Malgré le départ de Musharraf, toujours aucun signe des disparus

Le samedi 30 août a marqué le 25e anniversaire de la Journée internationale des personnes disparues. Irene Khan, la secrétaire générale d’Amnesty International, appelle le nouveau gouvernement du Pakistan à rendre publiques les informations relatives aux personnes détenues secrètement et à révéler ce qu’il est advenu des nombreux citoyens pakistanais qui ont disparu.

La nouvelle coalition au pouvoir au Pakistan a réussi à obtenir la démission de Pervez Musharraf, mais elle n’a toujours pas fait grand-chose pour renverser le lourd héritage de violations des droits humains commises sous son régime. Vingt-cinq ans après le lancement de la Journée internationale des personnes disparues, le Pakistan a rejoint les pays qui pratiquent la disparition forcée, et cela découle directement de sa participation à la « guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis.

Héritage particulièrement douloureux de l’ère Musharraf : des centaines, si ce n’est des milliers de personnes ont ainsi disparu. La disparition forcée consiste à enlever une personne, à la détenir dans un lieu tenu secret et en dehors de toute supervision judiciaire et de tout cadre juridique, et souvent à la soumettre à des actes de torture auxquels elle ne survit parfois pas. Le Pakistan n’a pas seulement contribué à remplir les cages grillagées du camp X Ray de la base de Guantánamo et les prisons secrètes de la CIA en remettant certains détenus aux autorités américaines, il a aussi maintenu secrètement en détention un grand nombre de personnes sur son territoire même. Ces personnes ont été détenues secrètement et sans inculpation, sans que les familles, les proches (et encore moins les avocats) ne sachent ce qui leur était arrivé, et on ignore toujours ce qu’il est advenu d’un grand nombre d’entre elles.

En septembre 2006, après la publication du premier rapport d’Amnesty International sur les disparus au Pakistan, j’ai écrit au président Musharraf et ai rencontré en janvier 2007 le Premier ministre de l’époque, Shawkat Aziz, pour demander au gouvernement d’enquêter sur cette pratique effroyable consistant à enlever et détenir secrètement des personnes, et pour l’exhorter à y mettre fin. Je n’ai jamais reçu de réponse satisfaisante.

Si les dirigeants de la coalition au pouvoir veulent prouver qu’ils ont réellement l’intention de tourner le dos à la politique menée par Pervez Musharraf, ils devraient immédiatement révéler où sont détenus les centaines de disparus. Ils doivent ainsi commencer à contrôler et soumettre à l’obligation de rendre des comptes les tristement célèbres organes de sécurité du pays, en tête desquels les services de renseignements de l’armée pakistanaise (ISI), qui ont pratiqué ces disparitions forcées.

Le récent rapport d’Amnesty International intitulé Denying the Undeniable: Enforced Disappearances in Pakistan se base sur des comptes rendus officiels d’audiences et des déclarations sous serment de victimes et de témoins de disparitions forcées pratiquées au Pakistan pour montrer que des hauts responsables gouvernementaux, en particulier au sein des agences de sécurité et de renseignement, ont manœuvré pour qu’on ne puisse pas retrouver la trace des disparus. Le rapport lève le voile sur des pratiques bien établies des organes chargés de la sécurité ou d’autres forces consistant à arrêter de façon arbitraire des personnes – y compris des enfants, notamment un petit garçon de neuf ans dans un cas –, à leur bander les yeux et à les déplacer de centre de détention en centre de détention afin qu’il soit difficile de retrouver leur trace.

Imran Munir, citoyen malaisien d’origine pakistanaise, a été arrêté en juillet 2006 et on a perdu toute trace de lui jusqu’à ce que la Cour suprême du Pakistan ordonne aux autorités pakistanaises de révéler où cet homme était détenu. Des audiences ont régulièrement eu lieu devant la Cour suprême au sujet des disparitions fin 2006, et l’on a ainsi pu retrouver la trace d’une centaine de personnes, remises en liberté ou retrouvées dans des lieux de détention officiellement reconnus. Imran Munir fait partie des gens qui ont eu cette chance. Lors des audiences consacrées à l’examen de son cas, il est apparu évident que plusieurs organes de sécurité avaient tenté de le cacher, même après que la Cour suprême eut ordonné sa comparution devant les juges.

La Cour suprême, sous l’autorité de son président Iftikhar Chaudhry, a commencé à s’impatienter face à de telles manœuvres d’obstruction et de dénégation et a annoncé en octobre 2007 qu’elle allait convoquer les chefs des services de renseignement pour qu’ils s’expliquent sur leur rôle dans les disparitions forcées, et qu’elle entamerait des actions judiciaires contre ceux qui seraient impliqués.

Imran Munir devait faire sa déposition concernant sa disparition forcée et fournir des informations sur d’autres victimes de disparition forcée lorsque l’audience a été perturbée, le président Musharraf ayant décrété l’état d’urgence en novembre 2007 et limogé illégalement les juges à l’esprit indépendant.

Dans sa déclaration d’urgence, le chef de l’État a brièvement exprimé son indignation en évoquant une « ingérence judiciaire » dans la lutte du gouvernement contre le terrorisme. Le renvoi des magistrats, intervenu clairement en anticipation d’une décision négative concernant l’éligibilité de Pervez Musharraf à la présidence, a mis fin à cette situation irritante.

Fait non surprenant, les nouveaux juges de la Cour suprême, triés sur le volet, n’ont pas estimé nécessaire – ou opportun – de reprendre les audiences concernant les centaines de requêtes se rapportant aux personnes disparues. Apparemment, affronter les responsables des disparitions forcées, y compris au sein des services de renseignement pakistanais, exige davantage de détermination, d’obstination et de volonté politique que ce dont les juges semblent capables.

Le sort des disparus s’est ainsi retrouvé étroitement lié à celui des hauts magistrats du Pakistan. Vu la controverse sur la réintégration des juges limogés, il semble pour l’instant peu probable que la situation des disparus reçoive l’attention adéquate de la part de la justice.

Mais le nouveau gouvernement n’a pas besoin d’attendre d’être mis sous pression par les juges pour faire la lumière sur le sort des disparus. Il peut user de son autorité pour exiger que l’ISI [les services de renseignement de l’armée pakistanaise] et les autres services de sécurité fournissent des informations sur les victimes de disparitions forcées. En premier lieu, le gouvernement devrait immédiatement établir et publier la liste de toutes les personnes détenues par les autorités. Il est normal de tenir des registres, une telle pratique constitue la base de l’application des lois, et la loi l’exige.

En avril 2008, peu après les élections, le ministre du Droit Farooq Naik a déclaré que le gouvernement réunissait des informations sur les personnes disparues, et a promis que toutes seraient libérées. Il est maintenant temps de rendre ces éléments publics.

Si le gouvernement divulguait des informations sur le sort des disparus, il apporterait un certain réconfort aux centaines de familles, aux milliers de personnes qui, conscientes du fait que la torture et les mauvais traitements sont des pratiques courantes dans les lieux de détention au Pakistan, craignent pour la vie d’un proche.

En enlevant et en détenant dans des lieux secrets des personnes soupçonnées de terrorisme, ou en s’abstenant de mener des enquêtes et de révéler le sort des disparus, le gouvernement viole les droits humains et ne fait pas grand-chose pour stopper le terrorisme. Si elles arrêtaient ces suspects et les jugeaient conformément aux règles de droit, les autorités montreraient leur volonté à la fois de respecter les droits humains et de lutter contre le terrorisme.

Elles enverraient par la même occasion un signal clair et immédiat de rupture radicale avec l’ère Musharraf, et ce à peu de frais – ce qui serait très important pour le nouveau gouvernement, confronté aux nombreux problèmes qui assaillent le pays, comme l’effondrement de l’économie, les prix élevés des carburants et l’insurrection croissante des talibans dans les régions frontalières de l’Afghanistan.

Le nouveau gouvernement pakistanais a le choix entre deux alternatives très claires : soit perpétuer les pratiques brutales bafouant les droits humains, qui avaient cours sous le régime de Musharraf et qui sont vouées à l’échec, soit barrer la route au terrorisme grâce à la justice et placer le pays sur la voie de l’état de droit et des droits humains.