La longue quête de justice des victimes d’un ancien dictateur tchadien

« Du fond de ma cellule, du fond de cette folie, j’ai juré de lutter pour la justice si je m’en sortais vivant », a déclaré Souleymane Guengueng, un ancien détenu, devant le tribunal spécial l’an dernier. Lundi 30 mai, cet homme et des milliers d’autres victimes se sont félicités de la condamnation à la réclusion à perpétuité prononcée par les Chambres africaines extraordinaires à Dakar contre l’ancien président tchadien Hissène Habré, pour crimes contre l’humanité et torture.

Emprisonné pendant deux ans et demi à la fin des années 80, Souleymane Guengueng a eu plus de chance que beaucoup d’autres. Il a été estimé qu’environ 40 000 personnes ont trouvé la mort aux mains des forces de sécurité tchadiennes entre 1982 et 1990.

« J’ai vu mes amis et codétenus mourir de faim, mourir de désespoir, mourir des suites de la torture et mourir de maladie », s’est souvenu Souleymane Guengueng durant son témoignage.

Une chose remarquable a toutefois émergé de l’horreur.

Pendant plus de deux décennies, malgré les menaces, les actes d’intimidation et des revers politiques majeurs, des victimes et des groupes de la société civile ont travaillé sans relâche pour que cette journée puisse avoir lieu.

Pendant plus de deux décennies, malgré les menaces, les actes d’intimidation et des revers politiques majeurs, des victimes et des groupes de la société civile ont travaillé sans relâche pour que cette journée puisse avoir lieu.

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Une coalition réunissant des organisations de défense des droits humains et des groupes de victimes au Tchad a consacré de nombreuses années à recueillir des témoignages auprès de victimes et de familles de victimes, afin de réunir suffisamment d’éléments à charge contre Hissène Habré. Des actions nationales et régionales ont été élaborées, soutenues par des organisations internationales telles qu’Amnesty International qui ont aidé à recueillir des informations sur les atrocités commises sous son régime.

Les tentatives visant à poursuivre ou extrader l’ancien président vers la Belgique ont été contrariées à plusieurs reprises, tout comme les initiatives visant à contraindre le Sénégal à engager des poursuites contre lui. Mais les groupes de victimes et les militants ont continué à se battre et en 2012, l’Union africaine a aidé le Sénégal à ouvrir enfin la voie à la justice.

Une nouvelle loi a été adoptée en décembre 2012, permettant la création des Chambres africaines extraordinaires à Dakar. Hissène Habré, alors âgé de 70 ans, a été arrêté six mois plus tard, puis il a comparu pour la première fois le 20 juillet 2015.

Au cours des mois suivants, la véracité des charges contenues dans l’acte d’accusation d’Hissène Habré, long de 187 pages, a été examinée au tribunal. Il s’agissait notamment d’accusations de crimes contre l’humanité, de torture et de crimes de guerre. Soixante-neuf anciennes victimes ont dû revivre des moments éprouvants. Elles ont décrit les violations choquantes que les forces de sécurité tchadiennes leur ont fait subir.

On a fait grand cas de cette affaire historique du point de vue de la justice internationale. Il s’agissait après tout de la première fois que la compétence universelle aboutissait à un procès sur le continent, et qu’un ancien dirigeant africain était poursuivi pour des crimes de droit international devant un tribunal siégeant dans un autre État africain. Ce cas donne un nouvel élan au combat contre l’impunité ancrée dans d’autres pays du continent, qu’il soit mené par l’Union africaine ou par des pays africains individuels.

Mais de mon point de vue, l’importance de ce cas dépasse cela, et a une portée beaucoup plus personnelle. Cette affaire a montré que les victimes de violations des droits fondamentaux peuvent quand même se faire entendre et obtenir justice, même lorsque leur situation est désespérée. Elle a montré que le travail accompli par des militants et des défenseurs des droits humains, même s’il est de longue haleine et semé d’embûches, importe vraiment. Et elle montre que les chefs d’État, les chefs militaires et les autres individus soupçonnés d’avoir commis des violations des droits humains autour du globe ne peuvent plus espérer se soustraire à la justice internationale pour toujours. Les pays où elles se réfugiaient auparavant ne sont plus des lieux sûrs pour les personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et d’autres crimes au regard du droit international.

Après la chute du gouvernement d’Hissène Habré, plus de 50 000 lettres et cartes postales envoyées par des membres d’Amnesty International demandant la libération de détenus ont été trouvées dans les locaux de la Direction de la documentation et de la sécurité à N’Djamena, la capitale. Un quart de siècle plus tard, la plupart des personnes citées dans ces lettres ne sont plus là pour assister au jugement. Elles font partie de milliers de personnes mortes pendant les années 80. Pour celles qui en ont réchappé cependant, et pour toutes celles qui croient aux droits humains et à l’état de droit, le jugement du 30 mai est d’une importance cruciale.

De mon point de vue, cette affaire a montré que les victimes de violations des droits fondamentaux peuvent quand même se faire entendre et obtenir justice, même lorsque leur situation est désespérée.

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Ce sont des moments comme celui-là qu’il est bon de se rappeler en des heures plus sombres. Il s’agit là d’événements qui nous donnent de l’espoir et la force de nous battre pour ce qui est juste. Le jugement du 30 mai apportera un regain d’énergie à la lutte contre l’impunité pour les crimes commis lorsque Hissène Habré était au pouvoir, qui se poursuivra jusqu’à ce que tous les auteurs présumés de crimes de droit international soient traduits en justice.

Cet article a initialement été publié sur le site d’Al Jazeera English