Amnesty International a désigné le 2 octobre 2024 trois éminents défenseur·e·s des droits humains de Hong Kong et de Chine continentale comme prisonnière et prisonniers d’opinion.
Les avocat·e·s spécialisés dans la défense des droits humains Chow Hang-tung et Ding Jiaxi, ainsi que le défenseur de la liberté de la presse Jimmy Lai, sont tous trois sous les verrous uniquement en raison de leur militantisme pacifique en faveur des droits humains. Amnesty International demande leur libération immédiate.
« Tandis que le gouvernement chinois met en exergue l’avancée de ses mesures visant à promouvoir les droits humains, l’histoire de ces trois défenseur·e·s laisse entrevoir une réalité très différente à l’intérieur du pays, a déclaré Sarah Brooks, directrice d’Amnesty International pour la Chine.
« Rencontrer des diplomates, débattre de politique, se plaindre au sujet du traitement inique en garde à vue, discuter avec des amis au cours d’un dîner : tout cela peut vous conduire directement en prison dans la Chine d’aujourd’hui.
« Le fait que Chow, Ding et Lai soient incarcérés démontre que les autorités chinoises ne respectent toujours pas leurs obligations internationales, et les poursuites dont ils font l’objet témoignent de la lâcheté des représentants de l’État incapables d’accepter les critiques, qu’elles émanent d’experts internationaux ou de leurs propres concitoyens. »
Jimmy Lai et Chow Hang-tung ont tous deux été pris pour cibles dans le cadre du démantèlement plus large de l’espace civique et des droits humains à Hong Kong depuis l’adoption de la Loi relative à la sécurité nationale imposée par Pékin en 2020. Ding Jiaxi, tout comme de nombreux défenseur·e·s des droits humains en Chine continentale, est la victime directe des lois vagues et générales liées à la sécurité nationale qui justifient les condamnations à l’issue de procès secrets et les lourdes peines de prison.
Amnesty International considère comme prisonnier ou prisonnière d’opinion toute personne incarcérée uniquement du fait de ses convictions politiques ou religieuses, pour toute autre raison de conscience ou en raison de son origine ethnique, de son sexe, de sa couleur, de sa langue, de sa nationalité ou de son origine sociale, de sa situation socio-économique, de sa naissance, de son orientation sexuelle, de son identité ou expression de genre, ou de toute autre situation, et n’ayant pas usé de violence ni prôné la violence ou la haine dans le cadre des circonstances ayant conduit à son placement en détention.
Jimmy Lai
Près de 200 policiers ont fait irruption dans les locaux du quotidien Apple Daily de Jimmy Lai, peu après la promulgation de la Loi relative à la sécurité nationale. Il a été arrêté, avec plusieurs responsables du journal, et a fini par être inculpé de « collusion avec des forces étrangères » au titre de cette loi et de sédition. Apple Daily a cessé ses activités en juin 2021, après une autre descente de police et le gel de ses avoirs, ce qu’Amnesty international avait alors qualifié d’« atteinte flagrante à la liberté de la presse ».
Jimmy Lai encourt une peine maximale de réclusion à perpétuité à l’issue de son procès pour atteinte à la sécurité nationale. Les tribunaux de Hong Kong l’ont déjà condamné dans quatre affaires distinctes concernant des « rassemblements non autorisés » en raison de sa participation à des manifestations pacifiques – y compris pour avoir assisté à une veillée commémorant Tiananmen. Il est aussi poursuivi pour « fraude » présumée. Ainsi, Jimmy Lai purge déjà des peines de prison combinées qui lui feront passer près de sept ans derrière les barreaux.
Jimmy Lai, qui aura 77 ans en décembre, serait maintenu en détention à l’isolement et son état de santé suscite de vives inquiétudes, surtout après l’annulation de sa comparution au tribunal début juin 2024. Ces inquiétudes sont exacerbées par les retards importants dans son procès en vertu de la Loi relative à la sécurité nationale qui s’est ouvert en décembre 2023. Après un long ajournement, les audiences devraient reprendre en novembre 2024.
Chow Hang-tung
Chow a été inculpée en 2020 pour sa participation à une veillée pacifique à la mémoire des manifestant·e·s tués lors de la répression de Tiananmen en 1989, puis à nouveau en 2021 après avoir demandé aux internautes sur les réseaux sociaux d’allumer des bougies à la mémoire des victimes. Elle a passé 22 mois derrière les barreaux pour avoir osé leur rendre hommage.
En outre, Chow encourt une peine potentielle de 10 ans de prison pour « incitation à la subversion » en vertu de la Loi relative à la sécurité nationale, du fait de son rôle en tant qu’ancienne responsable de l’Alliance de Hong Kong pour l’appui aux mouvements démocratiques et patriotiques en Chine (l’Alliance), qui organise chaque année depuis 30 ans la veillée aux bougies en souvenir de Tiananmen.
En adoptant Chow, Lai et Ding comme prisonnière et prisonniers d’opinion, nous nous rangeons aux côtés de tous ceux qui sont injustement détenus pour avoir dit tout haut ce qu’ils estiment être la vérité
Sarah Brooks
Bien qu’incarcérée, Chow s’appuie sur ses connaissances juridiques pour défendre les droits, notamment en 2022 pour obtenir la levée des restrictions concernant les comptes-rendus d’audiences de libération sous caution. Plus récemment, elle a contesté en justice les règles qui obligent les femmes – mais pas les hommes – à porter des pantalons longs toute l’année dans les prisons de Hong Kong, où les températures dépassent régulièrement 30 ° Celsius en été. Chow a déjà subi des représailles pour ce genre de demandes, notamment des périodes répétées d’isolement cellulaire.
« Amnesty International et bien d’autres ont pointé les dangereuses lacunes en matière de droits humains de la Loi relative à la sécurité nationale de Hong Kong. Mais au lieu de prendre des mesures pour abroger ce texte, le gouvernement de Hong Kong a redoublé d’efforts et fait adopter en mars dernier une législation locale tout aussi répressive sur la sécurité nationale (appelée ” Article 23 “), qui alourdit les peines de prison pour les activités militantes pacifiques, même si elles se déroulent en dehors de Hong Kong ou de Chine continentale », a déclaré Sarah Brooks.
Ding Jiaxi
Ding a été condamné à 12 ans d’emprisonnement pour « subversion de l’État » en avril 2023. Il compte parmi des dizaines d’avocat·e·s et de militant·e·s pris pour cibles après avoir assisté à une réunion informelle dans la ville de Xiamen en 2019, au cours de laquelle ils ont débattu de l’actualité en Chine. Xu Zhiyong, spécialiste du droit et militant, également présent à cette rencontre, a été condamné à 14 ans de prison par le même tribunal pour les mêmes chefs d’accusation.
Ding Jiaxi a été détenu au secret « en résidence surveillée dans un lieu désigné » pendant plus d’un an après son arrestation le 26 décembre 2019. Il a été soumis à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements durant sa détention, notamment pendant de longues heures d’interrogatoire : il a ainsi été attaché les membres contorsionnés à une chaise métallique appelée « chaise du tigre », pendant plus de 10 heures par jour, durant des jours. Pendant près de quatre ans, de sa détention initiale jusqu’à son transfert en prison une fois condamné, Ding n’était pas autorisé à avoir ni papier ni stylos.
Selon certaines informations, il subit de dures restrictions en prison, notamment la suppression de son « temps de sortie dans la cour ». Son droit de communiquer est limité de manière stricte aux lettres de membres de sa famille directe, les appels téléphoniques sont interdits et son accès aux livres et autres lectures est limité.
« Dans le cadre de sa stratégie visant à se soustraire à tout examen, le gouvernement chinois justifie régulièrement la répression qu’il exerce – tout en rejetant les initiatives qui appellent à rendre des comptes – en expliquant qu’il s’agit d’” affaires internes “. C’est pourquoi il est si important de raconter l’histoire de Jimmy Lai, Chow Hang-tung et Ding Jiaxi. Ce sont les ” affaires internes ” qui, d’après le gouvernement, ne méritent ni attention, ni dignité, ni justice, a déclaré Sarah Brooks.
« En adoptant Chow, Lai et Ding comme prisonnière et prisonniers d’opinion, nous nous rangeons aux côtés de tous ceux qui sont injustement détenus pour avoir dit tout haut ce qu’ils estiment être la vérité. Tous trois, ainsi que toutes les personnes emprisonnées à Hong Kong et en Chine continentale uniquement en raison de leurs convictions, doivent être libérés immédiatement et sans condition. »