Nigeria. Au moins 115 personnes tuées par les forces de sécurité en quatre mois dans le sud-est du pays

  • Selon la police, au moins 21 policiers ont été tués en trois mois dans l’État d’Imo.
  • Plus de 500 personnes arrêtées dans le cadre de raids de la police et de l’armée.
  • De très nombreuses allégations font état de torture et de mauvais traitements.

Les forces de sécurité nigérianes ont perpétré de nombreuses violations des droits humains et crimes de droit international dans le cadre des opérations menées pour répondre à la montée de la violence dans le sud-est du pays, se livrant à une campagne répressive depuis le mois de janvier, à coups d’arrestations massives, de recours excessif et illégal à la force, de torture et autres mauvais traitements, a déclaré Amnesty International.

« Les éléments recueillis par Amnesty International dressent un tableau bien sombre marqué par le recours impitoyable à la force par les forces de sécurité nigérianes dans les États d’Imo, d’Anambra et d’Abia », a déclaré Osai Ojigho, directrice d’Amnesty International Nigeria.

Le gouvernement nigérian a la main lourde dans la manière dont il réagit aux homicides et aux violences largement attribués au groupe armé qui se désigne sous le nom de Réseau de sécurité de l’Est (ESN), la branche armée du mouvement pro-Biafra des Peuples indigènes du Biafra (IPOB). Selon des responsables du gouvernement, le Réseau de sécurité de l’Est a tué des dizaines de membres des services de sécurité et attaqué au moins 10 bâtiments publics, dont des prisons et des postes de police, de janvier à juin. En réaction, les forces de sécurité composées de soldats, de policiers et d’agents du Service de sécurité de l’État, ont tué des dizaines d’hommes armés, ainsi que des civils, là où les attaques avaient eu lieu.

Les éléments recueillis par Amnesty International dressent un tableau bien sombre marqué par le recours impitoyable à la force par les forces de sécurité nigérianes. 

Osai Ojigho, directrice d’Amnesty International Nigeria

Des témoins ont raconté à Amnesty International que les forces de sécurité ont usé d’une force excessive et recouru à des violences physiques, des détentions secrètes, des extorsions, des vols et des exécutions extrajudiciaires de suspects, et incendié des maisons. Selon les estimations des organisations de défense des droits humains, le bilan des violences qui ont fait rage entre janvier et juin 2021 dans les États d’Anambra, d’Imo, d’Abia et d’Ebonyi pourrait se monter à plusieurs centaines de morts. Selon la police, les combattants du Réseau de sécurité de l’Est ont tué 21 policiers dans le seul État d’Imo.

Amnesty International a mené une enquête exhaustive afin de recenser les violations des droits humains et les crimes de droit international perpétrés dans les États d’Anambra, d’Imo, d’Abia et d’Ebonyi, à partir de janvier 2021. Elle a dénombré 52 cas d’homicides illégaux et 62 cas d’arrestations arbitraires, de mauvais traitements et de torture. Des articles parus dans les médias et des enregistrements vidéo et audio examinés montrent que les forces de sécurité nigérianes ont également employé une force excessive et des moyens illégaux pour répondre à la flambée de violence.

Escalade de la violence

À partir de janvier 2021, des hommes armés soupçonnés d’être des militants du Réseau de sécurité de l’Est ont lancé une série d’attaques contre des infrastructures gouvernementales, notamment des prisons et des bâtiments publics, tuant plusieurs policiers. Amnesty International a condamné ces attaques et appelé les autorités à déférer les responsables à la justice.

Les forces de sécurité nigérianes ont lancé des opérations de sécurité au mois de juin, ciblant en premier lieu les militants avérés ou présumés du Réseau de sécurité de l’Est afin de décimer le groupe.

Amnesty International a recensé au moins 115 personnes tuées par les forces de sécurité entre mars et juin 2021. De nombreux proches des victimes ont déclaré qu’elles ne faisaient pas partie des militants ayant attaqué les forces de l’ordre. De nombreuses victimes ont été déposées dans les hôpitaux publics dans les États d’Imo et d’Abia. Selon plusieurs sources hospitalières, toutes celles amenées par la police présentaient des blessures par balles.

Dans deux cas examinés par Amnesty International, les victimes ont été prises pour cibles sans aucune justification apparente :

  • Uguchi Unachukwu, un homme d’affaires basé en Allemagne, a été tué par des soldats le 31 mai à un poste de contrôle près de l’aéroport d’Owerri, alors qu’il quittait le pays. La police n’a toujours pas enquêté sur ce crime.
  • Mathew Opara, un homme d’affaires âgé de 45 ans, a été abattu par des soldats le 25 mai à Orji, près d’Owerri. Des témoins ont raconté qu’il rentrait du travail lorsqu’il a croisé la route d’une équipe de soldats à bord d’un véhicule blindé et de vans Hilux qui tiraient sur les habitants. Il a été touché à la poitrine et n’a pas pu recevoir des soins tout de suite du fait des violences. Sa famille a déclaré que l’armée a reconnu son homicide, mais n’a pas ouvert d’enquête et n’a pas présenté d’excuses.

Arrestations illégales et arbitraires et mauvais traitements

En mai 2021, le gouvernement de l’État d’Imo a annoncé l’arrestation d’au moins 400 personnes qui seraient liées à ces violences. L’enquête d’Amnesty International indique que la plupart d’entre elles ont été embarquées au hasard à leur domicile ou dans la rue, et n’avaient rien à voir avec le Réseau de sécurité de l’Est. Certaines ont déclaré avoir été interpellées alors qu’elles marchaient dans la rue, se trouvaient dans un bar, ou parce qu’elles avaient des marques de naissance ou des tatouages sur le corps.

Les éléments recueillis par Amnesty International dressent un tableau bien sombre marqué par le recours impitoyable à la force par les forces de sécurité nigérianes. 

Osai Ojigho, directrice d’Amnesty International Nigeria

Un homme âgé de 37 ans, arrêté par la police le 26 mai à Orji, dans l’État d’Imo, a expliqué qu’il avait été arrêté parce que son collègue avait une tache de naissance sur l’épaule. La police a affirmé que cette marque était un signe d’appartenance au mouvement des Peuples indigènes du Biafra (IPOB). Il a raconté : « La police nous a interpellés dans la rue et nous a demandé de nous allonger sur la route. Ils ont vérifié nos vêtements pour voir si nous avions des tatouages. Je n’en ai pas, mais l’un d’entre nous avait une tache de naissance. Il a tenté d’expliquer ce que c’était, mais les policiers se sont mis à le frapper. Ils nous ont attaché les mains derrière le dos et nous ont embarqués dans leur fourgon jusqu’au poste. »

Un autre homme âgé de 36 ans a raconté : « J’ai été arrêté alors que je rentrais du travail. Les policiers m’ont fait monter dans un bus avec d’autres jeunes hommes, dont plusieurs étudiants et un membre du NYSC [Service national de la jeunesse] en uniforme. Ils nous ont étiquetés membres du Réseau de sécurité de l’Est et nous ont emmenés au poste, à la caserne des sapeurs-pompiers. Ils nous ont passés à tabac. Ils ont dit qu’ils allaient tous nous dévaster [tuer]. Je leur ai répondu que je travaille pour le gouvernement d’État. Ils m’ont demandé de leur donner 20 000 naïras [40 euros]. J’ai négocié, finalement j’ai payé 15 000 naïras [30 euros] et ils m’ont laissé partir vers 22h30. J’ignore ce qui est arrivé aux autres. »

Le 23 juillet, des soldats de la 82e division de l’armée nigériane, à Enugu, ont envahi les localités d’Akpawfu, Amagunze et Akpugo, dans l’État d’Enugu, et arrêté au moins 20 habitants ; des hommes armés avaient tué cinq soldats et incendié leur véhicule près de ces localités quelques jours auparavant. Selon des témoins, des dizaines de soldats passaient de maison en maison et arrêtaient des jeunes qu’ils soupçonnaient d’être liés aux militants du Réseau de sécurité de l’Est.

« Il est nécessaire qu’une enquête impartiale et ouverte soit menée afin de déterminer ce qui s’est passé et de déférer toutes les personnes soupçonnées d’être pénalement responsables à la justice, dans le cadre de procès équitables, devant des juridictions civiles ordinaires, en excluant tout recours à la peine de mort », a déclaré Osai Ojigho.

Complément d’information

Depuis 2016, Amnesty International a recensé des violations du droit à la vie, du droit de se réunir et du droit de ne pas être soumis à la torture, aux arrestations et détentions arbitraires, dont sont victimes les membres présumés de l’IPOB.