Pour le directeur exécutif d’Amnesty International Inde, l’espace dévolu à la société civile et à la dissidence se réduit

Ceci est un entretien réalisé par l’Hindustan Times avec Aakar Patel, directeur exécutif d’Amnesty International Inde.

La police a dressé un procès-verbal introductif en vertu de plusieurs sections du Code pénal indien, notamment de la section 124A – sur la sédition -, contre Amnesty International Inde lundi 15 août, pour avoir semble-t-il lancé des slogans « anti-indiens » lors d’un événement de l’organisation à Bangalore.

Les prétendus slogans émis lors de cet événement – organisé afin d’attirer l’attention sur des violations des droits humains dans l’État de Jammu-et-Cachemire – ont suscité la colère du groupe étudiant de droite Akhil Bharatiya Vidyarthi Parishad (ABVP, Conseil étudiant pan-indien).

Dans un entretien accordé par courriel à l’Hindustan Times, Aakar Patel, le directeur exécutif de l’organisation, réfute ces accusations et déclare que le gouvernement doit faire respecter la liberté d’expression.

Question : Quelle était la nature de l’événement qui s’est tenu à Bangalore et que s’est-il exactement passé sur place qui ait donné lieu à un procès-verbal introductif ? Aviez-vous déjà organisé des manifestations relatives aux violations des droits humains au Cachemire auparavant ? Si oui, aviez-vous déjà rencontré des difficultés avec les autorités ?

Réponse : Cet événement s’est tenu [samedi 13 août] dans le cadre d’une action se fondant sur le rapport intitulé Denied: Failures in accountability for human rights violations by security force personnel in Jammu and Kashmir, publié en juillet 2015 et consultable par tous.

Nous avions pour projet d’organiser des événements dans trois villes – Bangalore, Mumbai et Delhi – ce mois d’août. Lors de ces événements, il était prévu que des familles de l’État de Jammu-et-Cachemire victimes de violations des droits partagent avec le public leur expérience personnelle, après avoir connu la perte d’un proche et le deuil.

La manifestation s’est ouverte sur un discours de bienvenue prononcé par Tara Rao, la directrice des programmes, suivi de la projection de trois courtes vidéos présentant le cas de chacune des trois familles invitées. Ensuite, un groupe d’acteurs de théâtre a donné une représentation retraçant l’exécution extrajudiciaire d’Altaf Ahmad Shah, un jeune homme de 21 ans originaire du Cachemire, qui s’appuyait sur le témoignage de son père, Ali Mohammad Shah.

La journaliste Seema Mustafa a alors animé une discussion avec les membres de deux autres familles du Cachemire et RK Mattoo, qu’Amnesty International Inde a invité à s’exprimer sur les violations subies par la communauté pandit au Cachemire. Une prestation du rappeur Roushan Illahi a clos la manifestation.

Vers la fin, des membres du public ont lancé des slogans, dont certains étaient des appels à la liberté (« Azaadi »).

En juillet 2015, nous avons organisé une conférence au Constitutional Club de New Delhi pour le lancement du rapport intitulé Denied: Failures in accountability for human rights violations by security force personnel in Jammu and Kashmir. Nous n’avons rencontré aucun problème avec les autorités à cette occasion.

Ce rapport faisait état d’obstacles à la justice dans plusieurs cas de violations des droits humains attribuées à des membres des forces indiennes de sécurité dans l’État de Jammu-et-Cachemire. Il s’intéressait particulièrement à la section 7 de la loi de 1990 sur les pouvoirs spéciaux des forces armées de cet État (Afspa), qui accorde une quasi immunité de poursuites aux membres de ces forces devant les tribunaux civils pour les violations présumées des droits humains.

Ce rapport s’est appuyé sur des recherches approfondies effectuées dans l’État de Jammu-et-Cachemire, notamment sur des entretiens avec des parents de victimes, des requêtes relatives au droit à l’information, l’examen de registres policiers et judiciaires, et des rencontres avec des groupes de la société civile, des avocats et des représentants du gouvernement.

Question : L’an dernier, à l’occasion des 25 ans de l’Afspa au Cachemire, Amnesty a diffusé un rapport sur les violations des droits humains dans cet État depuis l’entrée en vigueur de ce texte. Y avait-il alors eu des tentatives visant à empêcher la publication du rapport ? Si cela n’a pas été le cas, pourquoi pensez-vous qu’Amnesty est accusée de sédition maintenant ? Pensez-vous que les autorités se montrent particulièrement susceptibles au sujet du Cachemire à l’heure actuelle en raison de la situation sur place ?

Réponse : Il n’y a eu aucune tentative de suspendre cette publication. Amnesty International Inde a envoyé un exemplaire du rapport aux autorités au ministère de l’Intérieur et au ministère de la Défense. Elle n’a reçu aucune réponse. Les recommandations du rapport ont été accueillies favorablement par le Parti démocratique populaire.

Les allégations formulées dans la plainte d’ABVP contre Amnesty International Inde sont sans fondement. Nous ne voulons pas faire de suppositions quant à la raison pour laquelle une enquête pour sédition a été ouverte sur la base d’éléments aussi peu convaincants. Il est toutefois vrai que l’espace dévolu à la société civile et à la dissidence en Inde se réduit.

Question : Comment avez-vous pris connaissance de ces accusations de sédition ? Un exemplaire du procès-verbal introductif vous a-t-il été envoyé ?

Réponse : Nous avons appris l’existence de l’affaire par les médias. Nous avons reçu un exemplaire du procès-verbal introductif dans la soirée du 16 août.

Question : Des groupes conservateurs ont par le passé porté des accusations contre des personnes œuvrant en faveur des droits humains. Lorsque l’on voit que la police a établi un procès-verbal introductif dans cette affaire, quelles conclusions en tirer sur notre situation sociale et politique actuelle ? Et dans quelle mesure cela complique-t-il la tâche des défenseurs des droits humains ?

Réponse : Les gouvernements de divers États ont invoqué la législation relative à la sédition pour sévir contre des militants qui critiquent les politiques gouvernementales. Le gouvernement doit respecter le droit de ces personnes et des organisations à la liberté d’expression et de réunion.

Question : Si on recense aussi des violations des droits humains ailleurs dans le pays, dans le nord-est par exemple, pensez-vous que les autorités sont particulièrement sur la défensive quant à la situation au Cachemire ? Merci de répondre en détail.

Réponse : Les forces armées et les gouvernements centraux successifs ont résisté aux appels à modifier ou abroger les Afspa, à la fois dans l’État de Jammu-et-Cachemire et dans les États du nord-est. Bien que divers organes indiens et internationaux aient préconisé l’abrogation de ces lois, celles-ci continuent depuis des décennies à permettre que certains actes restent impunis.

Question : Ce procès-verbal introductif changera-t-il en quoi que ce soit la manière de travailler d’Amnesty en Inde ? Et, si l’accusation de sédition n’est pas retirée, comment Amnesty compte-t-elle se défendre ? Craignez-vous la possibilité qu’Amnesty se voie interdire de travailler au Cachemire ou dans le reste de l’Inde ?

Réponse : Amnesty International s’engage et continuera à s’engager à travailler sur les violations des droits humains et à les dénoncer, en Inde et partout dans le monde. Les allégations formulées contre nous sont sans fondement, et cela sera démontré.