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Afrique 2024

Alors que les conflits armés en Afrique ont causé des souffrances incessantes aux populations civiles, notamment en les exposant de plus en plus couramment à des violences sexuelles ou fondées sur le genre, et engendré d’innombrables décès, les réactions internationales et régionales sont demeurées cruellement insuffisantes, donnant aux civil·e·s le sentiment d’être oubliés.

La crise du coût de la vie s’est aggravée à mesure que les prix des denrées alimentaires, des combustibles et d’autres produits de première nécessité grimpaient en flèche. Les taux d’imposition élevés, les dettes publiques insoutenables, la corruption généralisée et incontrôlée, l’escalade des conflits et les phénomènes météorologiques extrêmes n’ont fait qu’accentuer cette crise.

Manifester revenait à mettre sa vie en péril. Bien trop souvent, les manifestations ont été dispersées avec violence, ce qui a eu des conséquences meurtrières. Par ailleurs, les attaques visant les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association restaient endémiques. Parmi les méthodes répressives utilisées par les États figuraient les disparitions forcées et les arrestations et détentions arbitraires d’opposant·e·s, de défenseur·e·s des droits humains, de militant·e·s, de journalistes et de personnes critiques à l’égard des autorités.

Cette année encore, les perturbations provoquées par les conflits et le changement climatique ont été les principaux facteurs de déplacement forcé, et le Soudan était toujours le théâtre de la plus grande crise au monde en matière de déplacements de population. Le nombre de personnes réfugiées originaires de zones de conflit a continué d’augmenter, et beaucoup de réfugié·e·s vivaient dans des conditions déplorables ou dans la crainte d’un renvoi forcé.

La discrimination et les violences fondées sur le genre, alimentées par des normes sociétales, étaient toujours le lot quotidien des femmes et des filles.

Les pays à revenus élevés, qui portaient la responsabilité principale du changement climatique, n’ont pas mis à disposition des fonds suffisants pour compenser les pertes et préjudices ni pour financer des mesures d’adaptation. En conséquence, cette année encore, les populations ont payé le plus lourd tribut aux sécheresses prolongées, aux inondations récurrentes ainsi qu’aux tempêtes et aux chaleurs extrêmes, probablement accentuées par le changement climatique.

La culture de l’impunité continuait d’encourager les auteurs de crimes de droit international et d’autres atteintes graves ou manifestes aux droits humains.

Attaques et homicides illégaux

Des attaques et homicides illégaux imputables aux forces gouvernementales et à des groupes armés ont été signalés dans toute la région, notamment au Burkina Faso, au Cameroun, en Éthiopie, au Mali, au Mozambique, au Niger, au Nigeria, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo (RDC), en Somalie, au Soudan et au Soudan du Sud.

Les opérations des forces gouvernementales ont souvent laissé dans leur sillage des victimes civiles. Au Burkina Faso, l’armée aurait tué au moins 223 civil·e·s, dont au moins 56 enfants, dans les villages de Soro et de Nodin en février. Des centaines de civil·e·s auraient aussi été tués en mai par l’armée et ses forces supplétives lors d’une opération de ravitaillement de villes assiégées dans l’est du pays. En Éthiopie, à la suite d’affrontements armés entre les forces gouvernementales et des milices qui ont eu lieu en janvier à Merawi, dans la région Amhara, les forces gouvernementales ont arrêté de nombreux civils chez eux, dans des magasins et dans la rue, et les ont exécutés.

Dans plusieurs conflits, des frappes aériennes ou des attaques de drone lancées par les forces gouvernementales ont fait des victimes civiles. Au Mali, des frappes de drone menées par l’armée ont tué au moins 27 civil·e·s, dont 18 enfants, en mars et huit civil·e·s, dont six enfants, en octobre. Au Niger, l’armée a procédé en janvier à une frappe de drone sur le village de Tiawa, dans la région de Tillabéri, tuant une cinquantaine de civil·e·s. Au Nigeria, des frappes aériennes militaires dans l’État de Kaduna ont tué 23 personnes dans un village, dont des fidèles qui se trouvaient dans une mosquée et des personnes qui faisaient leurs courses au marché. En Somalie, deux frappes menées au moyen de drones de fabrication turque, à l’appui des opérations de l’armée somalienne, ont tué 23 civil·e·s, dont 14 enfants, dans la région du Bas-Shabelle au mois de mars.

Des groupes armés étaient responsables de certaines des attaques les plus meurtrières contre la population civile. Au Burkina Faso, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) aurait tué environ 200 personnes, dont des civil·e·s, à Barsalogho en août. En RDC, la plupart des homicides de civil·e·s ont eu lieu lorsque des groupes armés, notamment le Mouvement du 23 mars (M23), la Coopérative pour le développement du Congo et les Forces démocratiques alliées (ADF), ont affronté les forces gouvernementales dans l’est et l’ouest du pays. En juin, les ADF ont tué plus de 200 civil·e·s lors de deux attaques distinctes. La Mission d’assistance des Nations unies en Somalie a indiqué qu’Al Shabab était responsable de 65 % des 854 victimes civiles recensées dans le pays entre janvier et septembre. Au Soudan, les Forces d’appui rapide (FAR) ont poursuivi leurs attaques contre des civil·e·s, parfois motivées par des considérations ethniques. En octobre, les FAR ont lancé des attaques de représailles contre des villes et des villages situés dans l’est de l’État d’Al Djazirah, après la défection d’un de leurs commandants et son ralliement aux Forces armées soudanaises. Ces attaques ont fait au moins 124 morts en sept jours parmi la population civile, selon les Nations unies.

Les groupes armés prenaient fréquemment pour cible des lieux de culte, des écoles, des hôpitaux et d’autres biens de caractère civil. Au Burkina Faso, un groupe armé a tué 15 fidèles dans une église catholique d’Essakane, dans la région du Sahel, le 25 février. Le même jour, un autre groupe armé affilié au GSIM s’en est pris à une mosquée de Natiaboani, dans la région de l’Est, tuant au moins 14 personnes. En août, le GSIM a tué 26 civil·e·s dans une église de Kounla, dans la région de la Boucle du Mouhoun. Au Mozambique, en février, des groupes armés ont réduit en cendres trois églises et deux écoles et incendié un hôpital dans le district de Chiúre.

Les parties aux différents conflits armés doivent respecter le droit international humanitaire, notamment en protégeant la population civile, les institutions religieuses, les établissements d’enseignement et les autres biens culturels et en cessant de mener des attaques sans discernement ou ciblant des personnes ou des infrastructures civiles.

Violences sexuelles ou fondées sur le genre liées aux conflits

Le nombre de cas de violences sexuelles liées aux conflits a augmenté de façon alarmante. En République centrafricaine, plus de 11 000 cas de violences fondées sur le genre ont été signalés au cours du premier semestre. En RDC, le nombre de cas signalés a doublé au premier trimestre de 2024 par rapport à la même période en 2023. La Mission internationale indépendante d’établissement des faits pour le Soudan [ONU] a découvert que des membres des FAR avaient perpétré des violences sexuelles généralisées dans ce pays, lors d’attaques de villes situées dans la région du Darfour et dans le Grand Khartoum. Des soldats des FAR ont à maintes reprises violé, seuls ou en réunion, des femmes et des filles devant des membres de leur famille, en particulier dans la région du Darfour et dans l’État d’Al Djazirah. Les violences sexuelles liées au conflit étaient également courantes en Somalie et au Soudan du Sud. Dans une affaire survenue en Somalie, deux membres de l’armée nationale somalienne auraient violé deux sœurs âgées de 15 et 16 ans.

Les parties aux différents conflits armés doivent donner à leurs membres et à leurs forces des ordres clairs interdisant les violences sexuelles ou fondées sur le genre.

Droits économiques et sociaux

Droit à l’alimentation

Une grande partie de la population de la région souffrait toujours de la faim. En Afrique australe, l’Angola, le Botswana, le Lesotho, le Malawi, la Namibie, la Zambie et le Zimbabwe ont connu la pire sécheresse imputable à El Niño depuis un siècle, et certains de ces pays ont même déclaré l’état d’urgence pour y faire face. La sécheresse a détruit des cultures et provoqué la mort de bétail, menaçant la sécurité alimentaire de millions de personnes. En août, la Communauté de développement de l’Afrique australe a annoncé que 17 % de la population de cette région (soit 68 millions de personnes) avait besoin d’une aide.

L’insécurité alimentaire grave a aussi touché d’autres pays d’Afrique, notamment la République centrafricaine, la Somalie et le Soudan du Sud. En République centrafricaine, plus de 2,5 millions de personnes étaient concernées : ainsi, plus de 50 % de la population du Mbomou, de la Haute-Kotto et d’autres préfectures était en situation d’urgence ou de crise sur le plan de la sécurité alimentaire. En Somalie, au moins quatre millions de personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire à un niveau de crise ou d’urgence, et on estimait que 1,6 million d’enfants âgés de six à 59 mois souffraient de malnutrition aiguë. Au Soudan du Sud, environ 7,1 millions de personnes (56,3 % de la population) allaient être confrontées à une insécurité alimentaire en phase de crise ou supérieure pendant l’année, selon les prévisions, et plus de 2,5 millions d’enfants et de femmes souffraient de malnutrition aiguë.

Droit à l’éducation

Bien que l’UA se soit engagée à bâtir des systèmes éducatifs résilients, les conflits et l’insécurité ont empêché des millions d’enfants d’aller à l’école. En violation de la Déclaration sur la sécurité dans les écoles (un accord intergouvernemental pour la protection de l’éducation en période de conflit armé), des centaines d’écoles situées dans des zones de conflit ont été détruites lors d’attaques ou sont devenues des refuges pour personnes déplacées. Au Soudan, plus de 17 millions d’enfants étaient toujours déscolarisés et, en mai, l’organisation Save the Children a signalé que le nombre d’attaques contre des écoles avait quadruplé depuis le début du conflit, en avril 2023. En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, l’UNICEF a indiqué que, en septembre, plus de 14 000 écoles étaient fermées en raison du conflit, ce qui concernait 2,8 millions d’enfants. Au Burkina Faso, en mars, 5 319 écoles avaient fermé leurs portes du fait du conflit. Ces fermetures concernaient près d’un million d’élèves.

Droit à la santé

Cette année encore, les États n’ont pas tenu l’engagement qu’ils avaient pris dans la Déclaration d’Abuja plus de deux décennies auparavant, lequel consistait à allouer 15 % de leur budget national à la santé. Sachant que les pays ne consacraient en moyenne que 7,4 % du budget national à la santé, les systèmes de santé publique peinaient à fournir des services de qualité. Dans le même temps, le coût des soins de santé demeurait élevé et, en décembre, l’OMS a alerté sur le fait que les États, en attendant des particuliers qu’ils payent leurs propres soins, poussaient plus de 150 millions de personnes vers la pauvreté dans toute la région. Au Kenya, le nouveau système national d’assurance maladie a créé des difficultés d’accès aux soins pour de nombreux patient·e·s. Sur une note positive, le Ghana a étendu sa campagne de vaccination contre le paludisme, tandis que le Niger a annoncé une réduction de 50 % des frais à la charge des patient·e·s pour les soins médicaux, analyses de laboratoire, examens d’imagerie et interventions médicales ou chirurgicales, et a supprimé le reste à charge pour les accouchements et les dialyses dans les hôpitaux publics.

Une épidémie de variole simienne (mpox) a touché plusieurs pays, dont l’Afrique du Sud, le Burundi, le Cameroun, le Congo, la République centrafricaine et la RDC, suscitant de profondes inquiétudes dans toute la région. Au 30 juillet, 14 250 cas et 456 décès avaient été enregistrés dans 10 pays, ce qui représentait une hausse de 160 % et 19 %, respectivement, par rapport à la même période en 2023. La RDC comptait plus de 96 % des cas et des décès recensés. L’OMS a déclaré en août que cette épidémie était « une urgence de santé publique de portée internationale ».

Expulsions forcées

Des milliers de personnes se sont retrouvées sans abri et sans ressources à la suite d’expulsions forcées dans plusieurs pays, dont le Congo, la Côte d’Ivoire et le Kenya. Au Congo, des habitant·e·s de Mpili (département du Kouilou) ont été réinstallés de force pour laisser la place aux activités d’extraction de potasse d’une entreprise chinoise. Au Kenya, alors que des pluies torrentielles et des inondations étaient en cours, les pouvoirs publics ont démoli les habitations d’au moins 6 000 familles des quartiers de Mathare et de Mukuru Kwa Njenga, à Nairobi.

Les États doivent prendre immédiatement des mesures face aux difficultés socioéconomiques, et notamment agir sans délai pour prévenir la famine et s’attaquer aux causes sous-jacentes de l’insécurité alimentaire. Ils doivent approuver et appliquer la Déclaration sur la sécurité dans les écoles et garantir aux enfants l’accès à l’éducation dans les zones de conflit. Ils doivent également faire des dépenses publiques en faveur de la santé une priorité, conformément à la Déclaration d’Abuja. Enfin, ils doivent mettre un terme aux expulsions forcées et instaurer un moratoire sur les expulsions collectives en attendant la mise en place de garanties juridiques et procédurales satisfaisantes pour les personnes menacées d’expulsion.

Répression de la dissidence

Liberté de réunion

Le recours excessif à la force par les forces de sécurité était monnaie courante. Il a été fait état d’homicides et d’arrestations collectives de manifestant·e·s par la police dans plusieurs pays, notamment en Guinée, au Kenya, au Mozambique, au Nigeria et au Sénégal. En Guinée, un manifestant de 17 ans a été abattu en février, lors d’une grève syndicale. En mars, deux garçons âgés de huit et 14 ans ont été tués par balle lors de manifestations déclenchées par une coupure de courant dans la ville de Kindia. Au Sénégal, en février, les forces de sécurité ont tué quatre personnes, dont un adolescent de 16 ans, au cours de manifestations contre le report de l’élection présidentielle. Au Kenya, l’institution nationale chargée des droits humains a recensé 60 décès en juin et en juillet dans le contexte des manifestations contre le projet de loi de finances. Plus de 600 manifestant·e·s ont été arrêtés entre juin et août. Au Mozambique, à la suite des élections d’octobre, dont le résultat était contesté, les forces de sécurité se sont livrées à la pire répression de manifestations depuis des années. Au moins 277 personnes sont mortes, dont des enfants et de simples passant·e·s. Au Nigeria, au moins 24 personnes ont été tuées lors des manifestations du mouvement #EndBadGovernance en août, et plus d’un millier de personnes ont été arrêtées.

Une répression violente des manifestations par les forces de sécurité a aussi été signalée en Angola, au Bénin, au Botswana, en Côte d’Ivoire, en Guinée équatoriale et en Ouganda. Dans d’autres pays, comme la Tanzanie, le Tchad, le Togo et la Zambie, les autorités ont interdit des manifestations. En Tanzanie, plus de 500 personnes appartenant au CHADEMA, un parti d’opposition, ont été arrêtées en août parce qu’elles n’auraient pas respecté l’interdiction visant une conférence pour la jeunesse. En septembre, la police a annoncé l’interdiction de toutes les manifestations du CHADEMA. Au Togo, les manifestations et réunions prévues par des partis politiques d’opposition et par la société civile pour débattre des propositions de modification de la Constitution étaient régulièrement interdites.

Liberté d’expression

Les États ont pris pour cible leurs détracteurs et détractrices, qui ont subi des manœuvres d’intimidation, des arrestations et un harcèlement judiciaire. Au Cameroun, en octobre, le ministre de l’Administration territoriale a interdit « tout débat dans les médias sur l’état du président de la République », à la suite de rumeurs concernant la santé de Paul Biya. En Eswatini, les autorités ont continué à s’appuyer sur la Loi de 2008 relative à la répression du terrorisme pour s’attaquer aux personnes critiquant le régime. À Madagascar, les autorités ont utilisé le logiciel espion Predator pour surveiller des membres de l’opposition politique. Au Sénégal, l’homme politique Ahmed Suzanne Camara a été arrêté en juillet et inculpé d’« offense au chef de l’état ». Il avait qualifié le président et le Premier ministre de « menteurs ». Cheikhna Keita, un autre homme politique, a été arrêté en septembre après s’être exprimé à la télévision au sujet des tensions entre le président et le Premier ministre.

En Ouganda, huit musiciens ont été arrêtés par des militaires en avril ; lors d’un événement public, des personnes les avaient entendus se plaindre d’un discours du président Yoweri Museveni. Toujours en avril, un tribunal a interdit à Ibrahim Musana, un militant actif sur les réseaux sociaux, de mentionner en ligne les noms de plusieurs représentant·e·s de l’État, dont Yoweri Museveni, en attendant la conclusion d’une affaire dans laquelle le militant était mis en cause, notamment pour promotion de discours haineux. En juillet, un tribunal a condamné Edward Awebwa à six ans d’emprisonnement pour avoir diffusé des vidéos tournant en dérision le président. En Zambie, les autorités ont porté des accusations peu circonstanciées contre plusieurs personnes ayant relayé des allégations de corruption ou critiqué des représentant·e·s de l’État. Ainsi, Raphael Nakacinda, secrétaire général du Front patriotique (un parti d’opposition), a été condamné à 18 mois d’emprisonnement pour « diffamation envers le président », au titre d’une loi pourtant abrogée en 2021.

Plusieurs pays ont tenté d’introduire de nouvelles restrictions visant le droit à la liberté d’expression. En Guinée équatoriale, le Parlement a entamé en mars l’examen d’un projet de loi sur la cybercriminalité qui, s’il était adopté, instaurerait de nouvelles restrictions concernant l’utilisation des réseaux sociaux. En Gambie et au Lesotho, il était à craindre que les projets de loi en cours d’examen par les parlementaires ne conduisent à des atteintes au droit à la liberté d’expression ou à des restrictions de ce droit, s’ils étaient adoptés sans modification. Au Niger, les autorités ont rétabli des peines d’emprisonnement pour la diffamation et des infractions connexes, réduisant à néant les progrès précédemment accomplis en matière de droit à la liberté d’expression.

Les États ont fait peu de cas de l’appel lancé en mars par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples leur demandant de ne pas couper les télécommunications et services internet ni bloquer l’accès aux plateformes numériques. De telles pratiques ont été signalées dans plusieurs pays, dont les Comores, l’Éthiopie, la Guinée, le Kenya, Maurice, la Mauritanie, le Mozambique, le Sénégal et le Soudan. Au Soudan, le blocage presque total des télécommunications en février a fortement compromis la coordination de l’aide d’urgence et des services humanitaires à destination des millions de personnes prises au piège du conflit.

Liberté de la presse

La répression visant les journalistes a nourri un climat de peur qui a conduit à l’autocensure. Des journalistes ont été menacés, agressés physiquement et/ou arrêtés arbitrairement en Angola, en Guinée, au Kenya, au Lesotho, au Nigeria, en Tanzanie, au Tchad, au Togo, au Zimbabwe et dans d’autres pays. Au 10 décembre, huit journalistes avaient été tués en Afrique, dont cinq au Soudan, selon la Fédération internationale des journalistes. Le journaliste tchadien Idriss Yaya, sa femme et son fils de quatre ans ont été assassinés en mars. Il avait auparavant reçu des menaces, probablement liées au fait qu’il avait rendu compte de l’escalade des conflits intercommunautaires dans la région de Mongo.

Plus de deux décennies après la disparition de la presse libre en Érythrée, plus aucun média privé n’était officiellement enregistré dans le pays. Au Bénin, au Burkina Faso, en Guinée, en Tanzanie et au Togo, entre autres, les autorités ont suspendu ou menacé de suspendre les activités de journaux et d’autres médias. Au Burkina Faso, en représailles de la couverture des massacres de Nodin et de Soro, les autorités ont suspendu pendant deux semaines les émissions des sociétés de radiodiffusion TV5 Monde, BBC et Voice of America, ainsi que l’accès aux sites internet de neuf organes de presse burkinabè. En Guinée, les autorités ont ordonné la révocation des licences de plusieurs stations de radio et chaînes de télévision pour « non-respect du contenu des cahiers des charges ». L’Autorité de régulation des communications de Tanzanie a suspendu pendant 30 jours les plateformes numériques du journal The Citizen, au motif que du contenu de nature à troubler « l’unité nationale et la paix sociale » y avait été publié. Le contenu en question était une vidéo évoquant des personnes qui avaient été victimes d’un homicide ou d’une disparition. Au Togo, les autorités ont suspendu les accréditations de tous les journalistes étrangers pour la couverture des élections d’avril.

Liberté d’association

Des organisations de la société civile ont vu leurs possibilités d’organiser et de mener librement leurs activités limitées. En Côte d’Ivoire, les autorités ont pris une ordonnance réglementant les activités de ces organisations ; il était à craindre que cette mesure ne serve à s’ingérer dans les finances de ces dernières et à contrôler leurs activités. L’État éthiopien a suspendu arbitrairement les agréments de cinq organisations nationales de défense des droits humains ; quatre de ces mesures de suspension étaient toujours en vigueur à la fin de l’année. En Guinée, les autorités ont suspendu pour quatre mois le renouvellement de l’agrément de plusieurs ONG, le temps d’évaluer leurs activités. Au Rwanda, une nouvelle loi a imposé des restrictions portant sur les décisions budgétaires et de gestion des ONG nationales.

En Ouganda, une modification de la loi relative aux ONG a ouvert la voie à la dissolution du Bureau des ONG, structure semi-autonome, et à son rétablissement sous la forme d’un département au sein du ministère de l’Intérieur, ce qui était le signal d’une centralisation des décisions, d’une reprise de contrôle et d’une plus grande surveillance des affaires relatives aux ONG de la part du gouvernement. Au Zimbabwe, le projet de loi de 2024 portant modification de la Loi relative aux organisations bénévoles privées, toujours en cours d’examen par le Sénat à la fin de l’année, contenait des dispositions qui pouvaient servir à limiter l’espace civique et à menacer l’existence, l’indépendance et les activités des organisations de la société civile.

Les États doivent veiller à ce que les organes chargés de l’application des lois respectent le droit international relatif aux droits humains et les normes internationales en la matière, notamment s’agissant du recours à la force. Ils doivent mettre fin à toutes les formes de harcèlement contre les personnes exerçant leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, et créer un environnement sûr et favorable dans lequel les organisations de la société civile puissent fonctionner.

Arrestations et détentions arbitraires et disparitions forcées

Des arrestations et détentions arbitraires de militant·e·s de l’opposition et de défenseur·e·s des droits humains ont été observées dans de nombreux pays, tels que l’Angola, le Bénin, le Burkina Faso, le Burundi, la Guinée équatoriale, le Mali, le Mozambique, le Niger, le Soudan du Sud, la Tanzanie, le Tchad, le Togo, la Zambie et le Zimbabwe. En Angola, la santé d’Adolfo Campos et de Gildo das Ruas, deux militants détenus, s’est considérablement dégradée lorsqu’ils ont été privés de soins médicaux. Au Tchad, après l’homicide du dirigeant de l’opposition Yaya Dillo en février, lors d’une opération lancée par les forces de sécurité au siège de son parti, 25 de ses proches ont été arrêtés et, pour la plupart, placés en détention dans une prison de haute sécurité sans pouvoir consulter un·e avocat·e ni bénéficier de soins médicaux. En juillet, 14 d’entre eux ont été condamnés à 10 ans d’emprisonnement et 10 autres ont été relaxés, tandis qu’une personne restait détenue sans inculpation. Ces 25 hommes ont finalement tous été remis en liberté sans explication en novembre et en décembre. Au Mali, en juin, la gendarmerie a arrêté 11 personnalités politiques pour avoir tenu une réunion à Bamako, la capitale. Inculpées de « troubles à l’ordre public » et « complot contre l’État », ces personnes ont été libérées en décembre.

Ailleurs dans la région, les autorités ont eu de plus en plus recours à des arrestations collectives, visant des centaines de personnes. Au Congo, 580 personnes ont été arrêtées en mai et en juin après le lancement par les autorités de Brazzaville d’une opération de lutte contre la criminalité baptisée Opération coup de poing. En Éthiopie, les autorités ont arrêté des centaines de personnes dans tout le pays sous prétexte de faire appliquer l’état d’urgence. L’armée fédérale et les forces de sécurité ont lancé une nouvelle campagne d’arrestations de masse dans la région Amhara en septembre, plaçant en détention plusieurs milliers de personnes en quatre jours. Au Mozambique, des centaines de personnes ont été arrêtées à l’approche des élections législatives d’octobre en raison de leur soutien ou de leur appartenance au Parti optimiste pour le développement du Mozambique, une formation d’opposition. Des milliers d’autres ont été arrêtées après les élections. Au Zimbabwe, les autorités ont intensifié leur politique de répression contre la dissidence politique, arrêtant plus de 160 personnes, dont des membres de l’opposition, des responsables syndicaux, des étudiant·e·s et des journalistes, à l’approche du Sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté de développement de l’Afrique australe qui s’est tenu le 17 août dans la capitale, Harare. En juin, la police avait arrêté 78 personnes lors d’une opération contre un rassemblement privé au domicile de Jameson Timba, dirigeant du parti d’opposition Coalition des citoyen·ne·s pour le changement.

Les disparitions forcées demeuraient courantes, notamment en Angola, au Burkina Faso, au Burundi, en Guinée, au Kenya, au Mali, en Sierra Leone et en Tanzanie. L’Association juridique du Kenya a indiqué qu’au moins 72 personnes avaient été victimes de disparition forcée en lien avec les manifestations contre le projet de loi de finances dans le pays. En Guinée, on ignorait toujours à la fin de l’année ce qu’il était advenu d’Omar Sylla et de Mamadou Billo Bah, membres du Front national pour la défense de la Constitution, arrêtés en juillet, ainsi que du journaliste Habib Marouane Camara, arrêté début décembre.

Les États doivent mettre fin aux arrestations et détentions arbitraires ainsi qu’aux disparitions forcées de défenseur·e·s des droits humains, de militant·e·s, de journalistes, d’opposant·e·s et de personnes critiques à l’égard des autorités. Ils doivent libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues uniquement pour avoir exercé de manière pacifique leurs droits humains, et révéler ce qu’il est advenu de toutes les victimes de disparition forcée et l’endroit où elles se trouvent.

Droits des personnes déplacées, réfugiées ou migrantes

Avec plus de 11 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays, dont 8,6 millions depuis avril 2023, le Soudan était le théâtre de la plus grande crise au monde en matière de déplacements de population. Le nombre de personnes déplacées a aussi atteint des niveaux vertigineux dans d’autres pays, tels que la RDC (7,3 millions), le Burkina Faso (2 millions), le Soudan du Sud (2 millions), la Somalie (552 000), la République centrafricaine (455 533) et le Mali (331 000). Les conditions de vie dans les camps de personnes déplacées demeuraient déplorables, les attaques continuelles de groupes armés ne faisant qu’aggraver la situation. En août, les Nations unies ont déclaré une situation de famine dans le camp pour personnes déplacées de Zamzam, au Darfour septentrional (Soudan).

Le nombre de personnes réfugiées originaires de zones de conflit a continué d’augmenter. Plus de 3,2 millions de Soudanais·es avaient trouvé refuge dans des pays voisins. Ils vivaient dans des conditions catastrophiques, notamment en Égypte, où des centaines d’entre eux étaient détenus arbitrairement dans l’attente de leur renvoi forcé au Soudan. Entre janvier et mars, les autorités égyptiennes ont renvoyé de force environ 800 ressortissant·e·s soudanais.

Plus de 20 000 personnes migrantes de divers pays ont été renvoyées par l’Algérie à Assamaka, ville de la région d’Agadez, au Niger, entre janvier et août. En mai, plusieurs personnes sont mortes, vraisemblablement d’épuisement, sur la route ou à leur arrivée à Assamaka.

Les États doivent cesser de détenir arbitrairement les personnes réfugiées ou migrantes en raison de leur statut migratoire, et ils doivent les protéger des renvois forcés et des expulsions massives.

Discrimination et marginalisation

Le viol et le meurtre de Heaven Awot, une fillette de sept ans, en Éthiopie et la mort de trois filles ayant subi des mutilations génitales féminines en Sierra Leone sont devenus emblématiques de l’ampleur des violences faites aux femmes et aux filles dans la région. Quelques évolutions positives ont cependant été enregistrées dans plusieurs pays. En Côte d’Ivoire, l’Assemblée nationale a adopté une modification du Code pénal qui autorisait l’avortement en cas d’inceste. Les autorités de Guinée équatoriale ont adopté une déclaration présentant des mesures destinées à éliminer les disparités de genre et à promouvoir l’autonomisation des femmes. Le Parlement gambien a rejeté une proposition de loi visant à lever l’interdiction des mutilations génitales féminines. La Sierra Leone a promulgué une loi interdisant les mariages d’enfants. En Afrique du Sud, la chambre de la Cour Suprême opérant à Pretoria a estimé que certains articles d’une loi relative aux infractions à caractère sexuel étaient contraires à la Constitution dans la mesure où ils prévoyaient une caractérisation subjective de l’intention criminelle, selon laquelle les violences sexuelles n’étaient pas pénalement répréhensibles si l’auteur des faits croyait à tort et de façon déraisonnable que la personne ayant porté plainte était consentante.

Alors que les militant·e·s célébraient le 10e anniversaire de la résolution 275 de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur la protection des personnes LGBTI contre les violences, les autorités ont continué à instrumentaliser leurs systèmes juridiques pour s’en prendre à ces personnes et les traiter de façon discriminatoire. Le Mali a adopté une nouvelle version du Code pénal au titre de laquelle les rapports sexuels consentis entre personnes de même sexe étaient passibles d’une peine d’emprisonnement et d’une amende. Au Burkina Faso, un projet de code de la famille menaçait d’ériger en infraction les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe. Le Parlement ghanéen a adopté une proposition de loi introduisant de nouvelles sanctions pénales contre les personnes LGBTI. Au Malawi et en Ouganda, la justice a confirmé l’interdiction des relations sexuelles consenties entre adultes de même sexe. En Eswatini, les autorités ont persisté dans leur refus d’immatriculer une organisation LGBTI. À l’inverse, des évolutions positives ont été constatées dans d’autres pays, comme l’introduction au Botswana d’un projet de modification de la Constitution qui pourrait protéger les personnes intersexes de la discrimination. La Haute Cour de Namibie a quant à elle invalidé la législation érigeant en infraction les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe.

Les États doivent combattre toutes les formes de discrimination et de violences fondées sur le genre à l’encontre des femmes et des filles, notamment en s’attaquant à leurs causes profondes et en redoublant d’efforts pour éliminer les pratiques préjudiciables. Ils doivent abroger les lois défavorables aux personnes LGBTI et ne pas entreprendre de démarches en vue d’ériger en infraction les relations consenties entre personnes de même sexe.

Droit à un environnement sain

Les pays à revenus élevés, qui portaient la responsabilité principale du changement climatique, n’ont pas rendu disponibles des fonds suffisants pour compenser les pertes et préjudices ni pour financer des mesures d’adaptation. En conséquence, des millions de personnes ont été durement touchées par la sécheresse et des milliers d’autres par des pluies torrentielles et des inondations. Des décès imputables aux inondations ont été recensés dans plusieurs pays, dont le Cameroun, la Côte d’Ivoire, Madagascar, le Mali et le Niger. Au moins 339 personnes au Niger et 177 au Mali ont perdu la vie dans des inondations. À Madagascar, le cyclone Gamane a fait 18 morts, entraîné le déplacement de 20 737 personnes et endommagé des infrastructures essentielles telles que des routes et des ponts.

Plusieurs États ont mobilisé des fonds pour faire face à la crise climatique, ce qui n’a fait qu’accroître le poids de leur dette. La Côte d’Ivoire s’est vu octroyer 1,3 milliard de dollars des États-Unis pour renforcer sa résilience face au changement climatique et opérer sa transition vers des énergies renouvelables. La Namibie a obtenu 10 milliards de dollars des États-Unis pour développer l’« hydrogène vert ». Dans le même temps, l’État sud-africain a annoncé la création d’un fonds d’adaptation au changement climatique afin de gérer les conséquences de ce phénomène et d’accroître la capacité de résilience du pays. À Madagascar, le gouvernement s’est engagé à réduire de 28 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Parmi les autres faits nouveaux, les autorités congolaises ont suspendu les activités de l’entreprise de recyclage Metssa Congo dans le quartier de Vindoulou, à Pointe-Noire, en raison de risques pour l’environnement et la santé de la population aux alentours de l’usine. Les autorités sénégalaises ont, elles, suspendu jusqu’à mi-2027 toutes les activités minières le long de la Falémé en raison de préoccupations sanitaires et environnementales liées à l’utilisation de produits chimiques lors des opérations minières.

Les États doivent prendre des mesures immédiates pour protéger les populations des effets du changement climatique et mieux se préparer aux phénomènes météorologiques extrêmes. Ils peuvent notamment solliciter une aide internationale et un financement auprès des pays à revenus élevés, en particulier ceux qui portent la plus grande responsabilité dans le changement climatique.

Droit à la vérité, à la justice et à des réparations

L’impunité demeurait endémique dans de nombreux pays. Les autorités d’Eswatini n’ont pas enquêté sur plusieurs exécutions extrajudiciaires commises entre 2021 et 2024, dont celle de l’avocat spécialiste des droits humains Thulani Maseko en 2023. En Éthiopie, les autorités ont continué d’ignorer les infractions recensées par les organes chargés des droits humains, et leur initiative de « justice de transition », limitée à la réconciliation, demeurait essentiellement théorique. Au Sénégal, une loi d’amnistie adoptée en mars a mis fin aux poursuites engagées pour les homicides de 65 manifestant·e·s et passant·e·s, commis entre mars 2021 et février 2024.

Cependant, des mesures destinées à promouvoir la justice et l’obligation de rendre des comptes pour les crimes de droit international ont été prises dans plusieurs pays. En République centrafricaine, la Cour pénale spéciale, sous l’égide de l’ONU, a arrêté deux suspects et décerné un mandat d’arrêt international contre l’ancien président François Bozizé pour de possibles crimes contre l’humanité en lien avec des actes commis par sa Garde présidentielle entre 2009 et 2013. L’Assemblée nationale gambienne a adopté en avril des lois portant création du Mécanisme spécial d’obligation de rendre des comptes et du Bureau du procureur spécial. En décembre, la CEDEAO est convenue de mettre en place le Tribunal spécial pour la Gambie, ce qui représentait une avancée en matière d’obligation de rendre des comptes pour les crimes commis sous la présidence de Yahya Jammeh. Au Soudan du Sud, des lois portant création de commissions pour la vérité et les réparations ont été promulguées, mais la mise en place du Tribunal mixte pour le Soudan du Sud est demeurée au point mort.

Dans quelques cas, les poursuites engagées à l’encontre d’auteurs présumés ont abouti à des condamnations. En Guinée, le tribunal pénal de Dixinn a déclaré huit personnes, dont l’ancien président Moussa Dadis Camara, coupables de crimes contre l’humanité en lien avec le massacre perpétré dans un stade en septembre 2009. La CPI a condamné Al Hassan Ag Abdoul Aziz à 10 ans d’emprisonnement pour des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis au Mali entre mai 2012 et janvier 2023.

Les États doivent renforcer les mesures destinées à prévenir et à combattre l’impunité en diligentant sans délai des enquêtes approfondies, indépendantes, impartiales, efficaces et transparentes sur les crimes de droit international et les autres graves atteintes aux droits humains, en traduisant en justice les responsables présumés de ces actes et en veillant à ce que les victimes aient accès à des recours effectifs.