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Le 10 avril est une journée très éprouvante pour Mohamed Soltan, militant américano-égyptien de 27 ans incarcéré dans la tristement célèbre prison de Tora, au Caire, où il observe une grève de la faim depuis plus de 14 mois.
Un tribunal a condamné à mort son père, Salah Soltan, ainsi que 13 autres accusés, le 16 mars. Leurs sentences risquent d’être confirmées par le grand mufti, qui doit être consulté.
Le 11 avril, Mohamed et 36 autres accusés comparaîtront devant le même tribunal, notamment pour « financement du sit-in de Rabaa al-Adawiya », action de contestation massive organisée au Caire en août 2013 qui a été violemment dispersée par les forces de sécurité, et diffusion de « fausses informations » en vue de porter atteinte à la sécurité en Égypte. Ils font partie d’un groupe de 51 personnes arrêtées après le sit-in dans le cadre d’une opération de répression généralisée visant les partisans du président déchu Mohamed Morsi.
La sœur de Mohamed, Hanaa, est extrêmement inquiète quant à l’avenir de sa famille. Voici une lettre poignante qu’elle a adressée à son frère :
Mon cher Mohamed,
On me demande souvent pourquoi et comment tu peux poursuivre ta grève de la faim depuis 14 mois maintenant, malgré nos demandes d’y mettre un terme. J’ai vu ton corps de joueur de basket à la carrure bien charpentée s’étioler pour devenir une silhouette émaciée et osseuse. Ton visage, si souvent éclairé d’un sourire rayonnant, n’exprime plus que la douleur. Et tout ce que je peux expliquer aux gens c’est que c’est la seule forme de contrôle qu’il te reste – aujourd’hui plus que jamais, à la veille de ta condamnation.
Le mois dernier, notre père a été condamné à mort dans le cadre de la même affaire pour laquelle tu dois être condamné demain. Nous ne nous attendions pas à cela. Les avocats m’ont dit que tu écoperais de quelques années tout au plus. Je ne m’en suis pas encore remise.
Le 26 janvier 2014, tu as entamé une grève de la faim pour tenter de regagner une forme de contrôle, dont tu avais été complètement dépourvu. Tu avais déjà passé cinq mois derrière les barreaux et tu étais fatigué de te plaindre de ne recevoir aucun soin médical pour un problème de caillot potentiellement mortel dont tu souffrais avant ton incarcération et pour les actes de torture et les mauvais traitements qui t’ont été infligés au cours de ta détention.
Tu as raconté que tes geôliers se servaient de chaînes pour te frapper sur le bras, là où tu avais encore des points de suture pour une blessure par balle reçue lorsque les forces de sécurité égyptiennes ont dispersé le sit-in organisé à Rabaa le 14 août 2013. Les coups ont rouvert ta blessure, te rendant vulnérable à toutes sortes d’infections dangereuses. Les coups ont également déplacé les broches et les plaques métalliques à l’intérieur de ton bras, entaillant des nerfs et des muscles et te causant une douleur immense, pour laquelle tu n’as reçu aucun traitement ni aucun médicament. Tu n’as même pas pu avoir une radio. Un codétenu, médecin, a improvisé une opération chirurgicale en utilisant des fils et un rasoir, sans aucune anesthésie ni stérilisation. Tu as évoqué ces souffrances dans une lettre adressée en novembre 2013 au président américain Barack Obama. Il n’a pas encore répondu.
Nous sommes si inquiets que nous avons fait pression sur toi il y a peu pour que tu ingères des liquides, parce que tu es à l’isolement 23 heures 30 sur 24 et ne reçois aucun soin médical à la prison de Leiman Tora. Néanmoins, tu poursuis ta grève, parce que c’est la seule chose que tu peux choisir et sur laquelle tu peux influer. Tu te serais effondré nerveusement sans cela. Je le comprends.
Ton corps frêle démentit un esprit fort. Je sais que tu as conforté ta spiritualité durant tout ce processus. Tu lis et relis tous les livres et les romans que nous t’envoyons. Parfois, les gardiens empêchent toute nouvelle lecture de parvenir jusqu’à ta cellule et c’est dans ces moments-là que tu es le plus susceptible de perdre pied. La lecture et la grève de la faim sont tes principaux mécanismes d’adaptation. Pour nous, choisir des livres pour te les envoyer fut aussi un moyen de faire face.
Pendant la demi-heure où tu es autorisé à sortir de ta cellule, tu t’efforces de faire circuler ton sang grâce à de la kinésithérapie élémentaire. Tes jambes sont trop faibles désormais pour que tu puisses te tenir debout ou marcher. J’imagine que tu engages souvent le dialogue avec les gardiens et d’autres. Tu es une personne très sociable et tu as besoin d’échanges. J’imagine que tu profites de cette demi-heure pour bénéficier de contacts humains tant recherchés.
Sachant que ton sort repose entre les mains d’un juge qui a condamné à mort notre père ne contribue pas à m’apaiser. Je suis très inquiète. Durant ce calvaire de 19 mois, j’ai vu tant d’humanité perdue, mais j’ai aussi été stupéfaite par la bonté qui existe partout dans le monde, et par la puissance de notre unité dans l’humanité. Elle revêt des visages différents et je suis reconnaissante pour chacun d’entre eux. Mohamed, tu es béni à bien des égards que ton histoire soit connue de tant de monde. Au moins 16 000 prisonniers en Égypte vivent une épreuve comme la tienne.
Ta sœur, et meilleure amie,
Hanaa
Amnesty International fait campagne en faveur de la libération immédiate de Mohamed Soltan. Aux termes du droit international, les accusations portées à son encontre ne constituent pas des infractions pénales. Il doit recevoir les soins médicaux dont il a besoin et les autorités égyptiennes ne doivent pas le sanctionner à titre punitif au motif qu’il observe une grève de la faim.
Cet article a été publié dans le journal en ligne Open Democracy.