Japon. Le nombre de «divorces-corona» augmente pendant la «pandémie fantôme» des violences domestiques

La pandémie a offert le baiser de la mort au mariage déjà en difficulté de mon amie. Lorsque son mari, violent et autoritaire, a dû travailler de chez eux en avril et en mai au cours de l’urgence nationale provoquée par le COVID-19, elle s’est vue obligée de passer de longues heures avec lui à leur domicile de la préfecture de Kanagawa.

« J’en ai assez », m’a-t-elle dit en pleurant après qu’il lui eut donné des coups de pied dans la jambe et dans le dos au cours d’une dispute sur la réduction du budget familial. Elle a dit qu’elle n’était pas suffisamment courageuse pour mettre un terme à leur relation, mais qu’elle pensait que les mesures de déconfinement progressif ramèneraient la société et sa famille à la normale.

Mais la normale, qu’est-ce que c’est ?

Avant le COVID-19, le nombre de femmes qui appelaient les services japonais d’aide aux victimes de violences domestiques était en hausse depuis 16 années consécutives, et il a atteint un nouveau record en 2019. Avec la pandémie de ces derniers mois, les gens ont été confinés chez eux et beaucoup plus de femmes ont appelé à l’aide.

Plus de 13 000 femmes ont signalé être victimes de violences domestiques pour le seul mois d’avril 2020, ce qui est 1,3 fois plus que pour la même période de l’année précédente. Néanmoins, comme pour toutes les statistiques portant sur les violences domestiques, il est probable que ce chiffre sous-estime grandement le nombre de cas réels, notamment parce qu’il est toujours tabou de demander de l’aide pour des « problèmes de famille » dans la société japonaise.

Un célèbre acteur japonais, Makoto Sakamoto, a été placé en détention en avril 2020 car il est soupçonné de s’être rendu coupable de violences domestiques. Il aurait agressé sa femme et la mère de celle-ci dans leur domicile de Tokyo. En mai 2020, Bobby Olugun, un expert en arts martiaux de la télévision japonaise, a fait la une des journaux après avoir été mis en détention pour avoir frappé sa femme d’un coup de poing au visage à leur domicile et, semble-t-il, devant leurs trois enfants.

La directrice exécutive d’ONU Femmes a décrit la soudaine hausse mondiale de violences à l’encontre des femmes causée par le confinement comme la « pandémie fantôme ».

Des millions de femmes dans le monde entier ont signalé des cas de violences domestiques cette année. Dans les États et les territoires asiatiques, comme le Japon, Hong Kong et la Corée du Sud, la hausse des violences liées au genre et des inégalités socio-économiques auxquelles les femmes sont confrontées comptent parmi les conséquences les plus dramatiques du COVID-19.

Je vis à Hong Kong, et un numéro d’urgence local dédié aux femmes a vu son nombre d’appels liés aux violences domestiques doubler au début de la pandémie (entre janvier et mars 2020). Plus de 70 % d’entre eux concernent des violences physiques, et le reste est principalement composé de violences psychologiques et verbales.

En avril, un travailleur social japonais a publié une pétition en ligne. Plus de 30 000 personnes ont appelé la gouverneure de Tokyo à mettre en place des refuges d’urgence pour les personnes sans abri et pour celles qui fuient les violences domestiques pendant la pandémie.

Un nouveau terme, le « divorce-corona » (コロナ離婚) est aujourd’hui régulièrement employé sur les réseaux sociaux japonais pour parler du pic de divorces et de plaintes des couples pendant le confinement.

Il est cependant impossible d’imputer ces divorces uniquement au virus. La pandémie a mis en lumière le problème fondamental de l’inégalité de genre dans nos sociétés ; il comprend les différences de revenus, la représentation politique et socio-économique inégale et les stéréotypes culturels et sociaux dangereux. Par exemple, les femmes et les filles sont souvent les plus touchées par cette crise sanitaire, comme l’indiquent les chiffres du chômage aux États-Unis en montrant que des millions de femmes ont perdu leur emploi dans une proportion plus élevée que les hommes.

Ces dernières années, le plaidoyer pour les droits des femmes en Asie de l’Est a été renforcé par le mouvement mondial #MeToo, avec des femmes courageuses comme Seo Ji-Hyun en Corée du Sud et Shiori Ito au Japon qui témoignent publiquement, lors d’affaires médiatisées, des violences sexuelles dont elles ont été victimes. Il y a encore d’autres exemples de femmes instigatrices de changement dans la région, et davantage de conversations portent sur le sexisme et sur les violences à l’encontre des femmes.

Malgré cette évolution positive, la crise sanitaire actuelle nous rappelle la montagne d’objectifs qui restent à accomplir. Tandis que des femmes et des filles prennent la main pour diriger, s’entraider et soutenir la population au sens plus large, les gouvernements ont le devoir de prendre davantage de mesures pour placer les femmes au centre des processus de prises de décisions afin que ce système inégal soit enfin remplacé.

Nous n’avons pas encore trouvé de vaccin au COVID-19, mais la solution à la « pandémie fantôme » est limpide : l’égalité des genres doit être au cœur de la conception d’un avenir plus sûr pour chacune et chacun d’entre nous.

Cet article a été publié initialement par Japan Today.