TUNISIE : QUAND FUIR LA POLICE PEUT ÊTRE MORTEL

Si les autorités tunisiennes ont vraiment l’intention de s’attaquer au problème de l’impunité dont jouissent les forces de sécurité, qui sont accusées de graves violations des droits humains, elles doivent veiller à ce que les faits de brutalité policière les plus marquants survenus au cours de l’année écoulée ne restent pas impunis. C’est ce qu’a déclaré aujourd’hui Amnesty International.

Il y a un an, en mars 2018, Amnesty International s’est jointe à 15 organisations tunisiennes et internationales de défense des droits humains pour appeler le gouvernement tunisien à prendre des mesures concrètes contre les membres des forces de sécurité qui cherchaient à mettre un terme aux poursuites engagées contre eux, en menaçant les juges ou en les soumettant à un chantage. Or, les autorités tunisiennes n’ont pour l’instant pas fait grand-chose en ce sens. L’inaction face aux menaces proférées par de puissants syndicats de la police censés avoir été créés pour défendre les droits et les intérêts des membres des forces de l’ordre est devenue l’une des principales raisons de l’impunité dont jouissent les auteurs d’atteintes aux droits humains, les juges chargés de l’instruction des dossiers craignant les pressions et les représailles.

Amnesty International a recueilli des informations sur quatre cas emblématiques, qui témoignent une fois de plus de l’urgente nécessité de réformer en profondeur les services de sécurité et de donner les moyens au pouvoir judiciaire de mettre un terme à l’immunité dont jouissent les policiers responsables de graves violations, y compris de potentiels homicides illégaux, d’actes de torture et d’autres mauvais traitements. Il s’agit des affaires d’Omar Labidi, d’Aly et Youssef Bouzwida, d’Iheb et d’Ayman Othmani.

Cette déclaration passe en revue les violences policières commises contre ces personnes, et notamment les circonstances qui ont présidé à deux décès. Elle rappelle les graves inquiétudes suscitées par l’incapacité de l’État à enquêter sérieusement sur les abus commis, en particulier :

  • le recours inutile ou excessif à la force de la part des forces de sécurité, notamment, à une occasion, le recours à des tirs à balle réelle contre la foule, manifestement sans sommation ;
  • les attaques ciblées menées par la police contre de jeunes hommes, en particulier à l’occasion de manifestations sportives, et qui se sont soldées par des blessures graves, constituant de fait des traitements cruels, inhumains ou dégradants, voire des actes de torture ;
  • certaines irrégularités concernant les enquêtes ouvertes pour abus commis par la police (rapports médicaux manquants, notamment) et le refus intentionnel de la part des forces de sécurité de permettre aux victimes d’un usage excessif de la force ou d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements de recevoir des soins médicaux, ou leur volonté délibérée de retarder ces soins ;
  • des enquêtes menées sur des abus présumés mettant en cause des policiers retardées ou complètement bloquées, qui s’accompagnent manifestement de l’incapacité à contraindre les fonctionnaires concernés à comparaître devant les juges.

L’incapacité des autorités tunisiennes à contraindre les membres des forces de sécurité soupçonnés de violations graves de rendre des comptes illustre bien les carences fondamentales dont continue de souffrir la justice pénale tunisienne.

Amnesty International

L’incapacité des autorités tunisiennes à contraindre les membres des forces de sécurité soupçonnés de violations graves de rendre des comptes illustre bien les carences fondamentales dont continue de souffrir la justice pénale tunisienne, malgré les quelques réformes entreprises depuis le soulèvement de 2011. La torture et les autres mauvais traitements restent largement répandus, au moment de l’arrestation et pendant la détention provisoire. Les forces de sécurité ont fréquemment recours à une force inutile et excessive lors des opérations d’application de la loi. Les quatre affaires présentées dans cette déclaration ne sont que des exemples emblématiques de pratiques abusives plus générales. Elles posent de sérieuses questions concernant l’étendue et l’impartialité des enquêtes, la perméabilité qui existe entre la police et les services chargés des investigations et des poursuites, et l’absence de transparence dans le processus de prise de décisions. Même lorsque l’enquête n’est pas directement menée sous la surveillance de la police, les relations étroites qu’entretiennent dans leur travail quotidien les policiers et les juges d’instruction induisent un risque considérable de parti pris lorsqu’il s’agit d’enquêter sur des affaires où les auteurs présumés sont des policiers.

TUNISIE : QUAND FUIR LA POLICE PEUT ÊTRE MORTEL

Un an après la mort d’Omar Labidi, la lutte pour que les forces de sécurité rendent des comptes pour les abus commis continue.

OMAR LABIDI

Le 31 mars 2018, un groupe de policiers s’est lancé à la poursuite du jeune Omar Labidi, 19 ans, alors qu’il quittait le stade de Radès, dans la banlieue sud de Tunis, en compagnie d’autres supporters de football. Le jeune homme a finalement été poussé dans un cours d’eau, où il s’est noyé. Sa mort a provoqué un tollé parmi les supporters de football tunisiens et a donné naissance au hashtag #تعلم_عوم (« Apprends à nager » en arabe).

L’avocat a expliqué à Amnesty International que, lors des premiers interrogatoires, 17 policiers appartenant à l’équipe présentée comme potentiellement responsable du décès avaient affirmé ne pas avoir quitté le stade. Confrontés à des images vidéo les montrant clairement en train de poursuivre des personnes aux alentours du stade, ils ont finalement reconnu s’être entendus ensemble pour tous présenter la même version des faits.

Le 14 mai, le juge d’instruction du tribunal de première instance de Ben Arous a inculpé les 17 policiers d’homicide involontaire et de non-assistance à personne en danger. S’ils sont déclarés coupables, ils risquent jusqu’à sept ans d’emprisonnement. Plusieurs des témoins ont été interrogés en mai et juin de l’année dernière, mais la procédure semble avoir ralenti depuis. Plus récemment, le juge d’instruction a entendu deux accusés et huit témoins le 7 janvier, puis 14 accusés et six témoins le 31 du même mois. Tous les accusés ont pour l’instant été laissés en liberté.

Un an après la mort d’Omar Labidi, l’enquête des autorités judiciaires sur son homicide potentiellement illégal semble à l’arrêt.

Selon l’avocat, le juge d’instruction doit encore entendre un dernier policier à titre de témoin. Or, celui-ci n’a pas répondu à deux demandes qui lui avaient été signifiées par le magistrat. Ce dernier doit également récupérer le rapport médico-légal définitif, ainsi qu’une vidéo prise par un témoin, actuellement aux mains de l’unité d’investigation d’El Gorjani. Amnesty International est préoccupée par la manière dont est menée l’enquête sur la mort d’Omar Labidi. Le fait que le juge d’instruction n’émette pas de citation à comparaître (mais seulement des « demandes » non contraignantes), obligeant un policier à venir témoigner, peut notamment être considéré comme un signe de manque d’impartialité et d’efficacité.

Youssef et Aly Bouzwida

Je ne sais pas courir, comme d’autres ne savent pas nager. J’ai échappé à la mort, mais d’autres pas.

Aly Bouzwida se confiant à Amnesty International

« Je crois en ce que l’on appelle l’État, l’ordre et l’état de droit. Si j’ai fait quelque chose de mal, je dois rendre des comptes, mais je fais l’objet d’une injustice et je dois demander justice. Je ne sais pas courir, comme d’autres ne savent pas nager. J’ai échappé à la mort, mais d’autres pas. J’espère que l’État saura remédier à la déception que je ressens à son encontre. » – Aly Bouzwida se confiant à Amnesty International.

Le 5 mai 2018, plusieurs policiers s’en sont pris à Aly et Youssef Bouzwida, deux frères âgés respectivement de 32 et 26 ans, après que des affrontements eurent éclaté entre la police et des supporters lors d’un match de basket-ball à Radès, dans la banlieue sud de Tunis. Les deux frères attendent toujours qu’une enquête soit menée sur les violences dont ils ont été victimes et que leurs agresseurs soient traduits en justice.

Selon Aly Bouzwida, qui a raconté ce qu’il a vécu dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, les deux jeunes hommes étaient partis de chez eux en fin d’après-midi pour aller chercher leur père, qui était allé assister à la rencontre de basket-ball. Ils craignaient que ce dernier ait des problèmes respiratoires, car la police avait répondu aux violences des supporters par des tirs de gaz lacrymogène. En chemin, ils sont tombés sur une quinzaine de policiers, dans un quartier de Radès épargné par les affrontements. Selon Aly, un policier aurait crié en les voyant : « Ils sont là ! » et se serait rué vers eux. Les deux frères affirment qu’ils marchaient tranquillement et n’étaient absolument pas violents.

Aly a expliqué à Amnesty International que les policiers les avaient attrapés et s’étaient mis immédiatement à les rouer de coups de matraque, sur la tête et sur tout le corps. Le passage à tabac avait duré une vingtaine de minutes, jusqu’à ce que Youssef perde connaissance. Un habitant du quartier a filmé une courte vidéo de 30 secondes montrant les violences dont ont été victimes les deux frères.

Des agents de la protection civile, qui ne font pas partie des forces de police et qui étaient présents dans le quartier, sont ensuite arrivés et ont emmené Youssef à l’hôpital. La police a en revanche conduit Aly au commissariat, interdisant aux agents de la protection civile de l’emmener lui aussi à l’hôpital. Une dizaine d’heures plus tard, Youssef, qui avait repris connaissance à l’hôpital, a été à son tour conduit au commissariat. Vers cinq heures du matin, les deux frères ont été libérés sans inculpation et Aly a enfin pu se rendre à l’hôpital pour recevoir des points de suture pour une blessure à la tête et subir des tests médicaux, afin de s’assurer qu’il ne présentait pas de lésion interne. Selon son propre témoignage, il avait des bleus sur tout le corps.

Le lendemain, le ministère de l’Intérieur a publié une déclaration faisant état de blessés parmi la police, qui « protégeait les biens publics et privés de fauteurs de troubles lançant délibérément des objets solides et des pierres sur les agents des forces de sécurité ». Le ministère ajoutait que quatre personnes avaient été arrêtées et que le parquet avait autorisé l’ouverture d’une information contre elles pour « jets de pierres contre des agents des forces de sécurité ».

Lorsque la vidéo d’Aly et de Youssef a été mise en ligne sur les réseaux sociaux, les internautes ont fait le lien avec l’affaire Omar Labidi et ont lancé le hashtag #اجري_ تعلم (« Apprends à courir » en arabe).

Lorsque la police frappe des individus maîtrisés et n’opposant aucune résistance, cela peut constituer un châtiment ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant, et en fonction de la gravité des violences et de leur finalité, un acte de torture. Or, la torture et les autres mauvais traitements sont strictement interdits, en toutes circonstances, en vertu de toute une série de traités auxquels la Tunisie est partie. Toute allégation de torture ou d’autres mauvais traitements doit faire l’objet dans les meilleurs délais d’une enquête efficace, menée par un organisme impartial et indépendant, et, lorsqu’il existe des éléments de preuve suffisants et recevables, les auteurs présumés doivent être traduits en justice, dans le cadre d’un procès équitable.

Aly a déclaré à Amnesty International que son avocat avait porté plainte contre la police pour violence. Les policiers auraient à leur tour porté plainte contre lui pour jets de pierres, une accusation rejetée par les deux frères, qui affirment ne pas avoir pris part aux affrontements qui ont éclaté après le match. Dix mois après les faits, Aly confirmait à Amnesty International qu’il attendait toujours l’ouverture d’une enquête.

Ayman Othmani

« Si j’avais été aux côtés de mon fils quand c’est arrivé, je l’aurais protégé de mon corps et j’aurais pris la balle à sa place. Il ne me reste plus grand-chose dans ma vie. Je lui aurais permis de continuer à vivre la sienne. Mon fils était si jeune et il n’avait rien fait de mal », a déclaré la mère d’Ayman à Amnesty International.

Dans l’après-midi du 23 octobre 2018, Ayman Othmani, 19 ans, a été abattu par la police lors d’une opération menée contre un entrepôt de Sidi Hassine, un quartier de Tunis. La police soupçonnait la présence de marchandises de contrebande dans ce bâtiment. Selon des témoins, plusieurs policiers auraient entouré Ayman Othmani après l’avoir blessé par balle, alors que le jeune homme gisait inanimé sur le sol, et l’auraient roué de coups pendant au moins 10 minutes. Ayman Othmani a finalement succombé à ses blessures. Selon sa famille et l’avocat de celle-ci, qui ont pu consulter le rapport du médecin légiste, le jeune homme avait été atteint de deux balles, dans le dos et à la cuisse.

De violents affrontements avaient éclaté à la suite de l’intervention entre les agents des douanes et des jeunes du quartier, dont certains avaient commencé à jeter des pierres. Intrigués par l’opération inhabituelle menée par les forces de sécurité, les habitants du voisinage s’étaient regroupés dans la rue, curieux de savoir ce qui se passait. Selon la mère d’Ayman, le jeune homme se serait retrouvé pris dans les affrontements vers 15 heures, après sa pause déjeuner, qu’il avait prise chez lui, et alors qu’il retournait sur le chantier où il travaillait. Au moins trois témoins ont déclaré dans des interviews publiées par la plateforme d’informations indépendante « Nawaat » et sur les réseaux sociaux par la représentante de Human Rights Watch que les agents des douanes avaient tiré à balles réelles contre des personnes qui jetaient des pierres.

Selon les entretiens publiés et les images dont disposait la famille et auxquelles Amnesty International a pu avoir accès, les témoins qui ont vu Ayman pendant les affrontements ont déclaré qu’il n’avait pas jeté de pierres et qu’il avait essayé de se cacher derrière un tonneau d’eau, avant de tenter de s’échapper. Le fait qu’Ayman ait été touché par une balle dans le dos semble corroborer la version selon laquelle il tentait de quitter les lieux.

Imed Othmani, le frère d’Ayman, a indiqué à Amnesty International que plusieurs agents avaient écrasé le visage d’Ayman sous leurs chaussures, alors que celui-ci gisait à terre, puis l’avaient traîné en le tirant par les épaules. Des vidéos réalisées par des voisins et qu’Amnesty International a pu voir viennent appuyer les déclarations d’Imed. La famille a en outre expliqué à Amnesty International qu’Ayman n’avait été conduit à l’hôpital que vers 17 heures, soit deux heures après le début des affrontements. Selon elle, les agents des douanes auraient empêché des voisins d’appeler une ambulance, affirmant l’avoir déjà fait. Comme l’ambulance n’arrivait pas, le jeune homme a finalement été conduit à l’hôpital en voiture par un voisin. Il est décédé vers minuit.

Plus tard dans la journée, la Direction des douanes a publié une déclaration, dans laquelle elle affirmait que ses agents avaient appliqué la procédure appropriée en matière de recours gradué à une force nécessaire. On peut notamment y lire que les agents des douanes auraient dans un premier temps mis en garde les « agresseurs », qui auraient poursuivi l’escalade de la violence et même tenté de s’emparer des armes des agents. Toujours selon cette déclaration, lesdits agents auraient tiré des coups de feu en l’air pour se frayer un passage et pouvoir quitter le quartier. Ce n’est qu’à ce moment qu’ils auraient remarqué qu’un individu (Ayman Othmani) était allongé à terre. En dépit des témoignages qui confirment qu’Ayman ne faisait que passer sur les lieux, la déclaration officielle le présente comme l’un des « agresseurs ».

Les éléments recueillis, entre autres par Amnesty International, montrent qu’Ayman Othmani ne constituait manifestement pas une menace directe et imminente pour la vie des membres des forces de sécurité et des autres personnes présentes. Le 7 mars 2019, le juge d’instruction a confirmé l’inculpation de deux agents des douanes pour homicide involontaire et de trois de leurs collègues pour non-assistance à personne en danger. L’affaire a été confiée à la chambre criminelle du tribunal de première instance de Tunis II. L’avocate a introduit un pourvoi en cassation pour que les charges soient aggravées, estimant que les conclusions de l’instruction n’étaient pas satisfaisantes.

Iheb

Le 27 octobre 2018, plusieurs policiers ont attrapé le jeune Iheb (nous ne donnons pas son nom complet), un lycéen âgé de 19 ans, alors qu’il quittait le stade de Radès, après un match de football, et se sont mis à le frapper. La famille d’Iheb a porté plainte pour torture, mais, pour l’instant, l’affaire est toujours au point de départ.

Le samedi 27 octobre 2018, en fin d’après-midi, Iheb s’apprêtait à quitter le stade de Radès, après avoir assisté à un match de football. Selon son témoignage, recueilli par Amnesty International, des affrontements opposaient certains supporters à la police, et il a préféré attendre que les choses se calment avant de sortir du stade. Il affirme ne pas avoir participé aux violences.

Alors qu’il arrivait en bas des escaliers, plusieurs policiers se seraient emparés de lui et auraient commencé à le frapper. Iheb a déclaré à Amnesty International avoir été roué de coups par au moins six policiers, qui l’auraient frappé à la tête et sur tout le corps à coups de matraque, en lui criant qu’il insultait la police. Les coups ne se seraient arrêtés que lorsqu’il a commencé à saigner de la tête. Iheb affirme également qu’il commençait à se sentir mal. Il a été embarqué dans un fourgon de police, où il a été menotté, soumis à de nouvelles brutalités et accusé de vendre de la drogue dans l’enceinte du stade – ce qu’il nie formellement. Les policiers auraient ensuite menacé de le violer :

« Ils ne m’ont pas dit qu’ils m’arrêtaient ni où ils m’emmenaient. Je n’avais aucune idée de ce qui se passait, car je saignais et j’avais des étourdissements. À un moment donné, le fourgon s’est arrêté et deux policiers, ainsi que le chauffeur, m’ont menacé de viol. J’ai pensé qu’ils allaient vraiment le faire, jusqu’à ce que l’un d’eux se ravise et dise aux autres que ça ne valait pas la peine. »

Deux policiers […] m’ont menacé de viol.

Iheb, lycéen âgé de 19 ans

Les violences policières sur la personne d’un détenu, ayant nécessité des soins à l’hôpital, et la menace de viol jugée crédible par la victime constituent clairement un traitement cruel, inhumain et dégradant, voire des actes de torture.

Iheb a finalement été conduit au commissariat de la Nouvelle Médina. Iheb a expliqué à Amnesty International qu’il avait alors demandé à plusieurs reprises à être emmené à l’hôpital et à appeler ses parents. Au commissariat, le jeune homme a été interrogé. Il s’est défendu d’avoir eu de la drogue dans les poches, comme l’en accusaient les policiers.

Après avoir signé sa déposition, il a été conduit par des policiers à l’hôpital Charles Nicolle. La médecin qui l’a examiné l’a envoyé dans une autre salle pour recevoir des points de suture, indiquant qu’elle souhaitait le revoir après. Or, à peine les points de suture posés, les policiers l’on conduit au centre de détention de Bouchoucha, qui est géré par la police, sans qu’il puisse subir d’examen complémentaire. On ne l’a pas autorisé à appeler ses parents et il est resté trois jours au centre de Bouchoucha, pour finalement être relâché le 30 octobre.

Lorsqu’Iheb est retourné à l’hôpital pour récupérer le compte rendu médical, le personnel lui a dit que celui-ci était introuvable. Il s’est donc retrouvé avec comme seul justificatif une attestation d’admission, indiquant qu’il avait effectivement été hospitalisé le 27 octobre, mais sans aucun certificat médical décrivant l’état dans lequel il était à son arrivée. Iheb pense que le compte rendu de la médecin n’a jamais été enregistré, afin de ne pas révéler ce qu’il s’était passé. Selon un certificat rédigé par un médecin légiste privé sollicité par la famille du jeune homme et dont Amnesty International a pu prendre connaissance, ce dernier souffrait d’une épaule démise et d’un traumatisme crânien, et présentait des hématomes sur tout le corps, y compris sur le bas-ventre.

La famille d’Iheb a porté plainte le 23 novembre 2018 contre les policiers impliqués dans les brutalités. La sous-direction des affaires criminelles de Hay El Khadhra, à Tunis, a été chargée par le parquet de mener une enquête préliminaire. Iheb a été convoqué le 6 décembre 2018 par la police au sujet de sa plainte. Toutefois, la procédure est actuellement au point mort et les auteurs des violences n’ont toujours pas été traduits en justice.

Les réformes

Le gouvernement tunisien doit mettre en œuvre sans plus tarder des réformes de l’appareil policier et des services de sécurité du pays, afin que le droit international relatif aux droits humains soit respecté, que les enquêtes soient menées de manière indépendante et efficace, que la justice puisse suivre son cours sans ingérence indue et que s’instaure une véritable confiance dans la justice pénale. Amnesty International recommande, en priorité :

  1. aux autorités, d’enquêter dans les meilleurs délais, de manière approfondie, efficace et impartiale, sur toutes les allégations de torture ou d’autres mauvais traitements, ainsi que sur tous les cas où les forces de sécurité ont manifestement eu recours à une force inutile et excessive, et, lorsqu’existent des éléments de preuve suffisants et recevables, de veiller à ce que les responsables présumés soient poursuivis et sanctionnés ;
  2. au ministère de l’Intérieur, de donner l’ordre aux auteurs présumés d’abus de se présenter devant les juges lorsqu’ils sont convoqués ;
  3. au parquet, d’enquêter sur la non-comparution d’auteurs présumés devant les tribunaux ;
  4. au ministère de l’Intérieur, d’interdire aux forces de sécurité et à leurs syndicats de menacer ou de se livrer à des pressions, quelles qu’elles soient, sur des magistrats enquêtant sur des abus perpétrés par certains de leurs membres, et d’enquêter sur les cas de refus d’accomplissement ou de non-accomplissement de leurs devoirs de la part de certains fonctionnaires ;
  5. au ministère de l’Intérieur, de suspendre de leur service actif les membres des forces de sécurité accusés d’abus, jusqu’à conclusion de l’enquête les concernant ;
  6. au ministère de l’Intérieur, de revoir en permanence les formations proposées aux responsables de l’application des lois, pour éviter que ne se reproduisent certaines erreurs ou, plus généralement, certaines conséquences indésirables de l’action desdits responsables ;
  7. aux autorités, d’élaborer un cadre de protection des victimes et des témoins d’abus de la part des forces de sécurité.