Tunisie. Des journalistes poursuivis pour avoir critiqué la conduite des forces de sécurité

La condamnation de deux journalistes pour avoir critiqué une violente descente effectuée par les forces de sécurité à leur domicile familial à Tozeur doit être annulée, a déclaré Amnesty International à la veille de leur audience en appel.

Les deux journalistes sont en butte à un harcèlement constant de la part des forces de sécurité, qui effectuent régulièrement des descentes à leur domicile, soi-disant à la recherche de leur frère, soupçonné d’avoir des opinions religieuses extrémistes.

Salam Malik, président de l’Union tunisienne des médias associatifs et directeur de la station de radio Djerid FM, a été condamné à six mois de prison par un tribunal de Tozeur mercredi 10 mai. Le même jour, sa sœur, Salwa Malik, directrice des programmes de la radio, a été condamnée à une peine de six mois avec sursis.

« Salam et Salwa Malik sont sanctionnés pour avoir critiqué la conduite des forces de sécurité. Exprimer sans violence votre opposition au harcèlement et à l’intimidation imputables aux forces de sécurité n’est pas un crime. Ces condamnations doivent être annulées, a déclaré Heba Morayef, directrice des recherches pour l’Afrique du Nord à Amnesty International.

« Les autorités tunisiennes sont connues pour harceler les familles de suspects et faire violemment irruption dans leurs logements. Au lieu de s’en prendre aux victimes qui portent plainte, elles devraient concentrer leurs efforts sur la tenue d’enquêtes sur ces violations. »

Exprimer sans violence votre opposition au harcèlement et à l'intimidation imputables aux forces de sécurité n'est pas un crime.

Heba Morayef, directrice des recherches pour l'Afrique du Nord à Amnesty International

Six membres armés des forces de sécurité ont fait une descente au domicile familial de Salam et Salwa Malik le 7 février 2017, à midi. Ils recherchaient leur frère, soupçonné par la police d’appartenir à un groupe religieux extrémiste. Salwa Malik, sa mère et son neveu de 11 ans étaient présents lorsque les policiers sont arrivés. Elle a raconté à Amnesty International qu’elle a protesté contre la conduite agressive des forces de sécurité, lorsque l’un des hommes armés a menacé son jeune neveu à bout portant, parce qu’il tentait de filmer l’opération avec sa tablette. « Si tu ne la poses pas, je la fais exploser », a déclaré le policier, terrifiant le jeune garçon.

Salam Malik est arrivé sur ces entrefaites, alors que les six agents perquisitionnaient la maison, et a lui aussi protesté contre la violence avec laquelle ils procédaient à l’opération et contre le harcèlement répété infligé à sa famille par les forces de sécurité.

Plus tard ce jour-là, les policiers qui ont effectué la descente ont porté plainte contre Salam et Salwa Malik, affirmant qu’ils avaient entravé leur travail et les avaient insultés.

Tous deux ont ensuite été déclarés coupables d’« outrage à un fonctionnaire public dans l’exercice de ses fonctions », infraction passible d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à un an et d’une amende de 120 Dinars tunisiens (environ 45 euros).

Ce sont les mêmes policiers qui ont mené la descente à leur domicile et porté plainte qui les ont par la suite convoqués pour les interroger dans le cadre de cette affaire.

En novembre 2014, leur frère a été détenu pendant 16 mois en raison de ses liens présumés avec un groupe extrémiste avant qu’il ne soit finalement libéré en février 2016, sans être reconnu coupable. Depuis, les forces de sécurité ont effectué de multiples descentes au domicile des Malik.

Salwa Malik a déclaré que la police avait effectué de multiples descentes ces derniers mois, repartant à chaque fois bredouille.  Elle a ajouté que cela exerçait une pression énorme sur tous les membres de la famille et leur valait d’être stigmatisés. « Nous sommes fatigués de ce harcèlement, nous voulons que cessent les violations de nos droits », a-t-elle déclaré.

Dans son rapport publié en février, Amnesty International recensait le recours récurrent à des violations des droits humains imputables aux forces de sécurité, notamment les arrestations arbitraires, le recours excessif et injustifié à l’usage de la force lors des perquisitions, la torture, les restrictions arbitraires des déplacements et le harcèlement infligé aux proches des suspects.

« Les forces de sécurité à Tozeur ne doivent pas être autorisées à intimider encore davantage les proches en portant des accusations contre les personnes qu’elles harcèlent, tout en utilisant les tribunaux pour couvrir leurs agissements. Les victimes doivent savoir que le système judiciaire leur apportera une forme de réparation », a déclaré Heba Morayef.