Tragédie du Rana Plaza : l’alliance contre nature des entreprises et du gouvernement, au Bangladesh et dans le monde

Par Joe Westby, chargé de campagne pour la responsabilisation des entreprises à Amnesty International

Cela fait un an que l’immeuble de Rana Plaza au Bangladesh, où se trouvaient des ateliers de confection textile, s’est effondré, faisant plus de 1 100 morts et un nombre très élevé de blessés. Ce drame est l’exemple récent le plus choquant des atteintes aux droits humains liées aux activités des entreprises, et les images des corps sans vie d’ouvriers dans les décombres de cet immeuble sont devenues des symboles forts de la course au profit au dépens des personnes.

Une Bangladaise dont un proche est mort dans l’effondrement du Rana Plaza pleure lors de sa participation à une manifestation commémorant le premier anniversaire de ce drame. © MUNIR UZ ZAMAN/AFP/Getty Images
Une Bangladaise dont un proche est mort dans l’effondrement du Rana Plaza pleure lors de sa participation à une manifestation commémorant le premier anniversaire de ce drame. © MUNIR UZ ZAMAN/AFP/Getty Images

L’immeuble de Rana Plaza abritait de nombreuses usines de vêtements fournissant des entreprises internationales du secteur de l’habillement. Au cours de l’année écoulée, diverses initiatives ont été mises en place par le gouvernement, des marques mondiales et l’Organisation internationale du travail afin d’indemniser les victimes. Cela s’avère cependant insuffisant pour l’instant, et les rescapés continuent à souffrir et à devoir se battre pour subvenir à leurs besoins et ceux de leur famille.

Selon l’une des allégations les plus choquantes ayant émergé par la suite, les employés ne voulaient pas entrer dans cet immeuble car ils craignaient pour leur sécurité – des fissures étaient apparues la veille et l’accès avait été condamné. Malgré cela, des superviseurs ont ordonné aux ouvriers d’entrer dans le bâtiment.

Bien entendu, les causes de l’effondrement, l’identité des responsables et la prévention de ce type de catastrophe à l’avenir ont suscité de vastes débats. Les discussions ont porté sur la nature des chaînes mondiales d’approvisionnement, les droits des travailleurs et les normes de sécurité, ainsi que sur l’énorme marché de la mode à bas prix dans les pays occidentaux.

Mais un problème structurel particulier a été négligé : la puissance des entreprises et les liens entre le monde des affaires et les gouvernements.

Ce sujet a été longuement développé dans le livre récemment publié par Amnesty International intitulé Injustice Incorporated: Corporate Abuse and the Human Right to Remedy, et s’avère extrêmement pertinent si l’on essaie de comprendre pourquoi 1 100 employés de l’industrie textile ont inutilement perdu la vie il y a un an.

Il est manifeste que cette industrie dispose d’une forte influence politique au Bangladesh. Transparency International estime que 10 % des députés du pays, y compris des membres de commissions parlementaires clés, jouent un rôle direct dans ce secteur d’activité. Un rapport récent de l’université de New York a montré que les liens étroits qui unissent l’industrie textile et le gouvernement sont l’une des principales raisons pour lesquelles le droit du travail est si mal appliqué au Bangladesh.

Les recherches effectuées par Amnesty International ont quant à elles mis en évidence l’omniprésence de l’influence indue du monde des affaires sur les gouvernements. Le secteur privé a naturellement le droit de nouer le dialogue avec les gouvernements, et peut de manière légitime influencer les politiques gouvernementales. Cependant, trop souvent, les intérêts des entreprises et le profit passent avant les droits humains et peuvent empêcher les victimes d’obtenir justice.

Cela n’est bien sûr pas limité au Bangladesh – deux autres cas sur lesquels Amnesty International a mené une action illustrent le problème de l’influence excessive du monde des affaires sur les États.

Cette année marquera également le trentième anniversaire d’une autre catastrophe industrielle de grande ampleur, la fuite de gaz mortelle de l’usine de produits chimiques d’Union Carbide, à Bhopal en Inde, qui a fait plus de 20 000 morts et laissé plus de 500 000 personnes blessées et handicapées. En 2007, il a été révélé que Dow Chemical, l’entreprise américaine ayant racheté Union Carbide, a cherché à influencer le cours de la justice par le biais d’un travail de pression de haut niveau auprès du gouvernement indien. Cette entreprise avait utilisé la promesse de futurs investissements en Inde pour essayer de persuader le gouvernement d’intervenir et de faire cesser les poursuites engagées contre elle du fait des conséquences de l’explosion à Bhopal.

Les multinationales peuvent parfois aussi influencer les autorités du pays où elles ont leur siège. Des documents récemment obtenus à la suite d’une requête relative à la liberté d’information ont révélé que deux entreprises, Shell et Rio Tinto, ont exercé de fortes pressions sur le gouvernement britannique en relation avec deux affaires de violations des droits humains portées devant la justice américaine. Le gouvernement britannique est intervenu par la suite dans ces deux cas afin de soutenir la position des entreprises, défendant dans les faits les intérêts commerciaux britanniques en évitant des poursuites liées à des atteintes aux libertés fondamentales et plus spécifiquement au droit des victimes de demander justice.

Le rôle joué par le monde des affaires dans l’élaboration de politiques doit être transparent et légitime, et il ne faut pas laisser l’influence des entreprises croître au point où les victimes n’ont pas la possibilité de faire valoir leur droit à un recours effectif. Deux manières d’y parvenir consistent à augmenter la visibilité du travail de pression effectué par les entreprises, et à demander que soit évalué l’impact potentiel sur les droits humains des efforts déployés par les États pour influer sur les politiques économiques et d’investissements étrangères.

Tant que le monde des affaires continuera à avoir une influence disproportionnée sur les États, des drames tels que celui du Rana Plaza resteront possibles. Les gouvernements seront bien moins susceptibles d’appliquer la législation ou de mettre en œuvre des mesures de prévention pour protéger les travailleurs contre les violations des droits fondamentaux et, comme au Bangladesh, ceux qui souffrent le plus n’obtiendront ni justice, ni indemnisation.

Ce billet de blog a également été diffusé sur le site du Business and Human Rights Resource Centre.