Par Tessa Murphy, spécialiste des États-Unis à Amnesty International
La sensation d’étouffement était accablante. Dans cette petite cellule sombre, seulement constituée de trois murs de béton, de WC froids et humides, d’un petit lavabo, d’un fin matelas, d’un bloc de béton et d’une porte métallique perforée qui ne laissait presque pas passer d’air, la claustrophobie que j’ai ressentie était difficile à contrôler.
Ce n’était pas la première fois que je mettais les pieds dans une prison américaine, mais je n’avais jamais fait l’expérience des sensations pouvant accompagner l’isolement cellulaire.
Tout dans cette pièce – l’absence de fenêtres, de lumière naturelle et d’air frais, ainsi que l’idée même d’être privé de contacts humains – semble avoir pour but de déshumaniser son occupant. La possibilité de changer et la réinsertion sociale, concepts de base associés à la sanction pénale, n’ont pas lieu de cité entre ces trois murs.
À l’isolement, c’est le châtiment qui prime. La simple idée d’avoir à passer plus de quelques minutes dans cet endroit était presque insupportable.
Et puis un prisonnier nous a dit, à mon collègue et à moi-même, que nous étions les premières personnes extérieures à l’établissement qu’il ait vues en 22 ans.
J’ai été surprise d’être autorisée à pénétrer dans la tristement célèbre prison de Pelican Bay, en Californie. Aux États-Unis, les autorités carcérales sont généralement peu disposées à laisser quiconque voir ce qui se passe derrière ces épais murs de béton. Et compte tenu des éléments ayant filtré, de la Pennsylvanie à l’Arizona, grâce aux voix qui appellent à l’aide, ce n’est pas surprenant. À travers les États-Unis, on estime que près de 80 000 personnes font l’objet d’un isolement cellulaire de longue durée.
Les autorités désignent ce régime de détention sous différents noms : « quartier de haute sécurité », « isolement administratif » et même « hébergement restreint ». Mais ces euphémismes ne traduisent pas la réalité humaine du dispositif.
Les services correctionnels affirment que seuls les prisonniers qui représentent une menace pour les gardiens et les autres détenus sont placés à l’isolement, et uniquement après que l’on ait épuisé toutes les autres mesures de contrôle. Mais comme l’attestent les dizaines de milliers de personnes détenues, les cellules d’isolement sont fréquemment utilisées afin de sanctionner des infractions mineures comme le manque de respect à l’égard d’un gardien de prison ou la désobéissance à un ordre. En Californie, par exemple, il arrive que des personnes soupçonnées d’appartenir à un gang soient placées dans ces cellules mal éclairées, au seul motif qu’elles ont un calendrier affichant des symboles mayas, certains tatouages, ou sont en possession de livres ou d’autres « sources d’informations » spécifiques, ou simplement pour avoir parlé à un détenu « validé » par un gang.
Le régime d’isolement carcéral américain n’est pas une anomalie, mais il n’en est pas moins cruel. Dans tout le pays, des prisonniers se retrouvent emmurés pendant près de 22 heures par jour dans leur cellule, sans pouvoir bénéficier de programmes d’éducation ou de réinsertion. En Arizona, ce sont les détenus atteints de troubles mentaux que l’on regroupe dans de véritables entrepôts, tandis qu’en Louisiane un homme se trouve à l’isolement depuis 1972. Les détenus doivent manger leurs repas cloîtrés entre ces murs et ont rarement la possibilité d’avoir de véritables interactions avec d’autres êtres humains. Voire jamais.
C’est seulement lorsqu’ils sont emmenés dans une petite cour – ou cage – extérieure afin d’y faire de l’« exercice » seuls, que les prisonniers placés à l’isolement sont autorisés à respirer une bouffée d’air frais. Exercice est le mot utilisé par les gardiens de prison pour désigner la possibilité de faire quelques pas. En Californie, à la suite d’une grève de la faim, les prisonniers qui y avaient droit ont fréquemment pu bénéficier d’une barre fixe pour faire des tractions ou d’un ballon de handball.
Certains prisonniers ont littéralement perdu la raison du fait de cette absence d’interaction humaine – et on estime que 30 à 50 % des prisonniers en détention à l’isolement sont atteints de troubles psychologiques ou de handicaps cognitifs, et que 20 % de ceux-ci souffrent de troubles mentaux lourds. D’autres ont perdu toute pigmentation cutanée en raison de la privation extrême de lumière naturelle. Et d’autres encore, sans rien d’autre pour passer le temps que fixer le mur pendant plus de 20 heures par jour, ont mis fin à leurs jours.
Mais malgré la pléthore d’histoires horribles qui nous viennent des cellules d’isolement à travers les États-Unis, le système perdure et des milliers de personnes restent emmurées.
Grâce aux pressions exercées par des militants locaux, certains législateurs et des organisations comme Amnesty International, plusieurs États – comme le Colorado, l’Illinois, le Maine, le Mississippi, l’État de New York, la Virginie et l’État de Washington – ont introduit quelques réformes ces dernières années.
Cependant, au niveau fédéral, le gouvernement américain prévoit actuellement d’étendre le recours au placement à l’isolement : le Bureau fédéral des prisons (BOP) a ainsi fait il y a deux ans l’acquisition d’un établissement correctionnel de l’Illinois, et cette année le budget du BOP comprend une proposition concernant sa réouverture sous la forme d’une prison fédérale de très haute sécurité, reproduisant potentiellement le dur régime d’isolement qui prévalait par le passé entre ses murs.
Mais comment ces conditions de détention rendent-elles justice à qui que ce soit ? Ce système met l’accent sur le châtiment et le regroupement de détenus dans des structures qui ne leur apportent rien, au dépens de leur réinsertion et de leur réintégration au sein de la société.
Beaucoup, à l’échelon national et international, s’accordent sur le mal causé par la détention à l’isolement. Le principal expert des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, a demandé que l’isolement cellulaire ne soit utilisé que dans des circonstances très exceptionnelles, en dernier recours et pour une durée aussi courte que possible. Il a sollicité à de nombreuses reprises la permission de se rendre dans des prisons de sécurité maximale, mais le département d’État américain ne l’y a jamais autorisé.
La délinquance violente est un vrai problème aux États-Unis et ailleurs. Mais placer des gens pendant des années, voire des décennies en détention à l’isolement ne devrait pas être la voie à suivre pour un pays prétendant respecter les droits humains. Cet outil de gestion carcérale vilipendé par les organes de défense des droits humains, et de plus en plus contesté par les pénalistes, entre autres, est coûteux, inefficace et inhumain.
Les États-Unis doivent dépenser leur énergie et leurs ressources afin de s’assurer que les conditions de détention soient compatibles avec leurs obligations en vertu du droit international et des normes associées – en d’autres termes veiller à ce que le système carcéral œuvre à la réinsertion sociale des prisonniers, au lieu de perpétuer un régime abusif et cruel qui est un affront aux droits humains.
Cet article a été publié dans un un premier temps dans le Guardian.