Nicaragua. Le gouvernement accroît le risque de propagation du COVID-19 dans un pays déjà laminé par deux années de crise

Alors que la planète se trouve confrontée à un défi historique, le gouvernement du président Daniel Ortega ne tient manifestement aucun compte des recommandations des organismes internationaux de défense des droits humains relatives à la pandémie de COVID-19, mettant ainsi en péril la santé et la vie de milliers de personnes au Nicaragua, a déclaré Amnesty International le 15 avril. Cette crise sanitaire s’ajoute à la grave crise des droits humains qui frappe le pays depuis deux ans, avec un bilan de 328 morts, de quelque 2 000 blessés et de plus de 100 000 personnes contraintes de fuir le pays.

« La réaction des autorités nicaraguayennes face à la grave menace que représente le COVID-19 met une fois de plus en évidence le fait que le gouvernement du président Daniel Ortega n’assume aucune de ses responsabilités en matière de droits humains et à l’égard des Nicaraguayen·ne·s, les laissant sans aucune protection, a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International.

« Depuis le 18 avril 2018, le gouvernement du président Daniel Ortega a fait de l’intimidation, de l’impunité et de l’exil forcé des pratiques courantes. De manière surprenante, alors qu’il a empêché et réprimé toute forme de protestation sociale ces dernières années, il encourage à présent la tenue de défilés et de rassemblements qui exposent la population à la pandémie. »

Des organisations locales ont dénoncé le fait que le gouvernement ne respecte pas les recommandations formulées par des organismes internationaux au sujet du COVID-19 et qu’il a, bien au contraire, pris des mesures qui risquent de mettre en danger des milliers de personnes. Ainsi, en pleine pandémie, le 5 avril, des institutions publiques ont organisé une messe publique pour le lancement d’une période de célébrations religieuses. Le 6 avril, des représentants des pouvoirs publics ont lancé un événement public pour l’élection de la Reine de l’été 2020 du département de Managua, et le 12 avril, l’Institut nicaraguayen du tourisme a organisé des événements pour le Summer Music Fest 2020 dans plusieurs localités.

La réaction des autorités nicaraguayennes face à la grave menace que représente le COVID-19 met une fois de plus en évidence le fait que le gouvernement du président Daniel Ortega n’assume aucune de ses responsabilités en matière de droits humains et à l’égard des Nicaraguayen·ne·s, les laissant sans aucune protection.

Erika Guevara Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International

Le Centre nicaraguayen des droits humains a réuni des informations montrant que les autorités ont promu d’autres activités de masse au cours des mois de mars et avril, tels que des défilés et des activités touristiques. De plus, des médias ont signalé qu’en amont des vacances scolaires qui ont débuté le 5 avril pour les célébrations religieuses de Pâques, des parents ont subi de la part d’écoles des pressions pour qu’ils emmènent leurs enfants dans les centres éducatifs.

L’Organisation panaméricaine de la santé s’est dite préoccupée par la réaction du gouvernement du Nicaragua face au COVID-19, ce dernier n’ayant pas pris de mesures de distanciation sociale mais au contraire appelé à la tenue de rassemblements massifs. Par ailleurs, elle a qualifié d’inadéquates les mesures de prévention et de contrôle mises en place par les autorités.

Des associations locales continuent de dénoncer le manque d’informations fournies par le gouvernement au sujet de la pandémie et l’insuffisance des politiques publiques de prévention, de dépistage et de confinement. Elles ont en conséquence organisé leurs propres mécanismes de recensement et d’analyse des informations concernant des cas de suspicion d’infection au COVID-19, et diffusent auprès du public des informations sur les mesures de prévention de la contagion.

Les autorités nicaraguayennes doivent veiller à ce que la population ait immédiatement accès à des informations vraies, exactes et scientifiques sur la pandémie, au fur et à mesure de son déroulement, et sur les mesures de prévention de la contagion.

Les personnes privées de leur liberté particulièrement exposées au COVID-19

Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, la situation des personnes détenues dans des postes de police ou dans des établissements pénitentiaires est tout particulièrement préoccupante. Plusieurs centaines de personnes ont été incarcérées depuis avril 2018 pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Le 26 mars 2020, des organisations locales ont signalé qu’au moins 70 de ces personnes se trouvaient toujours derrière les barreaux, malgré l’engagement qu’avait pris le gouvernement.

Amnesty International a eu confirmation des conditions précaires dans les prisons nicaraguayennes auprès de personnes qui ont été détenues pour des motifs politiques. Amaya Coppens, qui a été arrêtée deux fois et incarcérée dans trois centres de détention différents, a expliqué que la surpopulation carcérale, le défaut d’accès à l’eau potable, l’insalubrité et le défaut de soins médicaux font partie du quotidien dans les centres de détention. Elle a dit que les autorités carcérales ne lui ont jamais fourni de médicaments alors qu’elle a commencé à avoir de l’hypertension en détention.

« Le gouvernement a fait preuve d’une négligence généralisée dans la gestion de la pandémie. Nous craignons en conséquence une épidémie de COVID-19 dans les prisons, où les conditions de détention sont inhumaines. Les personnes détenues pour des motifs politiques ont été victimes de violations des droits humains, mais à présent, avec la crise sanitaire, elles se trouvent dans une situation encore plus dangereuse ; nous devons donc continuer de demander leur libération et une amélioration significative des conditions de détention dans les prisons”, a déclaré Amaya Coppens.

Par ailleurs, des associations locales ont dénoncé le fait que dans certains centres de détention, les familles qui rendent visite à des personnes détenues se sont vu interdire d’inclure des produits d’hygiène et de propreté dans les colis hebdomadaires qu’elles préparent pour leurs proches, et elles ont aussi dénoncé le manque d’informations, de mesures de sécurité et de protocoles d’intervention au sein du système carcéral pour faire face au COVID-19.

personnes, il met aussi en danger leur santé en les maintenant en détention dans des conditions précaires. Nous exhortons une fois de plus les autorités à libérer immédiatement toutes les personnes maintenues en détention uniquement parce qu’elles ont exercé leur droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique.

Erika Guevara Rosas

Une proche de María Esperanza Sánchez García, qui est la seule femme faisant partie des 70 personnes détenues pour des motifs politiques, et dont la famille a signalé qu’elle souffre d’asthme et d’hypertension, a dit à Amnesty International qu’elle était « préoccupée par son état de santé, car elle est de toute évidence susceptible de contracter ce virus. Les mesures d’hygiène ne sont pas suffisantes, parce qu’il y a peu de place dans les cellules. Il y a 70 détenues enfermées ensemble dans le même pavillon, où elle se trouve. »

D’autre part, un avocat qui représente des personnes détenues pour des motifs politiques a fait part à Amnesty International de ses inquiétudes pour l’un de ses clients, qui souffre de graves problèmes de santé et qui est fortement exposé au risque d’être contaminé par le COVID-19 compte tenu de l’absence des mesures de prévention qui devraient être promues par les pouvoirs publics. Cet avocat a dit qu’en raison de la surpopulation carcérale, de l’insuffisance ou de l’absence de soins médicaux et de l’accès restreint à l’eau potable, il a demandé aux autorités judiciaires l’autorisation de fournir à ses clients des produits d’hygiène personnelle, de propreté et de protection, et qu’elles permettent à l’un de ses clients qui souffre de troubles respiratoires d’attendre son procès à son domicile, en assignation à résidence. Trois semaines après, les autorités n’avaient toujours pas répondu à ses demandes.

Le 8 avril, le gouvernement nicaraguayen a annoncé, dans le contexte des célébrations religieuses de Pâques, la libération de 1 700 personnes au titre de la règlementation sur le regroupement familial. Cependant, des organisations locales ont signalé que ne figuraient parmi elles aucune des personnes incarcérées pour des motifs politiques.

« Le gouvernement de Daniel Ortega ne se contente pas de priver de liberté de façon arbitraire des dizaines de personnes, il met aussi en danger leur santé en les maintenant en détention dans des conditions précaires. Nous exhortons une fois de plus les autorités à libérer immédiatement toutes les personnes maintenues en détention uniquement parce qu’elles ont exercé leur droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique », a déclaré Erika Guevara Rosas.

De plus, Amnesty International demande aux autorités du Nicaragua de garantir l’accès à l’eau, à des installations sanitaires, à des produits d’hygiène et à des soins de santé pour toutes les personnes en détention, et de mettre en place une politique exhaustive de santé publique permettant de remédier à la propagation du COVID-19 et conforme aux exigences formulées par les organismes internationaux spécialisés dans ces questions.