Égypte. Le nouveau président doit rétablir l’état de droit et gouverner pour tous

Vendredi 29 juin, Amnesty International a appelé le nouveau président égyptien à relever le défi de rompre le cycle des violations des droits humains perpétué sous le régime d’Hosni Moubarak puis sous l’autorité du Conseil suprême des forces armées (CSFA). L’organisation l’a exhorté à prendre des mesures décisives au cours des 100 premiers jours de son mandat pour mettre l’Égypte solidement sur la voie de l’état de droit et du respect des droits humains. Amnesty International surveillera étroitement s’il souhaite véritablement faire changer la situation des droits humains et fera le bilan de ses réalisations dans ce domaine pendant cette période déterminante pour la réforme. En prévision de la cérémonie d’investiture de Mohamed Morsi, l’organisation lui a présenté une note exposant en détail ce qu’elle considère comme les principales priorités en matière de droits humains pour l’Égypte. « Depuis le soulèvement en janvier l’an dernier, les Égyptiens ont entendu beaucoup de promesses selon lesquelles leurs revendications seraient entendues et les choses changeraient, mais jusqu’à présent leurs espoirs ont été majoritairement déçus, a déclaré Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International. Nous espérons, comme eux, que cette étape de la transition annonce un tournant. « Il sera important d’examiner minutieusement les premiers mois du nouveau président et de l’amener à rendre compte des mesures qu’il prend, ou ne prend pas, pour s’attaquer aux priorités urgentes en matière de droits humains en Égypte. « L’Égypte mérite des dirigeants disposés à faire face aux violations commises par le passé, à rétablir l’état de droit dans le présent et à exposer une vision des droits humains pour tous pour l’avenir. » Parmi les principales priorités, il faut notamment mettre fin au pouvoir de contrôler les civils conféré à l’armée, réformer les forces de sécurité, ouvrir des enquêtes indépendantes sur les violations commises par le passé – tant pendant l’ère Moubarak que depuis que le CSFA est au pouvoir – et mettre en place des mesures pour que cesse la discrimination envers les femmes et les minorités religieuses, a souligné Amnesty International. Cependant, l’organisation a prévenu que la route menant au respect des droits humains sera rendue difficile par les tentatives de l’armée visant à conserver ses pouvoirs et à se soustraire à toute surveillance civile. On ignore encore à quel point le Parti de la liberté et de la justice (FJP), à la tête duquel Mohamed Morsi était jusqu’à récemment, est attaché aux droits humains. Il a été le seul grand parti à ne pas signer le manifeste pour les droits humains d’Amnesty International à la veille des élections législatives de l’an dernier et n’a fourni aucune indication quant aux éléments qu’il pourrait soutenir. Mohamed Morsi a toutefois aujourd’hui démissionné officiellement de ses fonctions au sein du Parti de la liberté et de la justice et de l’organisation dont celui-ci émane, les Frères musulmans. « Le président doit maintenant dissiper toute incertitude quant à sa volonté de faire respecter les droits humains en toutes circonstances et pour tous les Égyptiens », a ajouté Salil Shetty. METTRE FIN AUX POUVOIRS DE L’ARMÉE Pour commencer, Amnesty International engage le nouveau président à libérer tous les prisonniers d’opinion. L’organisation lui demande également de veiller à ce que les milliers de civils emprisonnés par les tribunaux militaires soient libérés ou bien inculpés d’infractions prévues par la loi et jugés dans le cadre de procès équitables devant des juridictions civiles. Amnesty International appelle aussi le président à mettre fin immédiatement au pouvoir conféré à l’armée d’arrêter, de détenir et de juger des civils. « Les pouvoirs qu’a l’armée d’arrêter, de détenir et d’interroger des civils et son refus de se soumettre à toute surveillance civile sont les menaces les plus immédiates pour l’état de droit, a noté Salil Shetty. Si le président Morsi est réellement attaché aux droits humains, il ne devrait pas appeler l’armée à contrôler les rues, mais plutôt prendre des mesures pour lui enlever son pouvoir d’arrêter et de détenir des civils une bonne fois pour toutes. » RÉFORMER LES FORCES DE SÉCURITÉ Amnesty International prie instamment le président Morsi de prendre deux mesures immédiates pour réformer les forces de sécurité. D’une part, créer un organe indépendant habilité à enquêter sur les allégations de violations par les forces de sécurité et à surveiller leur vérification. D’autre part, rendre publics la structure des forces de sécurité et les ordres qui déterminent leur recours à la force. ENQUÊTER SUR LES VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS Amnesty International demande que des enquêtes indépendantes et impartiales soient menées sur les violations des droits humains qui ont marqué les 31 années où Hosni Moubarak était au pouvoir et les 16 mois au cours desquels le CSFA a dirigé le pays. Hosni Moubarak a été condamné ce mois-ci à la réclusion à perpétuité pour son rôle dans les homicides de manifestants durant la « révolution du 25 Janvier ». Cependant, les victimes de détention arbitraire prolongée, de torture et d’autres mauvais traitements sous son régime n’ont pas encore vu un semblant de vérité, de justice et de réparation. Le CSFA n’a rien fait pour contester l’héritage laissé par Hosni Moubarak. Au contraire, sa façon de diriger le pays a été marquée par une répression continue et souvent violente des droits humains. Pour l’heure, les enquêtes de l’armée n’ont pas pu amener un seul membre des forces armées à rendre des comptes pour les violations commises. « Pour que l’Égypte regarde maintenant vers l’avenir, il faut lui apporter vérité, justice et réparation pour ce qui s’est passé, a insisté Salil Shetty. Il faut garantir que les violations brutales et généralisées des droits humains par Hosni Moubarak et le CSFA ne se répèteront plus jamais. » FAIRE RESPECTER LA LIBERTÉ D’EXPRESSION, D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION Amnesty International a fait savoir que des mesures urgentes sont nécessaires pour mettre fin aux restrictions systématiques du droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion imposées dans le cadre de la répression, tant sous le régime d’Hosni Moubarak que sous celui du CSFA. Des journalistes, des blogueurs et d’autres personnes ayant critiqué la répression ont fait l’objet d’arrestations arbitraires et de peines d’emprisonnement. Des organisations égyptiennes de défense des droits humains ont également été la cible de représailles, notamment d’une enquête pénale ordonnée par les autorités au sujet de leur immatriculation et de leur financement. Les manifestants réclamant la fin de la répression ont été violemment dispersés lors d’une série de vagues de répression meurtrières. « En signe de reconnaissance du rôle essentiel joué par les organisations de défense des droits humains, tous les obstacles à leurs activités en droit et en pratique doivent être levés sans délai », a précisé Salil Shetty. METTRE FIN À LA DISCRIMINATION À L’ÉGARD DES FEMMES ET DES MINORITÉS « Le président Morsi a déclaré qu’il serait le président de tous les Égyptiens et qu’il nommerait une femme et un copte à la vice-présidence, a rappelé Salil Shetty. Nous attendons des dirigeants qu’ils réparent les dégâts provoqués par les lois répressives et luttent contre les pratiques discriminatoires. » La législation égyptienne continue d’être discriminatoire envers les femmes quant à leur condition personnelle et ne sanctionne pas des crimes tels que le viol conjugal. Le harcèlement sexuel reste répandu et bien souvent impuni. Seulement une poignée de femmes ont été élues au Parlement aujourd’hui dissous. Amnesty International appelle également le président Morsi à mettre fin à la discrimination dont souffrent les minorités en Égypte, notamment les chrétiens coptes. Les coptes sont toujours sous-représentés dans la haute fonction publique ainsi qu’aux postes de président d’université et dans des postes importants au sein des organes de sécurité, par exemple au sein de l’Agence nationale de sécurité ou des Renseignements généraux. LOGEMENT Une grande partie des quelque 12,2 millions de personnes qui habitent dans des bidonvilles en Égypte vivent dans la peur d’être expulsées de leur domicile par les autorités – une pratique courante. Beaucoup se retrouvent sans abri ou sont réinstallées loin de leur domicile, de leur famille et de leurs moyens de subsistance. Amnesty International a demandé au nouveau président de mettre un terme à la politique d’expulsions forcées.