États-Unis. La torture et les autres formes de mauvais traitements infligés à des Haïtien·ne·s demandeurs d’asile sont profondément enracinés dans le racisme anti-Noir·e·s

Les autorités des États-Unis ont soumis des personnes haïtiennes demandeuses d’asile à des arrestations arbitraires et à des mauvais traitements humiliants constituant des actes de torture fondés sur la question raciale, a souligné Amnesty International le 22 septembre dans son nouveau rapport intitulé « Ils ne nous ont pas traités comme des êtres humains » Actes de torture et autres mauvais traitements à caractère racial et liés à la situation migratoire contre les Haïtien·ne·s cherchant refuge aux États-Unis.

Ces violations des droits humains, ainsi que les expulsions massives opérées en vertu du Titre 42 constituent le dernier épisode en date d’une longue tradition, enracinée dans une discrimination anti-Noir·e·s systémique, d’arrestations, d’exclusion et de mesures visant à dissuader les Haïtien·ne·s de chercher refuge aux États-Unis.

« Il y a un an, le gouvernement de Joe Biden a condamné le fait que des garde-frontières aient violemment dispersé des personnes haïtiennes demandeuses d’asile à Del Rio, au Texas. Malgré cela, les autorités des États-Unis ont continué de restreindre le droit dont disposent ces personnes de chercher une protection internationale à la frontière avec le Mexique, a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International.

« Elles ont aussi continué de faire resurgir les démons de l’esclavage en mettant des entraves aux chevilles des personnes haïtiennes noires et en les menottant à bord des vols lors de leur expulsion du pays, infligeant ainsi à ces personnes des souffrances psychologiques supplémentaires constituant des actes de torture au regard du droit international relatif aux droits humains. Nos recherches nous ont permis de réunir de nombreux éléments prouvant que le système d’immigration des États-Unis est profondément marqué par un racisme systémique. »

Le rapport montre que les gouvernements des États-Unis qui se sont succédé ont tenté de dissuader les Haïtien·ne·s de demander l’asile aux États-Unis en appliquant diverses politiques conçues pour les intercepter, les arrêter et les renvoyer dans leur pays ; ces politiques ont commencé à être mises en place dans les années 1970 et elles se poursuivent aujourd’hui avec le Titre 42.

Il y a un an, le gouvernement de Joe Biden a condamné le fait que des garde-frontières aient violemment dispersé des personnes haïtiennes demandeuses d’asile à Del Rio, au Texas. Malgré cela, les autorités des États-Unis ont continué de restreindre le droit dont disposent ces personnes de chercher une protection internationale à la frontière avec le Mexique

Erika Guevara-Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International

Nicole Phillips, directrice juridique de Haitian Bridge Alliance, une organisation jouant un rôle de premier plan dans la dénonciation des mauvais traitements infligés aux Haïtien·ne·s par les autorités des États-Unis, a déclaré : « En septembre de l’an dernier, le monde a découvert avec horreur les images, largement diffusées dans les médias, montrant un agent de la police des frontières en train d’utiliser ses rênes pour fouetter Mirard Joseph, l’une des quelque 15 000 personnes haïtiennes qui cherchaient une protection à Del Rio, au Texas. Ces faits atroces ne représentent pourtant que la partie visible de l’iceberg, car depuis des dizaines d’années, les personnes haïtiennes qui cherchent la sécurité aux États-Unis sont soumises à des mauvais traitements qui visent à les en dissuader. Nous espérons que les recommandations formulées dans le rapport vont déclencher au sein des autorités des États-Unis un mouvement pour démanteler la politique de discrimination et de torture fondée sur la “race” à laquelle les Haïtien·ne·s et les autres personnes migrantes noires sont souvent soumis de la part du système d’immigration des États-Unis. »

Les 24 personnes qu’Amnesty International a interrogées en Haïti pour ce rapport ont apparemment été expulsées en vertu du Titre 42 entre septembre 2021 et janvier 2022. Aucune n’a eu la possibilité de bénéficier d’un examen individuel de sa situation par les services de l’asile (« fear-based screenings ») avant son renvoi en Haïti. Selon les témoignages recueillis, des agents des États-Unis ont même arrêté des bébés dont les plus jeunes n’étaient âgés que de neuf et 14 jours, et dans plusieurs cas ils les ont séparés de leurs parents. Il s’agit de violations du droit international. Les personnes haïtiennes interrogées ont également déclaré qu’elles n’avaient pas eu accès à des interprètes ni à une représentation juridique, ni obtenu d’informations au sujet de leur lieu de détention et des motifs pour lesquels elles étaient détenues, ce qui est constitutif d’une détention arbitraire.

De plus, aucune des personnes interrogées par Amnesty International n’a dit avoir subi un test de dépistage de Covid-19 ou s’être vue proposer une vaccination lors de sa détention ou avant son expulsion. Nombre d’entre elles n’ont pas non plus reçu de masque ou eu la possibilité de respecter une distanciation physique avec les autres, ce qui bat en brèche les affirmations selon lesquelles les expulsions en vertu du Titre 42 visent à empêcher la propagation du Covid-19.

Les mauvais traitements subis par les personnes haïtiennes dans les centres de détention aux États-Unis – notamment avec un accès insuffisant à la nourriture, aux soins médicaux, à l’information et à des interprètes et avocat·e·s – ont eu des effets cumulés très lourds sur les personnes interrogées aux fins de ce rapport, car à leur arrivée aux États-Unis, elles avaient déjà subi des violations de leurs droits humains pendant leur voyage, y compris un racisme anti-Noir·e·s.

Les 24 personnes haïtiennes interrogées par Amnesty International ont toutes indiqué qu’elles ont été renvoyées par avion en Haïti en étant menottées et entravées, ce qui leur a infligé de graves souffrances psychologiques en raison du lien associant ce traitement à l’esclavage et à la délinquance. L’évaluation des faits réalisée par Amnesty International sur la base des témoignages qu’elle a recueillis indique que cela représente une torture motivée par la « race » et le statut migratoire au regard du droit international relatif aux droits humains, qui interdit de façon absolue la torture et les autres formes de mauvais traitements, et impose aux États de protéger les personnes contre tous les actes de torture, notamment celles motivées par des éléments particuliers tels que la « race », le statut migratoire et la nationalité.

Le contexte historique de la discrimination contre les personnes noires

Nos recherches s’inscrivent dans le contexte de l’asservissement au cours de l’histoire des personnes d’ascendance africaine et du racisme systémique actuel qui prend diverses formes. Comme le montrent les éléments présentés dans le rapport, les mauvais traitements infligés à des personnes haïtiennes sont nombreux et fréquents, et au cours de l’histoire ils sont survenus à différentes époques et en différents lieux, mettant en évidence une discrimination raciale systémique de longue date au sein du système d’immigration, qui vise à sanctionner ces personnes et à les dissuader d’aller demander l’asile aux États-Unis.

Nous espérons que les recommandations formulées dans le rapport vont déclencher au sein des autorités des États-Unis un mouvement pour démanteler la politique de discrimination et de torture fondée sur la “race” à laquelle les Haïtien·ne·s et les autres personnes migrantes noires sont souvent soumis de la part du système d’immigration des États-Unis

Nicole Phillips, directrice juridique de Haitian Bridge Alliance

Amnesty International demande à tous les États de mettre fin à la discrimination raciale systémique et de reconnaître que le racisme trouve sa source dans des structures et des pratiques qui sont apparues avec le colonialisme et l’esclavage. Les autorités des États-Unis doivent prendre les mesures nécessaires pour réformer toutes les institutions, lois et politiques qui favorisent les préjugés néfastes liés aux questions raciales et à la nationalité. Le recours au Titre 42 illustre parfaitement ce problème : il court-circuite les lois qui protègent les personnes contre l’expulsion quand cela les met en danger, et renforce les dangereux préjugés racistes qui conduisent à des violations des droits humains.

Amnesty International a examiné et réuni des éléments prouvant de façon indéniable que le racisme anti-Noir·e·s est profondément ancré dans le système d’immigration des États-Unis, mais les autorités des États-Unis ne semblent pas déterminées à rassembler activement des données sur la discrimination et les préjugés racistes comme l’exigent pourtant les normes internationales relatives aux droits humains.

Réitérant les appels adressés au gouvernement de Joe Biden par plus de 100 membres du Congrès en février 2022, Amnesty International appelle le gouvernement des États-Unis à s’engager à supprimer les politiques anti-Noir·e·s et à examiner de façon exhaustive la façon dont sont traitées par le système d’immigration des États-Unis les personnes noires qui recherchent une protection.