Chine. Un an de répression contre les avocats spécialistes des droits humains

Voici un an que la Chine s’en prend aux avocats et aux militants qui défendent les droits humains dans le pays.

Depuis le 9 juillet 2015, ils sont 248* à avoir été interrogés par la police, arrêtés ou inculpés dans le cadre de ce coup de filet d’une ampleur sans précédent. Nous revenons ici sur les principaux événements de l’année passée, de l’apogée de la répression en juillet 2015 aux réactions de la communauté internationale face à l’ampleur de l’opération, en passant par la libération en 2016 de certaines des victimes de cette répression.

* À la connaissance d’Amnesty International, tous les chiffres sont corrects. Cependant, comme il est difficile de les vérifier, certaines informations peuvent être obsolètes. Cliquez ici pour consulter les derniers chiffres (page en anglais).

Nous ne pouvons tolérer que la vérité soit étouffée !

Wang Yu
Wang Yu, éminente avocate spécialiste des droits humains, disparaît au petit matin du 9 juillet 2015 après avoir envoyé des messages angoissés à des amis pour les alerter que des individus tentaient d’entrer chez elle par effraction. Son mari et leur fils de 16 ans ont également disparu.
Des agents de la Sécurité publique procèdent sur tout le territoire à une vague d’arrestations et d’interrogatoires qui vise en fait des centaines d’avocats et de militants.
Sui Muqing, avocat réputé installé à Guangzhou, est détenu dans un lieu tenu secret pour « incitation à la subversion de l’État », infraction grave passible d’une peine de 15 ans d’emprisonnement.
Le Quotidien du peuple, journal officiel du Parti communiste chinois, qualifie la répression d’opération visant à éliminer un « vaste réseau criminel ».
Les autorités chinoises informent les avocats de Wang Yu que leur cliente, visée par des accusations liées à la sûreté de l’État, est détenue dans un lieu inconnu.
Les militants Wang Fang et Yin Xu’an sont arrêtés chacun de leur côté en septembre après avoir publié sur Internet des photos d’eux portant des tee-shirts avec l’image de Wu Gan, en signe de protestation contre la détention de ce militant.
Bao Zhuoxuan, le fils de Wang Yu, tente de fuir la Chine pour étudier à l’étranger, mais il est intercepté par des agents en uniforme dans la ville frontalière de Mongla, au Myanmar, avec les deux militants qui l’accompagnent.
Le Comité contre la torture des Nations unies se dit inquiet de la répression exercée par la Chine contre les militants et avocats défenseurs des droits humains, la qualifiant de « sans précédent ».
Treize avocats et militants, dont certains avaient déjà été placés en détention, sont officiellement arrêtés les 8 et 9 janvier 2016 car ils sont accusés d’avoir commis des infractions liées à la sûreté de l’État.
L’éminent avocat Sui Muqing est mis en liberté sous caution. C’est le premier juriste parmi ceux visés à bénéficier d’une telle mesure.
Zeid Ra’ad Al Hussein, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, déclare qu’il a fait part de ses préoccupations à la Chine concernant le « schéma inquiétant » qui se dégage des arrestations et des actes d’intimidation ciblant les avocats et les détracteurs du gouvernement.
Lors d’une session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, 12 pays signent une déclaration commune pour exprimer leur inquiétude face à la dégradation de la situation des droits humains en Chine.
Gao Yue, assistante juridique, et Li Shuyun, avocate, sont libérées sous caution.
Les militants Xing Qingxian et Tang Zhishun sont arrêtés pour avoir aidé Bao Zhuoxuan, fils de Wang Yu, à « franchir illégalement les frontières nationales ». Ils encourent sept ans d’emprisonnement.
Au total, 18 avocats et militants qui défendent les droits humains sont maintenus en détention.

Carte de la répression

La vaste opération des autorités chinoises pour arrêter des avocats et des militants qui défendent les droits humains s’est étendue à tout le pays et, dans un cas, au-delà des frontières chinoises, jusqu’à la ville frontalière de Mongla au Myanmar.

Les avocats et les militants qui défendent les droits humains et qui ont été la cible de la répression exercée par les autorités chinoises ont été assimilés dans les médias officiels à un « vaste réseau criminel » et à des fauteurs de trouble, entre autres. Nombre d’entre eux sont accusés d’incitation à la subversion du pouvoir de l’État. Mais pour leurs amis et leurs proches, ils sont des mères et des pères, des filles et des fils qui ont le courage de travailler sur des affaires relatives aux droits humains stigmatisées par les autorités. Nous mettons ici un visage sur quelques-uns d’entre eux.

1. Wang Yu et son mari Bao Longjun, parents d’un adolescent

Elle (Wang Yu) est la plus courageuse, juste et altruiste des avocates spécialistes des droits humains.

Wang Quanping, avocat

Qualifiée de « courageuse et audacieuse » par celles et ceux qui la connaissent, la célèbre avocate chinoise spécialiste des droits humains Wang Yu a mené ses premières actions militantes après avoir elle-même vécu une injustice.

En 2008, Wang Yu a été agressée dans la ville de Tianjin, dans le nord du pays, car elle avait exigé de monter dans un train pour lequel elle disposait d’un billet valide. Elle a déposé une plainte auprès de la police, après quoi elle a été emprisonnée pendant deux ans et demi. Pendant son séjour en prison, elle a été témoin des mauvais traitements et des actes de torture subis par des prisonniers. Depuis, elle a inlassablement consacré sa carrière à de grands dossiers de droits humains jugés « sensibles » par le gouvernement chinois : elle a notamment défendu le célèbre intellectuel ouïghour Ilham Tohti et la militante des droits humains Cao Shunli, morte en détention faute de soins médicaux adaptés.    

Le mari de Wang Yu, Bao Longjun, est également un défenseur des droits humains et il a mené ses premières actions militantes quand sa femme était en prison, pour obtenir sa libération. Après la libération de Wang Yu en 2011, tous deux se sont consacrés à la défense d’affaires judiciaires extrêmement sensibles.

Wang Yu et Bao Longjun sont détenus pour des infractions liées à la sûreté de l’État. Ils ne sont pas autorisés à consulter un avocat ni à voir les membres de leur famille.

Photo : Wang Yu (en haut) et Bao Longjun (en bas)

2. Wang Quanzhang, marié et père d’un garçon

Il est très facile pour vous (les autorités chinoises) de monter un dossier inique. Pour nous, contester légalement les accusations est aussi difficile que de monter au paradis.

Li Wenzu, épouse de Wang Quanzhang

Tout comme Wang Yu, Wang Quanzhang est un avocat du cabinet juridique Fengrui à Pékin et il a défendu les droits humains de clients dans des affaires jugées sensibles par le gouvernement chinois, notamment des membres du Fa Lun Gong, un mouvement spirituel persécuté et illégal en Chine. Il a également pris en charge des affaires qui concernent des membres du Mouvement des nouveaux citoyens, un réseau informel de militants associatifs persécuté depuis début 2014.

Parce qu’il représente des « parias », il a fait l’objet de multiples actes d’intimidation : il a notamment été expulsé d’un tribunal où il défendait des membres du Fa Lun Gong et il a été frappé par la police.

Le 10 juillet 2015, il a été embarqué par des agents de sécurité lors d’une rafle au cabinet juridique Fengrui à Pékin. Il a été placé en résidence surveillée puis officiellement arrêté en janvier 2016 pour « subversion du pouvoir de l’État ». Comme Wang Yu et Bao Longjun, il n’est pas autorisé à consulter un avocat ni à voir les membres de sa famille depuis son arrestation.

3. Li Heping, marié et père d’un fils et d’une fille

Il n’est pas un héros, mais un simple citoyen. Qu’a-t-il fait exactement ? Alors que le système judiciaire chinois s’ingère dans la vie des citoyens ordinaires, il a choisi de dire « non ».

Wang Qiaoling, épouse de Li Heping

Avocat au sein du cabinet juridique Global Law Firm à Pékin, Li Heping a accepté, comme beaucoup de personnes visées par la répression des autorités chinoises, des dossiers jugés sensibles que beaucoup auraient refusé de prendre en charge en Chine continentale. Il a notamment défendu des chrétiens, des membres du Fa Lun Gong, des dissidents célèbres, l’avocat spécialiste des droits humains Gao Zhisheng et le militant Chen Guangcheng, atteint de cécité.

Son travail dans le domaine des droits humains a été reconnu par la National Endowment for Democracy (Fondation nationale pour la démocratie, une organisation des États-Unis financée par le Congrès américain) et le Conseil des barreaux européens (CCBE). Il a également été arrêté dans le cadre du vaste coup de filet qui a eu lieu en 2015. Placé en résidence surveillée après avoir été appréhendé le 10 juillet 2015, il a officiellement été arrêté le 8 janvier 2016. Un mois après son arrestation, les avocats de Li Heping ont été informés que celui-ci les avait renvoyés, mais ils n’ont pas été en mesure de le vérifier directement auprès de lui.

4. Zhao Wei, mariée

Elle n’est pas à la tête d’une armée et elle n’appelle pas non plus à une insurrection. Elle a tout au plus fait des remarques sur la liberté d’expression, comment peut-on qualifier cela de subversion du pouvoir de l’État ?

Ren Quanniu, avocat de Zhao Wei

Désireuse d’aider les plus vulnérables, Zhao Wei a commencé à l’âge de 25 ans un travail de campagne sur des questions sociales alors qu’elle était étudiante en journalisme dans l’est de la Chine. Son intérêt croissant pour les droits humains dans son pays l’a poussée à rejoindre le cabinet Global Law Firm à Pékin une fois diplômée, et elle a travaillé comme assistante juridique pour Li Heping, un avocat défenseur des droits humains lui aussi placé en détention.

Elle a été appréhendée par les autorités chinoises le 10 juillet 2015, le même jour que Li Heping, et elle a été officiellement arrêtée le 8 janvier pour « subversion du pouvoir de l’État ». Depuis, les autorités chinoises tentent d’empêcher l’avocat de Zhao Wei de faire son travail. Les demandes formulées par son avocat et sa famille auprès de l’administration pénitentiaire pour enquêter sur les actes de harcèlement sexuel que Zhao Wei aurait subis en détention sont également restées sans réponse.

Les faits peuvent difficilement être déformés, nous ne pouvons tolérer que la vérité soit étouffée !

Wang Yu, avocate chinoise spécialiste des droits humains