Les autorités doivent libérer Nasser Zefzafi et les personnes arrêtées pour avoir manifesté pacifiquement ou pour avoir rendu compte des rassemblements sur Internet. Ce sont des prisonniers d'opinion.
Heba Morayef, directrice des recherches pour l'Afrique du Nord à Amnesty International
Les autorités marocaines doivent libérer immédiatement et sans condition le leader du mouvement du Rif Nasser Zefzafi, ainsi que le journaliste Hamid El Mahdaoui et toutes les personnes détenues en lien avec les manifestations du Rif et l’expression pacifique de leurs droits humains, a déclaré Amnesty International.
« La répression dont les manifestants du Rif font l’objet depuis quelques mois est implacable. Les autorités doivent libérer Nasser Zefzafi et les personnes arrêtées pour avoir manifesté pacifiquement ou pour avoir rendu compte des rassemblements sur Internet. Ce sont des prisonniers d’opinion », a déclaré Heba Morayef, directrice des recherches pour l’Afrique du Nord à Amnesty International.
Depuis le mois de mai, les forces de sécurité ont arrêté des centaines de manifestants, dont des mineurs, et plusieurs journalistes, en marge des manifestations majoritairement pacifiques. Au moins 410 personnes sont actuellement incarcérées. Certaines ont été arrêtées à leur domicile. Beaucoup ont déjà été condamnées, parfois à de lourdes peines allant jusqu’à 20 ans de prison, tandis que d’autres, dont des mineurs, se trouvent en détention provisoire, depuis six mois pour certains.
Le leader du mouvement Nasser Zefzafi est maintenu depuis 176 jours en détention à l’isolement prolongé, à la prison locale d’Ain Sbaa, et passe plus de 22 heures par jour dans une cellule individuelle, sans véritable contact humain. Le journaliste Hamid El Mahdaoui est lui aussi détenu depuis des semaines à l’isolement, dans la même prison. L’isolement prolongé, défini comme une période excédant 15 jours consécutifs, constitue une violation de l’interdiction absolue de la torture et de toute autre forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant.
« Alors que la détention provisoire doit être utilisée à titre de mesure exceptionnelle et jamais à titre de châtiment, le tribunal de Casablanca a refusé la libération sous caution de 50 des 54 accusés dans les procès du Rif », a déclaré Heba Morayef.
La Cour d’appel de Casablanca juge actuellement Nasser Zefzafi et 53 autres accusés, en lien avec le mouvement de contestation du Rif, appelé Hirak en arabe. La plupart des accusations retenues contre le leader de la contestation Nasser Zefzafi et ses co-accusés vont à l’encontre des obligations du Maroc en termes de droits humains, car elles criminalisent l’exercice pacifique des droits à la liberté de réunion, d’association et d’expression.
Ils sont notamment accusés d’organisation de manifestation non autorisée, de rébellion, de « complot en vue de porter atteinte à la sûreté intérieure de l’État », d’atteinte à la « fidélité que les citoyens doivent à l’État et aux institutions du peuple marocain », d’« incitation à porter atteinte à l’intégrité territoriale du Royaume » et d’« outrage » à des représentants et des institutions de l’État. S’ils sont reconnus coupables d’infractions à la sûreté de l’État, ils encourent jusqu’à 20 ans d’emprisonnement. Certains sont même accusés de tentative de meurtre et risquent la réclusion à perpétuité.
Des manifestants ont décrit la torture et les autres mauvais traitements qui leur ont été infligés. Ils auraient notamment été roués de coups, étouffés, dévêtus, menacés de viol et insultés par la police, au moment de l’arrestation et lors des interrogatoires, parfois pour les contraindre à passer aux « aveux ». En juillet, le ministre de la Justice a annoncé des investigations sur au moins 66 cas présumés de torture et de mauvais traitements infligés par la police à des manifestants en détention. Par ailleurs, les juges retiennent à titre de preuves contre les accusés lors de leurs procès des déclarations qui auraient été extorquées sous la torture, en violation des obligations internationales qui incombent au Maroc concernant l’interdiction de la torture et l’équité des procès.
Le ministère public a accusé Nasser Zefzafi d’avoir « incité les manifestants à attaquer les forces de sécurité » lorsqu’elles ont tenté de l’arrêter le 26 mai. Amnesty International a examiné de près l’acte d’inculpation et les preuves présentées à l’encontre de Nasser Zefzafi. L’action en question, selon le ministère public, se réfère au moment où Nasser Zefzafi a pointé du doigt les forces de sécurité, les qualifiant de « forces répressives » et a prié à voix haute, « prenant le Tout-Puissant à témoin de [son] martyre ». Ces mots et ces actes ne constituent pas une incitation à la violence, mais relèvent de la liberté d’expression pacifique.
Les tribunaux marocains ont déjà condamné des personnes accusées d’implication directe dans des heurts occasionnels en marge des manifestations, pendant lesquels des manifestants ont lancé des pierres et des cocktails Molotov, notamment à Imzouren le 26 mars 2017. Dans cette affaire toutefois, le ministère public a inculpé la plupart des 54 accusés d’« incitation » à causer des troubles, de « participation » ou de « complicité » dans ces troubles, sans fournir aucune preuve de leur responsabilité pénale individuelle dans des actes de violence.
Il a mis l’accent sur les appels légitimes à manifester des accusés ou leur participation aux rassemblements, notamment le fait de scander des slogans pacifiques, d’acheter du tissu pour des banderoles, de louer des chaises pour des réunions publiques ou de poster sur les réseaux sociaux des contenus relatifs aux manifestations. En outre, il a désigné les publications sur Facebook et l’utilisation de Facebook Live (en direct) par les militants comme étant une « incitation » à manifester. Des blogueurs et des journalistes qui ont couvert les manifestations sur des sites d’information en ligne et sur Facebook ont été interpellés.
Les militants Mohamed Jelloul, Nabil Ahamjik, Mohamed Majjaoui et Achraf El Yakhloufi, les journalistes Mohamed El Assrihi et Fouad Saidi, et d’autres personnes faisant partie du groupe des 54 accusés sont notamment détenus pour « atteintes à la sûreté intérieure de l’État », « incitation à porter atteinte à l’intégrité territoriale du Royaume », « outrage » à des représentants et des institutions de l’État, et organisation de manifestations non autorisées, et doivent être libérés immédiatement et sans condition.
En outre, le journaliste Hamid El Mahdaoui est accusé de ne pas avoir averti les autorités au sujet des appels téléphoniques qu’il a reçus d’un homme qui affirmait avoir l’intention d’acheter des armes et de les envoyer au Maroc pour déclencher une « guerre » à Al Hoceima, dans le Rif. Hamid El Mahdaoui a déclaré au tribunal qu’il ne connaissait pas cet homme et ne l’a pas pris au sérieux. Journaliste au franc-parler, il a déjà été condamné à plusieurs reprises pour avoir dénoncé des atteintes aux droits humains imputables à des représentants de l’État. Il doit être libéré immédiatement et sans condition.
Le ministère public a accusé une minorité de prévenus d’être directement responsables d’actes de violence spécifiques, notamment de jet de pierres, incendie et dégradation de biens. Si Amnesty International n’est pas en mesure de vérifier de manière indépendante les preuves étayant ces affirmations, le tribunal doit garantir le droit de tous les accusés à un procès équitable, notamment en excluant les déclarations obtenues sous la torture, les mauvais traitements ou la contrainte.
Des militants continuent d’être arrêtés dans le Rif et les autorités continuent d’interdire des manifestations, comme ce fut le cas le 28 octobre dans les villes de Nador et Al Hoceima à l’occasion du premier anniversaire de la mort du marchand de poissons Mouhcine Fikri. Il avait été broyé dans une benne à ordures alors qu’il tentait de récupérer des espadons saisis par la police. Cette tragédie avait déclenché les manifestations qui se sont cristallisées dans le mouvement de contestation Hirak.