Les bons résultats économiques de la Tunisie cachent la désastreuse situation des droits humains

Si la croissance économique de ces dernières décennies a permis l’amélioration des conditions de vie de nombreux Tunisiens, tout le pays n’en a pas bénéficié. Ce « miracle économique » n’a pas non plus débouché sur de grands progrès en matière de droits humains, d’après Amnesty International. Les fortes disparités socio-économiques entre le nord et le sud du pays sont devenues manifestes lors de troubles survenus dans la région de Gafsa, dans le sud-ouest du pays, en 2008. Des manifestations pacifiques de travailleurs et de jeunes chômeurs y ont en effet été durement réprimées par les forces de sécurité (recours abusif à la force, arrestations arbitraires, actes de torture et autres mauvais traitements) et des personnes ont été incarcérées à l’issue de procès inéquitables. Le mois de juin 2009 marque le premier anniversaire des manifestations les plus suivies, déclenchées par une campagne de recrutement de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), à Redeyef, perçue comme inique, et par le non respect des droits économiques, sociaux et culturels. Les troubles ayant commencé en janvier 2008 ont vite gagné les autres villes et ont continué jusqu’en juillet 2008.   Dans la région de Gafsa, les forces de sécurité tunisiennes ont arbitrairement arrêté et incarcéré quelque 300 manifestants, dont beaucoup ont été torturés ou maltraités. Au moins 200 personnes ont été poursuivies pour leur implication dans ces événements, et certaines purgent actuellement des peines de huit années d’emprisonnement après des procès inéquitables. Des syndicalistes considérés comme ayant été les meneurs du mouvement à Gafsa ont été condamnés à des peines de prison au terme de procès iniques, et les proches de détenus continuent à faire l’objet de manœuvres d’intimidation et de harcèlement. Amnesty International demande la libération immédiate et inconditionnelle des syndicalistes pris pour cible pour leur rôle présumé de fer de lance du mouvement. « Un an plus tard, et en dépit de l’annonce faite en fanfare par le président Ben Ali que les doléances de la population seraient examinées, aucune avancée n’a été observée sur quelque front que ce soit, a déploré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. L’enquête annoncée sur la mort de deux manifestants n’a livré aucun résultat ; des syndicalistes, notamment Adnan Hajji, Béchir Laabidi et Tayeb ben Othman, se trouvent toujours en prison à la suite de procès relevant d’une parodie de justice ; les proches des personnes arrêtées font l’objet de harcèlement, et globalement, la situation dans la région de Gafsa reste inchangée. » D’après un nouveau rapport d’Amnesty International, les Tunisiens continuent de vivre dans un climat où aucune critique du gouvernement ni de ses politiques n’est tolérée et où toute contestation sociale est implacablement réprimée. Les droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association – préalables nécessaires à toute opposition – sont tous fortement restreints. La publication de ce document, intitulé Tunisie. Derrière le « miracle économique » tunisien : les inégalités et la criminalisation de l’opposition, a coïncidé avec le premier anniversaire des arrestations de dirigeants syndicaux et de la dispersion violente des manifestations par les forces tunisiennes de sécurité. Il examine la situation des droits humains dans le pays et montre comment, tandis que les régions du nord et les zones côtières, ainsi que les destinations touristiques de la Tunisie, ont bénéficié de la croissance économique, le sud du pays et les régions rurales sont encore plus marginalisés qu’avant. En ce qui concerne l’accès aux infrastructures et aux services sociaux de base, le centre, l’ouest et le sud du pays sont très en retard. En conséquence, les taux d’illettrisme et de chômage y sont plus élevés. Les habitants de ces régions ne disposent pas non plus d’un accès satisfaisant à l’eau potable, aux services d’évacuation des eaux usées et d’assainissement, à l’électricité, aux biens d’équipements ménagers et à des logements convenables. « Si les autorités souhaitent réellement s’attacher à résoudre le problème de la pauvreté et du non respect des droits de la population de Gafsa, elles devraient, au lieu de traiter des manifestants non violents comme des criminels, les libérer immédiatement. Les habitants de Gafsa demandaient à être traités avec dignité et revendiquaient leurs droits, rien de plus », a ajouté Hassiba Hadj Sahraoui. Le rapport a été publié dans le cadre de la campagne Exigeons la dignité, lancée par Amnesty International en mai 2009. Cette campagne vise à dénoncer et à combattre les violations des droits humains qui induisent et aggravent la pauvreté. Elle s’intéressera dans un premier temps à des situations, comme celle de Gafsa en 2008, qui illustrent les liens entre la pauvreté, l’insécurité, l’exclusion et l’impossibilité pour les gens d’influer sur les décisions qui ont des conséquences sur leur vie.

L’objectif général de cette campagne est de mettre un terme aux atteintes aux droits humains qui maintiennent les personnes dans la pauvreté.   Dans ce rapport, Amnesty International appelle les autorités tunisiennes à :

libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers d’opinion ; ouvrir des enquêtes indépendantes, impartiales et exhaustives sur le décès de manifestants aux mains des forces de sécurité ; ouvrir des enquêtes exhaustives et impartiales sur les allégations de torture et d’autres violations aux mains des forces de sécurité, veiller à ce que les responsables de ces actes aient à rendre des comptes, et offrir réparation aux victimes ; abroger toutes les lois qui érigent en infraction les manifestations pacifiques ; veiller à ce que toutes les régions bénéficient du même accès aux services publics essentiels, tels que l’eau, l’assainissement et les soins médicaux.