Amnesty International est aujourd’hui en mesure de confirmer que plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de personnes ont été tuées à coups de couteau et de machette dans la nuit du 9 novembre à Mai-Kadra (May Cadera), ville située dans la zone Sud-Ouest de la région du Tigré.
Le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d’Amnesty International a examiné et vérifié numériquement d’effroyables photos et vidéos montrant des cadavres partout dans les rues et des corps emportés sur des brancards. Il a confirmé que ces images étaient récentes et a pu les géolocaliser au moyen d’images satellites, établissant qu’elles ont été prises à Mai-Kadra, dans l’ouest du Tigré (14.071008, 36.564681).
« Nous confirmons qu’un grand nombre de civils ont été tués, qui sont manifestement des travailleurs journaliers absolument pas impliqués dans l’offensive militaire en cours. Il s’agit d’une terrible tragédie dont on ignore encore la véritable ampleur compte tenu du fait que les moyens de communication sont coupés dans le Tigré, a déclaré Deprose Muchena, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International.
Nous confirmons qu’un grand nombre de civils ont été tués, qui sont manifestement des travailleurs journaliers absolument pas impliqués dans l’offensive militaire en cours. Il s’agit d’une terrible tragédie dont on ignore encore la véritable ampleur compte tenu du fait que les moyens de communication sont coupés dans le Tigré.
Deprose Muchena, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International
« Le gouvernement doit rétablir toutes les communications avec la région du Tigré afin de démontrer sa volonté de respecter l’obligation de rendre des comptes et son engagement en faveur de la transparence en ce qui concerne ses opérations militaires dans la région, et garantir un accès sans restriction pour les organisations humanitaires et les observateurs et observatrices des droits humains. Amnesty International va quoi qu’il en soit continuer d’utiliser tous les moyens disponibles pour rassembler des informations sur les violations commises par toutes les parties au conflit et pour les dénoncer. »
L’organisation a également parlé avec des témoins, qui apportaient de la nourriture et d’autres types de ravitaillement aux Forces de défense éthiopiennes (FDE) et qui, immédiatement après l’attaque meurtrière, le matin du 10 novembre, se sont rendus dans la ville et ont vu de nombreux cadavres dans les rues, ainsi que des blessés.
La plupart des cadavres ont été trouvés dans le centre-ville, près de la Banque commerciale d’Éthiopie, et sur la route qui mène à la ville voisine d’Humera, selon les témoins et ce qui a pu être observé sur les images vérifiées.
Des personnes qui ont vu les cadavres ont dit à Amnesty International qu’ils présentaient des plaies béantes apparemment infligées avec des armes tranchantes telles que des couteaux et des machettes, et ces informations ont été confirmées par un médecin légiste mandaté par Amnesty International. Les témoins ont dit qu’il n’y avait pas de signes de blessures par balle.
Ils ont dit qu’avec les soldats des FDE ils ont trouvé des blessés parmi les morts et qu’ils les ont emmenés dans les hôpitaux les plus proches à Abreha-Jira et à Gondar, avant d’enlever les cadavres qui étaient dans les rues.
« Des personnes blessées m’ont dit avoir été attaquées avec des machettes, des haches et des couteaux. L’aspect des blessures indique aussi que les personnes qui sont mortes ont été attaquées avec des armes tranchantes. C’est horrible et cela m’attriste vraiment d’avoir été témoin de cela », a déclaré un témoin effondré.
« Ensanglantés »
Amnesty International n’est pas encore en mesure de confirmer qui sont les auteurs de ces tueries, mais elle a parlé avec des témoins qui ont dit que les forces affiliées au Front de libération des peuples du Tigré (TPLF) sont responsables de ces massacres, commis apparemment après leur défaite face aux forces fédérales des FDE.
Trois personnes ont dit à Amnesty International que des survivants ont déclaré avoir été attaqués par des membres de la Force de police spéciale du Tigré et des TPLF.
« Une opération militaire a été menée par les FDE et la Force spéciale d’Amhara contre la Police spéciale et la milice du Tigré dans la journée du 9 novembre à un endroit appelé Lugdi. Après avoir vaincu les forces du Tigré, les FDE ont passé la nuit aux abords de la ville de Mai-Kadra. Quand nous sommes arrivés, nous avons vu de nombreux cadavres ensanglantés dans les rues et dans les foyers fréquentés par les travailleurs saisonniers. C’était vraiment terrible de voir cela, et je n’arrive toujours pas à m’en remettre », a expliqué à Amnesty International un civil qui est entré dans la ville après qu’elle a été reprise par les FDE.
Quand nous sommes entrés dans la ville, on a vu des choses abominables. Les rues étaient semées de cadavres, en particulier dans le centre-ville et sur la route qui mène à la ville d’Humera.
Un civil qui est entré dans la ville après qu’elle a été reprise par les FDE
Ces informations ont été corroborées par une autre personne, qui a déclaré : « Nous sommes entrés dans la ville immédiatement après que l’armée et la Force spéciale d’Amhara ont pris le contrôle de Mai-Kadra, le 10 novembre vers 10 heures. L’armée est entrée […] après avoir encerclé la ville dans la nuit. Il n’y a pas eu d’échanges de tirs quand l’armée a repris la ville. Mais quand nous sommes entrés dans la ville, on a vu des choses abominables. Les rues étaient semées de cadavres, en particulier dans le centre-ville et sur la route qui mène à la ville d’Humera. »
« Les autorités éthiopiennes doivent immédiatement enquêter de façon exhaustive, impartiale et efficace sur cette attaque menée contre la population civile, et déférer à la justice les responsables présumés dans le cadre de procès équitables, a déclaré Deprose Muchena.
« Les commandants et officiers des TPLF doivent clairement faire savoir à leurs forces et à leurs sympathisants que les attaques contre la population civile sont absolument interdites et qu’elles constituent des crimes de guerre. Toutes les parties au conflit dans le Tigré doivent veiller au respect plein et entier du droit international humanitaire et relatif aux droits humains lors de leurs opérations. La sécurité et la protection de la population civile sont primordiales. »
Le nombre total officiel de morts à Mai-Kadra n’est pas encore connu, mais l’AMMA, l’agence de presse du gouvernement régional d’Amhara, a fait état d’environ 500 victimes, ajoutant qu’il s’agissait majoritairement d’habitants de la ville non tigréens. Un homme qui aide à ramasser les corps dans les rues a dit à Amnesty International avoir regardé les cartes d’identité, délivrées par l’État, de certaines victimes, et que la plupart d’entre elles étaient amharas.
Complément d’information
Le 4 novembre 2020, le Premier ministre Abiy Ahmed a ordonné aux Forces de défense éthiopiennes (FDE) de lancer une opération militaire contre la Police paramilitaire de la région du Tigré et les milices ayant fait allégeance au Front de libération des peuples du Tigré (TPLF), déclarant réagir ainsi aux nombreuses attaques menées par les forces de sécurité du Tigré contre la base du Commandement du Nord des FDE à Mekelé et contre d’autres camps militaires dans la région du Tigré.
Depuis le début de ce conflit, des affrontements armés ont lieu entre les forces fédérales (l’armée fédérale, la Force spéciale de la police d’Amhara et la milice amhara) d’une part, et les forces régionales du Tigré (la milice et la Force spéciale de la police du Tigré) d’autre part.
Le ministère de la Défense et le Premier ministre ont annoncé que des avions de l’armée éthiopienne ont mené de nombreuses attaques aériennes contre des installations militaires du TPLF. Le Premier ministre et le chef d’état-major de l’armée se sont engagés à poursuivre les frappes aériennes sur des cibles précises sans mettre en danger la vie des civils, conseillant aux habitants de se tenir éloignés des dépôts de munitions et des autres cibles militaires.
Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), à la date du 11 novembre, quelque 7 000 personnes avaient fui l’ouest du Tigré et cherché refuge au Soudan, de l’autre côté de la frontière.