de croître.
La Turquie a invoqué l’état d’urgence dans les provinces concernées. L’acheminement de l’aide en Syrie a été ralenti et entravé par des considérations politiques et logistiques ayant éclipsé la nécessité d’une réponse urgente et immédiate aux besoins de la population dans le nord-ouest.
Lors de crises de ce type, les droits humains ne sont pas suspendus.
Les droits humains doivent être au cœur de la réaction aux crises
La réponse à une crise majeure doit s’appuyer sur des efforts concertés en faveur de la promotion et de la protection des droits humains de tous et de toutes. Ceux-ci incluent :
- le droit à la vie
- la protection contre la détention arbitraire
- la sécurité de la personne
- le droit de ne pas subir la torture et d’autres mauvais traitements
- la liberté d’expression et d’association
- la protection des personnes réfugiées et demandeuses d’asile, et la protection des droits des migrant·e·s
- les droits économiques, sociaux et culturels – notamment l’accès au logement, à une nourriture adéquate, à de l’eau potable, à des installations sanitaires, à des soins de santé et à l’aide humanitaire, sans discrimination.
Les femmes, les mineur·e·s, les personnes déplacées, les personnes âgées, les personnes handicapées, les lesbiennes, les gays, les personnes bisexuelles, transgenres et intersexes, les minorités ethniques et raciales, et d’autres groupes marginalisés sont souvent confrontés à des problèmes complexes lors des situations de crise, y compris les catastrophes naturelles, et ont besoin d’une protection spécifique contre les discriminations, les agressions racistes et les abus.
L’assistance humanitaire fournie lors de catastrophes naturelles doit être prodiguée sans discrimination de la moindre sorte, que ce soit sur la base de la nationalité, de l’appartenance ethnique, de la religion, du statut au regard de la législation sur l’immigration ou des opinions politiques.
Une démarche de réaction aux catastrophes axée sur les droits humains peut favoriser une distribution de l’aide humanitaire qui soit juste et efficace, et amener les gouvernements à rendre des comptes en matière d’adhésion aux normes internationales relatives à ces droits, notamment le principe de non-discrimination.
Les États ne doivent pas prendre pour cible de manière discriminatoire le moindre groupe levant des fonds de manière légale et/ou distribuant une aide humanitaire, et ne doivent pas confisquer de manière arbitraire leurs fonds ou fournitures humanitaires.
Non-discrimination
Le principe fondamental de non-discrimination doit être intégré à l’ensemble des efforts de prévention, de réaction, de secours, de reprise et de reconstruction relatifs aux catastrophes, et ce dès les premières étapes.
Les États sont tenus de respecter, protéger et réaliser les droits humains sans discrimination. Toute réaction de l’État doit garantir que les personnes concernées puissent faire valoir leurs droits et ne soient pas lésées, ni soumises à des représailles sur la base de leurs race, appartenance ethnique, couleur de peau, genre, langue, religion, opinions politiques, statut matrimonial, patrimoine immobilier, handicap, naissance, âge ou autre statut.
Personne ne devrait se voir refuser un accès à l’aide humanitaire en raison d’une absence ou perte de papiers d’identité ou d’autres documents d’identification. Une démarche respectueuse des droits humains face aux catastrophes naturelles, qui prenne en compte les besoins spécifiques de groupes vulnérables, peut également prévenir une exposition à de futures violations des droits humains.
En Syrie, le gouvernement continue à empêcher ou restreindre l’acheminement de l’aide humanitaire dans des zones où les populations sont perçues comme opposées au gouvernement, ou dans des zones ne se trouvant pas sous son contrôle. Au moins quatre millions de personnes résidant dans le nord-ouest de la Syrie sous le contrôle de groupes d’opposition vivaient déjà dans des conditions épouvantables, dépendant entièrement de l’aide humanitaire, le gouvernement syrien les privant d’accès aux secours et aux services essentiels. Ces personnes n’étaient donc pas en mesure de faire face à des destructions supplémentaires ni aux dégâts causés par les tremblements de terre. Après les séismes, le gouvernement syrien et les groupes armés d’opposition ont restreint l’aide humanitaire à destination du nord-ouest depuis Damas.
Le gouvernement syrien a empêché cette assistance d’atteindre des quartiers principalement kurdes dans des zones se trouvant sous le contrôle du conseil civil kurde d’Alep, qui ont été gravement touchées par le tremblement de terre.
Le gouvernement a également limité et/ou retardé l’action de l’Administration autonome, l’autorité de fait du nord-est de la Syrie, lorsque celle-ci a tenté d’amener du carburant, des produits alimentaires ou non alimentaires, et des fournitures médicales dans des zones affectées sous le contrôle du gouvernement, ainsi que dans le nord-ouest. Dans le nord d’Alep, des groupes d’opposition armés soutenus par la Turquie ont limité l’acheminement de l’aide humanitaire jusqu’aux Kurdes syriens vivant dans cette zone, et entravé des opérations de sauvetage.
Droit à la vie
La prestation immédiate d’une aide vitale prenant la forme de personnels, de machines et d’équipements opérationnels pour le sauvetage de personnes coincées sous des gravats à la suite des séismes est essentielle. Que ce soit en Turquie ou en Syrie, l’absence d’organisation opérationnelle de ce type se fait cruellement sentir, au point que d’innombrables morts auraient sans doute pu être évitées si une meilleure concertation avait eu lieu dès le début de la crise.
Les autorités turques ont sollicité une assistance internationale, qui était disponible, mais le manque de coordination, de personnel et d’équipement, notamment d’engins de levage et de technologies spécifiques aux opérations de recherche et de sauvetage, a beaucoup ralenti les interventions destinées à sauver des vies.
Le service turc de gestion des catastrophes et des urgences, qui dépend du ministère de l’Intérieur a été très critiqué pour son manque d’expérience et d’expertise. Des proches de personnes coincées sous les décombres ont lancé eux-mêmes des appels à l’aide sur les réseaux sociaux, et beaucoup ont dit avoir loué des engins de terrassement eux-mêmes afin de sauver des vies. Le 7 février, le président Recep Tayyip Erdoğan a reconnu que la réaction initiale du gouvernement avait été défaillante.
Au 15 février, seules de petites équipes de sauvetage venues d’Égypte et d’Espagne avaient été envoyées pour assister des groupes de bénévoles dans le nord-ouest de la Syrie. Des organisations locales ont indiqué à Amnesty International qu’elles avaient reçu un soutien minimal en termes d’engins de levage et d’autres outils de sauvetage, situation qui a fortement ralenti leurs opérations de recherche et de sauvetage. Les pays arabes, d’Afrique du Nord, l’Iran et d’autres nations ont cependant fait parvenir une aide au gouvernement syrien, qui n’a été utilisée que dans des zones se trouvant sous le contrôle du gouvernement et pas dans le nord-ouest.
Le premier convoi humanitaire des Nations unies acheminé jusqu’au nord-ouest de la Syrie, provenant de Turquie et étant passé par le poste frontière de Bab al Hawa – seul point de passage autorisé par le Conseil de sécurité des Nations unies -, est arrivé trois jours après le tremblement de terre. Le 13 février, soit plus d’une semaine après les séismes, le gouvernement syrien a émis pour une période de trois mois une autorisation relative à l’ouverture de deux autres points de passage à la frontière, à Bab al Salam et al Rai, afin que l’aide humanitaire proposée par les Nations unies puisse parvenir au nord de la Syrie. Des organisations locales ont déclaré à Amnesty International que les retards enregistrés dans l‘acheminement de l’aide prodiguée par les Nations unies sont partiellement liés au nombre insuffisant de points de passage et aux difficultés de coordination. Le point de passage de Bab al Hawa était le seul lien avec l’extérieur de millions de personnes du nord-ouest de la Syrie depuis juillet 2020, lorsque la Russie et la Chine se sont prononcées contre la réouverture du poste de Bab al Salam.
La Turquie, la Syrie et la communauté internationale doivent s’engager à favoriser un acheminement plus rapide et efficace de cette aide humanitaire, sans ingérences ni manœuvres politiques indues. Les États membres de l’ONU doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir afin de garantir que les Nations unies aient un accès suffisant au nord de la Syrie, pour une période aussi longue que nécessaire, afin de répondre aux besoins des victimes.
Droit à l’information
Les victimes de catastrophes naturelles ont droit à des informations pertinentes, accessibles et correctes dans les meilleurs délais dans une langue qu’elles comprennent, sans discrimination. Fournir ce type d’information peut permettre d’empêcher des pertes de vies supplémentaires.
Les personnes et communautés touchées par des catastrophes doivent aussi pouvoir être consultées et participer de manière significative dans le cadre de toutes les décisions et stratégies visant à répondre à leurs besoins, et notamment se voir donner la possibilité de s’auto-assister et de s’entraider au sein de leur communauté et au-delà.
Les victimes devraient au minimum pouvoir obtenir des informations dans les meilleurs délais sur l’identité des personnes décédées et présumées comme telles ; les informations disponibles sur des parents ou ami·e·s manquant à l’appel ; et des détails spécifiques sur la distribution de nourriture et d’eau, sur l’accès à un hébergement, et sur des services essentiels comme les soins médicaux et de santé reproductive.
Liberté d’expression et liberté des médias
L’État doit veiller à ce que le droit à la liberté d’expression soit pleinement respecté, protégé, promu et réalisé. Toute restriction apportée à ce droit doit être prévue par la loi, nécessaire et proportionnée.
En Turquie, des personnes coincées sous des décombres ont communiqué leurs coordonnées au moyen des réseaux sociaux afin d’aider à organiser leur propre sauvetage. Le fait que le gouvernement turc ait semble-t-il décidé d’interdire Twitter et Tik Tok le 8 février a porté un coup à ces efforts de sauvetage. Si l’accès hors réseau privé virtuel (VPN) a été rétabli, les interdictions de ce type ne sont ni nécessaires ni proportionnées à la réalisation d’un objectif légitime, qui aurait dû être de favoriser l’utilisation de technologies vitales, et non pas leur interruption parce que les autorités ont été froissées par les critiques relatives à leur gestion de la crise.
Les médias diffusent des actualités et d’autres types d’informations d’intérêt public, et doivent être autorisés à fonctionner librement, en particulier en période de crise lorsque ce type d’informations est susceptible de sauver des vies. Les médias sont soumis à un contrôle étroit en Turquie comme en Syrie, et les journalistes, notamment celles et ceux qui travaillent pour la presse étrangère, ainsi que les médias indépendants, ont éprouvé des difficultés à effectuer leur travail dans ces deux pays. Dans les zones aux mains du gouvernement en Syrie, les autorités contrôlent tous les médias et modes d’expression en ligne, et il n’existe aucun média indépendant. En avril 2022, face aux critiques croissantes au sujet des politiques socio-économiques du gouvernement syrien, les autorités ont adopté une nouvelle loi relative à la cybercriminalité qui prévoit de lourdes condamnations et amendes contre quiconque critique les autorités sur Internet.
La réaction du gouvernement turc a suscité une large condamnation, notamment dans les médias, qui a souligné l’insuffisance des efforts de sauvetage, voire leur absence, dans les heures et jours ayant suivi le tremblement de terre. Le 7 février, le président Recep Tayyip Erdoğan a publiquement menacé de s’en prendre aux personnes ayant critiqué les autorités. Les deux premiers jours ayant suivi le séisme, l’État a arrêté plus de 90 personnes, parmi lesquelles des journalistes, dont certaines uniquement en raison de leurs publications sur les réseaux sociaux. Le même jour, le responsable des relations avec les médias et de la communication à la présidence, Fahrettin Altun, a annoncé le lancement d’une application mobile de lutte contre la désinformation. Si la désinformation est un grave motif de préoccupation, l’une des principales manières de la prévenir est d’accorder plus de liberté aux médias.
Détention arbitraire
L’interdiction de la détention arbitraire est absolue.
Comme cela a été mentionné, en Turquie, les autorités ont arrêté des personnes ayant critiqué la lenteur de la réaction du gouvernement face aux tremblements de terre.
Plusieurs personnes ont fait l’objet d’arrestations arbitraires uniquement pour avoir dénoncé la réponse insuffisante de l’État face à la catastrophe et avoir réclamé plus d’aide.
En Syrie, le gouvernement et les groupes d’opposition armés ont régulièrement arrêté ou appréhendé des personnes ayant simplement exprimé des opinions critiques.
Selon certaines informations, des personnes critiquant les efforts de distribution de l’aide du gouvernement syrien et accusant le gouvernement d’avoir détourné cette aide ont été arrêtées. Le droit à la liberté d’expression comprend le droit de critiquer le gouvernement sans faire l’objet de représailles, par exemple des arrestations arbitraires.
Torture et autres mauvais traitements
L’interdiction de la torture et d’autres formes de mauvais traitements cruels, inhumains et dégradants est absolue, et ne souffre aucune exception, même en période d’urgence nationale.
Des personnes placées en détention pour s’être semble-t-il livrées à des pillages à la suite du tremblement de terre en Turquie ont été soumises à des actes de torture et d’autres mauvais traitements alors qu’elles se trouvaient en détention sous la responsabilité de l’État. Des vidéos montrant ces abus sont actuellement examinées par Amnesty International, et les témoignages de personnes ayant subi des mauvais traitements continuent à être recueillis.
En Syrie, la torture et les autres formes de mauvais traitements infligées en détention par les forces syriennes de sécurité, et dans une moindre mesure les groupes d’opposition armés, sont monnaie courante et sont encouragées par la culture de l’impunité.
Morts en détention : il a été confirmé qu’au moins une personne est morte en détention en Turquie après avoir été rouée de coups par des policiers. Le 15 février, il a été signalé que trois gendarmes ont été suspendus en relation avec ce décès.
Droits des personnes déplacées
Les tremblements de terre ont laissé des centaines de milliers de personnes sans domicile ni refuge adéquat en Turquie et en Syrie, et beaucoup d’entre elles ont fui ces zones dévastées.
Tous les rescapé·e·s devraient pouvoir bénéficier d’un hébergement d’urgence dans des hôtels, des dortoirs, des auberges de jeunesse ou d’autres types de logement réservés aux victimes des tremblements de terre. Les personnes résidant dans les zones touchées doivent être autorisées à partir et à trouver refuge et une assistance humanitaire dans d’autres villes.
Les autorités, en collaboration avec des organismes humanitaires, des organisations de la société civile et des représentant·e·s des personnes affectées doivent élaborer un plan assorti d’un calendrier pour les mesures d’aide et de redressement, notamment afin de transférer les personnes hors de lieux d’accueil d’urgence et vers des types d’hébergement plus permanents.
Les personnes déplacées doivent être soutenues afin de prendre de plein gré des décisions éclairées sur leur futur, sans discrimination, quel que soit leur statut en matière de citoyenneté ou de résidence.
Toute relocalisation de personnes déplacées dans leur propre pays hors de camps ou de zones sinistrées doit être volontaire, à moins que la sécurité et la santé des personnes concernées ne requièrent une évacuation. Des garanties de procédure doivent être en place afin que toute évacuation soit conforme aux normes internationales relatives aux expulsions. Une fois les personnes à l’abri du danger, les États doivent garantir que les conditions de leur réinstallation et les sites de réinstallation respectent les critères de logement convenable définis par le droit international. Les personnes déplacées ne doivent pas faire l’objet de la moindre manœuvre de coercition, par exemple une suspension des mesures d’assistance.
Toutes les personnes déplacées ont le droit de retourner dans leur ancien logement, à moins que des problèmes de sécurité ne les en empêchent. Lorsque des personnes déplacées ne sont pas en mesure de rentrer chez elles pour des questions de sécurité, le gouvernement doit préparer un plan clair, assorti d’un calendrier, pour la réhabilitation/reconstruction des zones concernées, de sorte qu’il soit possible d’y vivre en sécurité et que les personnes puissent rentrer chez elles dans les meilleurs délais.
Même avant le tremblement de terre, 2,7 millions de personnes qui résidaient dans le nord-ouest de la Syrie ont été déplacées à l’intérieur du pays depuis différentes zones du pays, en raison du conflit syrien. La majorité de ces personnes vivent sous des tentes dans des conditions épouvantables exacerbant le risque de maladie et exposant les femmes et les jeunes filles à des violences liées au genre. Après les tremblements de terre, les Nations unies ont déclaré que près de 60 000 personnes ont été déplacées dans cette zone.
Des mesures doivent être adoptées en urgence afin de garantir que les personnes déplacées à l’intérieur du pays qui ont en outre été affectées par le tremblement de terre bénéficient d’une égalité d’accès à l’assistance humanitaire et aux mesures de réadaptation.
Dans les zones de la Syrie se trouvant sous le contrôle du gouvernement, certains quartiers ont été évacués et des immeubles démolis après que des équipes chargées de l’évaluation des dégâts les ont considérés dangereux. On ignore encore si le gouvernement fournira à l’ensemble des propriétaires de ces bâtiments un soutien financier ou des solutions de relogement. À ce jour, le gouvernement a annoncé le lancement de la construction de 300 logements préfabriqués à Alep.
Les autorités doivent s’engager à élaborer et mettre en œuvre un plan visant à fournir aux personnes touchées des solutions de relogement adaptées, ou à reconstruire des logements dans une zone sûre et n’étant pas sujette aux tremblements de terre. Toutes les décisions concernant les solutions de relogement, que cela prenne la forme d’une réinstallation ou d’une construction sur place, doivent être prises au terme d’un véritable processus de consultation avec les personnes affectées.
Traitement réservé aux personnes réfugiées et migrantes
Il faut protéger les droits des personnes ayant besoin d’une protection internationale en raison de leur statut de réfugié·e·s ou parce qu’elles ont demandé l’asile.
D’après des informations crédibles en provenance de Turquie, des réfugié·e·s syriens ont été agressés physiquement et harcelés verbalement par des civil·e·s et des acteurs étatiques dans le cadre d’attaques racistes ou de discours haineux. Certaines sources indiquent par ailleurs que des réfugié·e·s syriens ont été expulsés de camps d’urgence en Turquie afin de faire place aux rescapé·e·s turcs.
Les autorités turques ne doivent pas désigner les réfugié·e·s comme des boucs émissaires, ni tolérer ces abus contre eux. Outre leur obligation de s’abstenir d’exercer des discriminations, les autorités de l’État sont aussi généralement tenues de garantir sur une base non-discriminatoire les droits fondamentaux des personnes et groupes relevant de leur compétence. Cela inclut les obligations de lutter contre le racisme et la discrimination en adoptant des mesures de protection contre les menaces et les agressions.
Les migrant·e·s doivent être traités conformément aux normes internationales relatives aux droits humains, notamment la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants, à laquelle la Turquie et la Syrie sont des États parties.
Droits des enfants
Dans leur réaction aux tremblements de terre, la Turquie et la Syrie doivent tenir compte des principes généraux de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, ainsi que des dangers qui menacent de façon spécifique les droits des enfants.
Le droit de l’enfant d’être protégé·e contre toute forme de discrimination, le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, son droit d’être entendu·e, son droit à la vie, à la survie et au développement restent des principes d’une importance fondamentale dans le cadre des réponses du gouvernement face aux séismes.
Dans les deux pays, des centaines d’enfants ont été secouru·e·s, mais leurs parents manquent toujours à l’appel. De nombreux enfants ne peuvent même pas être identifié·e·s, car ils sont trop jeunes pour connaître leur nom complet ou leur adresse. La Turquie et la Syrie doivent prendre toutes les mesures qui s’imposent pour identifier le plus rapidement possible les enfants séparé·e·s de leur famille et les réunir avec leurs proches de toute urgence. Lorsqu’une prise en charge temporaire par une tierce partie est considérée comme étant dans l’intérêt supérieur de l’enfant, un accueil adéquat doit être proposé.
L’adoption d’enfants séparé·e·s et non accompagné·e·s ne doit survenir que s’il est estimé que cela est dans l’intérêt supérieur de l’enfant, et seulement après que les efforts visant à retrouver la famille de l’enfant et à les réunir ont échoué. Des procédures d’adoption doivent être évitées si la situation n’est pas résolue. L’adoption internationale doit être une mesure de dernier ressort, à envisager seulement après que les solutions locales – notamment des efforts rigoureux visant à trouver les parents, d’autres membres de la famille, ou des parents adoptifs dans le pays – ont été épuisées. Les autorités compétentes en la matière doivent garantir que les enfants ne soient pas emmené·e·s hors du pays sans que des garanties adéquates ne soient en place et que des procédures officielles d’adoption internationale légales n’aient été menées à bien.
Séparé·e·s de leur famille, des centaines d’enfants en Turquie et en Syrie sont exposé·e·s à des risques accrus de violations et d’abus. La Turquie et la Syrie ont l’obligation de protéger les enfants contre toute forme d’abus et d’exploitation, notamment le trafic d’êtres humains ; le travail des enfants ; les formes contemporaines d’esclavage ; les mariages précoces et les mariages d’enfants ; et l’exploitation sexuelle, entre autres.
Les institutions étatiques turques et syriennes doivent déployer les ressources qui s’imposent pour déterminer le statut de ces enfants. Tous les efforts doivent être faits afin de réduire au minimum les séparations familiales dans le contexte des opérations de sauvetage et d’aide humanitaire.
Retrouver et réunir les familles doit être une priorité pour la communauté internationale, les autorités turques et syriennes et les organisations humanitaires internationales.
Le retour des enfants dans les écoles doit être favorisé dans les meilleurs délais. Des mesures spéciales doivent être mises en place afin de garantir que les filles et les enfants présentant des handicaps et issus d’autres groupes marginalisés aient un accès égalitaire à l’éducation.
Violences faites aux femmes et aux filles
Dans les situations postérieures à des catastrophes, les filles et les femmes sont souvent particulièrement exposées à un risque de violence sexuelle, d’exploitation par des trafiquants et à un accès réduit aux services et soins de santé sexuelle, reproductive et maternelle. Leurs désavantages en termes d’accès à l’aide humanitaire sont bien connus.
Les femmes et les filles doivent avoir accès à des protections menstruelles et des soins de santé répondant spécifiquement à leurs besoins médicaux. Les autorités locales responsables de la distribution de l’aide humanitaire ne doivent pas faire subir de discriminations aux femmes sur la base de leur genre ou de leur statut matrimonial.
Les personnes engagées dans les efforts humanitaires et de reconstruction doivent veiller à ce que la prévention de tous les types de violences fondées sur le genre, en particulier les violences sexuelles, fasse partie intégrante de leur travail. Les victimes de ce type de violences doivent bénéficier d’un soutien médical et psychosocial adapté.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes (LGBTI)
Les personnes LGBTI en Turquie sont victimes de harcèlement, d’agressions physiques et d’autres atteintes à leurs droits depuis de nombreuses années. Au lendemain des tremblements de terre, de nombreuses personnes LGBTI n’ont pas essayé de se rendre dans des lieux d’hébergement, d’obtenir des soins médicaux ou de bénéficier d’autres mesures d’assistance, par crainte de représailles et d’atteintes à leur sécurité.
Les autorités et les bénévoles ont donné la priorité aux familles « traditionnelles » en leur proposant des moyens de transport afin de leur permettre de bénéficier d’une assistance et de services.
Amnesty International examine actuellement des informations selon lesquelles des membres de la communauté LGBTI ont été victimes d’agressions physiques, et suit de près l’accès de cette minorité aux droits économiques et sociaux, notamment un hébergement adéquat et un accès à l’emploi. Les autorités turques ne doivent pas introduire de discrimination à l’égard des personnes LGBTI dans la prestation d’une assistance humanitaire, doivent s’abstenir de tenir des discours ou de mener la moindre action qui prennent pour cible ou désignent comme bouc émissaire les personnes LGBTI, et doivent obliger à rendre des comptes toute personne traitant de manière discriminatoire des membres de la communauté LGBTI, tenant un discours de haine à leur égard ou s’en prenant physiquement à eux.
Inclusion des personnes âgées et des personnes en situation de handicap
Il a été reconnu que les personnes âgées et celles qui présentent un handicap faisaient partie des groupes parmi les plus marginalisés durant les crises. Les programmes humanitaires présentent souvent des lacunes qui les défavorisent, notamment des obstacles de taille à l’accès égal aux droits et l’impossibilité pour elles de participer de manière significative et d’être représentées dans la prise de décisions. Les femmes âgées et les femmes en situation de handicap sont souvent exposées à des risques exacerbés d’exclusion.
Les opérations d’aide humanitaire doivent assurer que des infrastructures dans les camps de personnes déplacées – telles que des abris, des équipements sanitaires, des points d’eau – soient disponibles pour les personnes âgées et les personnes à mobilité réduite.
Les entités impliquées dans la distribution de l’aide, qu’il s’agisse de rations ou d’une assistance financière en espèces, doivent veiller à ce qu’elle parvienne jusqu’aux personnes âgées et aux personnes en situation de handicap, et à ce que ces initiatives ne soient pas centralisées.
Il faut aussi que les services de santé ne soient pas exclusivement disponibles dans les centres-villes, et il convient de garantir que les personnes âgées et les personnes en situation de handicap aient accès à des médicaments, des services d’orientation et de suivi, ainsi que des dispositifs d’assistance et des prothèses de qualité. Lorsque les personnes âgées et les personnes en situation de handicap ne sont pas en mesure d’obtenir une aide humanitaire et d’accéder à d’autres points de distribution, des mesures spéciales doivent être mises en place afin de garantir qu’elles bénéficient de cette assistance – qu’il s’agisse de rations, d’espèces ou de soins de santé.
Responsabilité des entreprises en matière de droits humains
Les entreprises sont censées respecter les droits humains et doivent éviter de se livrer à des activités/opérations portant atteinte aux droits d’autrui. Dans ce contexte, les autorités devraient se pencher sur le rôle que les entreprises ont pu avoir dans la catastrophe, par exemple en bafouant la réglementation en matière de construction et de sécurité des bâtiments.
En Turquie, le ministère de la Justice a annoncé l’arrestation de plus de 100 entrepreneurs en bâtiment pour des violations du code du bâtiment et d’autres infractions à la réglementation. Le ministère a également annoncé l’établissement de bureaux d’enquête sur les infractions liées aux séismes, qui seront habilités à « identifier des entrepreneurs et autres personnes responsables de chantiers de construction, recueillir des éléments de preuve, donner des instructions à des expert·e·s parmi lesquels des architectes, des géologues et des ingénieur·e·s, et vérifier les permis de construire et les autorisations d’occupation. »
Cependant, braquer les projecteurs sur les entrepreneurs et entreprises privés ne doit pas détourner les autorités des responsabilités de l’État lui-même dans la construction de bâtiments de piètre qualité qui n’ont pas pu résister à l’intensité des séismes du fait de faiblesses structurelles.
En vertu du droit international relatif aux droits humains, les États ont une obligation de protection lorsque des tiers, y compris des entreprises, portent atteinte aux droits humains sur leur territoire. Les autorités turques ont été critiquées pour les amnisties de grande ampleur accordées dans des affaires de bâtiments érigés sans que la stricte réglementation turque en matière de construction n’ait été respectée. Dans une réponse écrite datant de décembre 2022 à une question de l’opposition parlementaire remontant à octobre 2022, Murat Kurum, le ministre de l’Environnement, de l’urbanisation et du changement climatique, a déclaré que la dernière mesure de ce type a été accordée en 2018, et que plus de trois millions de documents relatifs à l’enregistrement de bâtiments ont été délivrés.
L’État a le devoir de réglementer l’industrie de la construction, d’éradiquer la corruption au sein de celle-ci et d’amener ceux qui enfreignent la réglementation à rendre des comptes.
Opérations militaires
Des attaques dans des zones du nord d’Alep et du nord-ouest de la Syrie continuent à être signalées après les séismes.
L’ensemble des parties, y compris les gouvernements syrien et turc, doivent immédiatement cesser les attaques contre les civil·e·s et les infrastructures civiles, ainsi que les attaques menées sans discrimination dans la région.
NOTE : Les motifs de préoccupation relatifs aux droits humains en Turquie et en Syrie présentés dans ce document s’inspirent du travail déjà effectué par Amnesty International sur d’autres catastrophes naturelles, notamment le tremblement de terre ayant ravagé Haïti en 2010, ainsi que sur des lignes directrices relatives aux bonnes pratiques pour la protection des droits fondamentaux dans des situations de crise de ce genre.