« Enfermés à ciel ouvert ». L’État d’Arakan, au Myanmar, est en situation d’apartheid

Depuis le mois d’août, les forces de sécurité du Myanmar ont lancé une campagne de violences contre la minorité des Rohingyas dans l’État d’Arakan.

Le nombre de victimes parmi les Rohingyas n’est pas établi, des femmes et des jeunes filles ont été violées, parfois devant leur famille, et des villages entiers ont été réduits en cendres. Plus de 600 000 Rohingyas ont fui vers le Bangladesh voisin.

Les chercheuses d’Amnesty International ont enquêté pendant deux ans sur les causes profondes de ces terribles événements. Leur travail révèle que les autorités du Myanmar confinent les Rohingyas dans une « prison à ciel ouvert », en s’appuyant sur un système de discrimination et de ségrégation institutionnalisée qui limite fortement leurs droits humains. Ce système affecte leur liberté de mouvement, leur capacité à accéder à une alimentation suffisante et à des soins de santé, ainsi que leur droit à l’éducation.

Amnesty International a conclu que ce traitement s’apparente à un système d’apartheid.

Nous n’avons pas accès aux soins de santé ni à l’éducation, et nos déplacements sont sévèrement restreints… C’est comme si nous étions enfermés à ciel ouvert.

Un Rohingya âgé de 34 ans

Qu’est-ce que l’apartheid ?

« Nous sommes en train de nous dégager d’un système qui a insulté notre humanité commune en nous divisant les uns des autres sur la base de la race, en nous dressant les uns contre les autres en tant qu’opprimés et oppresseurs. Ce système a commis un crime contre l’humanité. »                          Nelson Mandela, 1998

L’apartheid est un crime contre l’humanité. Il s’agit d’imposer et de maintenir un régime d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur un autre groupe racial dans un pays. 

C’est un système qui est étayé par des mesures, des politiques et des pratiques législatives et administratives destinées à isoler un groupe racial – en l’occurrence les Rohingyas – afin de priver ses membres de leurs droits humains et de les empêcher de participer à la vie politique, sociale et économique d’un pays. Dans la pratique, des actes de violence ouverte comme le viol, la torture et les homicides illégaux sont utilisés comme outils d’oppression et de domination.

Une prison à ciel ouvert

L’État d’Arakan se situe dans l’ouest du Myanmar, à la frontière avec le Bangladesh. Si cet État accueille une population très diverse, la majorité des habitants appartiennent à l’ethnie rakhine bouddhiste. Cependant, les Rohingyas, minorité ethnique majoritairement musulmane, sont confinés dans leurs villages, leurs villes et des camps sordides pour personnes déplacées – ils sont isolés du reste de l’État et du Myanmar.

Dans les localités du nord, où vivaient la plupart des Rohingyas jusqu’à l’exode récent, les déplacements entre les villages sont fortement restreints, tandis que dans certaines zones du centre de la région, les Rohingyas sont autorisés à emprunter uniquement les voies navigables, et uniquement pour se rendre dans d’autres villages musulmans.

D’après les règlementations officielles, les Rohingyas doivent suivre une procédure complexe pour obtenir des permis afin de se rendre d’une localité à l’autre.

Dans la pratique, seuls les Rohingyas qui vivent dans les localités de Maungdaw et Buthidaung, dans le nord de l’État, ont pu en obtenir ces dernières années, et seulement pour circuler entre ces deux localités. Ceux qui parviennent à obtenir un permis doivent franchir les nombreux postes de contrôle des forces de sécurité, où ils sont régulièrement harcelés et contraints de payer des pots-de-vin, et risquent d’être agressés physiquement ou arrêtés.

Nous ne sommes pas autorisés à sortir de cette zone… Comment pouvons-nous survivre ainsi ?

Une femme rohingya, âgée, qui habite à Aung Mingalar

Privés d’accès aux soins médicaux

Il est très difficile pour les Rohingyas d’être admis à l’hôpital de l’État, à Sittwe.

Seuls les patients rohingyas dont les cas sont les plus graves sont acceptés ; ils ont alors besoin d’un permis spécial des autorités de l’État d’Arakan et doivent circuler sous escorte policière.

Une fois admis, ils sont installés dans des salles réservées aux musulmans et courent le risque de se faire extorquer de l’argent et autres « honoraires » par des policiers ou des brancardiers.

JE VOULAIS ME RENDRE À L’HÔPITAL DE SITTWE POUR Y ÊTRE SOIGNÉ, MAIS C’EST INTERDIT.

Un ancien paysan, atteint d'une cirrhose du foie

JE VEUX POURSUIVRE MES ÉTUDES. JE VEUX DEVENIR MÉDECIN, MAIS JE NE PEUX PAS, PARCE QUE LES AUTORITÉS NOUS L’INTERDISENT.

Une adolescente rohingya, âgée de 16 ans

Un avenir sans espoir

Les possibilités en termes d’éducation pour les Rohingyas sont extrêmement limitées.

Dans de vastes zones de l’État d’Arakan, les enfants rohingyas n’ont plus le droit d’être scolarisés dans les écoles où ils côtoyaient auparavant les enfants rakhines. Dans de nombreux secteurs, les enseignants du gouvernement refusent de se rendre dans les écoles des villages et des localités musulmanes, invoquant le fait qu’ils ont peur pour leur sécurité.

 Pour la plupart des étudiants rohingyas, aller à l’université est un rêve quasi inatteignable.

Face à des perspectives aussi minces, les jeunes Rohingyas regardent l’avenir avec un sentiment d’immense désespoir.

L’ARME LA PLUS DESTRUCTRICE DES AUTORITÉS, CE SONT LES OBSTACLES À L’ÉDUCATION.

Un Rohingya, habitant du nord de l'État d'Arakan

IL N’EXISTE PAS DE RACE APPELÉE ROHINGYA AU MYANMAR.

Général Min Aung Hlaing, commandant en chef de l'armée du Myanmar

Privés d’identité

Les autorités du Myanmar mettent en œuvre des moyens légaux pour priver les Rohingyas de leurs droits et de leur statut juridique depuis des décennies. En 1982, elles ont adopté une loi qui leur permet de priver les Rohingyas de leurs droits à la citoyenneté.

Depuis quelques années, les autorités vont encore plus loin.  

Il est désormais très fastidieux pour les Rohingyas de faire enregistrer les nouveau-nés, même sur les « listes de famille » – bien souvent le seul moyen pour les familles de prouver qu’elles résident au Myanmar.

Dans le nord de l’État d’Arakan, ceux qui ne se trouvent pas chez eux lors des «recensements » annuels risquent tout simplement d’être supprimés des registres.

Ces mesures s’inscrivent dans le cadre d’une politique plus générale visant à plonger les Rohingyas au Myanmar dans une vie faite de désespoir et d’humiliation. 

LES ENFANTS MUSULMANS NE SONT RECENSÉS NULLE PART AILLEURS, ALORS S’ILS NE FIGURENT PAS SUR LA LISTE DE FAMILLE, ILS N’EXISTENT PAS.

Un ancien employé humanitaire travaillant dans le nord de l'État d'Arakan

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