Le 27 juin 2019, le nouveau gouvernement danois, mené par le parti social-démocrate de Mette Frederiksen, a publié un manifeste de 18 pages exposant ses ambitions pour ce premier mandat. Ce document (« Le juste cap pour le Danemark ») est principalement axé sur les politiques en matière de crise climatique, de logement, de transports et de prise en charge des sans-abris. Cependant, il indique également l’attachement du gouvernement à ce que la législation reconnaisse le simple fait qu’un rapport sexuel sans consentement est un viol.
Paradoxalement, bien que le Danemark ait une excellente image en ce qui concerne l’égalité entre hommes et femmes, la situation y est très différente pour celles-ci lorsqu’il s’agit de viol. La législation, archaïque, s’appuie sur une définition du viol fondée sur le recours à la violence, à la menace ou à la contrainte, ou sur l’incapacité de la victime à se défendre. La présomption selon laquelle une victime était consentante si elle n’a pas opposé de résistance physique pose de graves problèmes, car des experts ont reconnu que la sidération ou « paralysie involontaire » était une réaction physiologique et psychologique très courante en cas d’agression sexuelle.
Le 27 juin 2019, le nouveau gouvernement danois a publié un manifeste indiquant son attachement à ce que la législation reconnaisse le simple fait qu’un rapport sexuel sans consentement est un viol.
Stefan Simanowitz, Amnesty International
Le fait de se concentrer sur la résistance et la violence plutôt que sur le consentement a des conséquences non seulement sur les signalements de viols, mais aussi, plus généralement, sur la prise de conscience quant aux violences sexuelles, deux composantes essentielles de la prévention du viol et de la lutte contre l’impunité.
La question de la « paralysie involontaire » était au cœur de la condamnation, la semaine dernière, de cinq hommes connus sous le nom de « la Meute » à une peine de 15 ans de prison pour un épouvantable viol en réunion en Espagne. L’arrêt de la Cour suprême a annulé un jugement de 2018, qui établissait l’absence de consentement mais statuait que ces hommes étaient seulement coupables d’abus sexuel. En effet, la victime s’étant figée pendant l’agression, la juridiction de première instance avait estimé qu’il n’y avait pas eu suffisamment d’actes de violence ou d’intimidation pour que les faits soient considérés comme un viol. Cette affaire a fait de la nécessité de modifier la législation espagnole sur le viol une priorité nationale. Cependant, le Danemark et l’Espagne ne sont pas les seuls pays à se concentrer sur ce besoin de changement.
Il est choquant de constater que seuls neuf pays de l’Espace économique européen (EEE) reconnaissent qu’un rapport sexuel sans consentement constitue un viol. Mais les choses sont en train de changer.
Stefan Simanowitz, Amnesty International
Il est choquant de constater que seuls neuf pays de l’Espace économique européen (EEE) reconnaissent qu’un rapport sexuel sans consentement constitue un viol. Mais les choses sont en train de changer.
Au début du mois de juin, une volte-face de dernière minute du gouvernement grec a entraîné une modification du Code pénal : le droit grec reconnaît désormais qu’un rapport sexuel sans consentement constitue un viol et que la violence physique n’est pas un élément nécessaire à la constitution du viol.
En 2018, l’Islande et la Suède sont devenues respectivement les septième et huitième pays d’Europe à adopter une législation définissant le viol sur la base de l’absence de consentement. De nouvelles propositions de modification de la législation actuelle sur le viol sont également étudiées par les Parlements portugais et suisse.
Il est primordial de ne pas sous-estimer l’importance du changement de la législation en matière de viol. Ces modifications ne feront pas disparaître le viol, mais le contenu du droit joue un rôle majeur dans l’évolution des mentalités à l’égard de ce crime. Aujourd’hui, en raison des idées fausses qui prévalent au sujet du viol, les victimes ont des difficultés à signaler les faits à la police ou à solliciter une prise en charge médicale.
Selon une étude récente portant sur les États membres de l’Union européenne, une femme sur 20 de 15 ans ou plus a déjà été violée dans l’UE. Cela représente environ neuf millions de femmes. Cependant, et malgré la gravité des faits, les viols sont rarement signalés en Europe. La crainte de ne pas être crue, le manque de confiance à l’égard du système judiciaire et la peur de la stigmatisation empêchent de trop nombreuses femmes et filles de dénoncer leur viol.
Bien que la modification de la législation sur le viol soit une étape indispensable pour que les mentalités évoluent et que les victimes obtiennent justice, il reste encore beaucoup à faire pour mettre un terme à la culture d’impunité et de culpabilisation des victimes, renforcée par les stéréotypes qui imprègnent de nombreux pans de la société : de la cour de récréation aux vestiaires, du poste de police à la barre des témoins.
Stefan Simanowitz, Amnesty International
Une autre étude récente a établi que plus d’une personne sur quatre dans l’UE estime qu’un rapport sexuel sans consentement peut se justifier dans certaines circonstances, notamment si la victime est sous l’emprise de l’alcool ou de la drogue, accepte d’être raccompagnée chez elle, porte des vêtements qui révèlent son corps, ne dit pas clairement « non » ou ne se défend pas.
Les idées reçues et les stéréotypes de genre influencent également la manière dont les affaires de viol sont traitées par le système judiciaire. Ils déterminent souvent le comportement des policiers et des juges, et les faibles taux de poursuites et de condamnations qui en résultent ont des conséquences sur la confiance accordée au système judiciaire.
Bien que la modification de la législation sur le viol soit une étape indispensable pour que les mentalités évoluent et que les victimes obtiennent justice, il reste encore beaucoup à faire pour mettre un terme à la culture d’impunité et de culpabilisation des victimes, renforcée par les stéréotypes qui imprègnent de nombreux pans de la société : de la cour de récréation aux vestiaires, du poste de police à la barre des témoins.
Des mesures doivent être prises pour battre en brèche les idées reçues sur le viol à tous les niveaux de la société et pour que les personnes qui travaillent avec des victimes de viol reçoivent une formation continue adaptée. Il faut également renforcer l’éducation sexuelle et les programmes de sensibilisation.
Il semble probable que le Danemark adopte dans les prochains mois un texte de loi définissant le viol en fonction de l’absence de consentement, et la dynamique de changement gagne clairement du terrain en Europe. Un changement qui permettra aux futures générations de femmes et de filles de ne jamais avoir à se demander si elles sont responsables en cas de viol, ou si les agresseurs seront punis.
Cet article a été initialement publié par Newsweek.