Les gouvernements ne peuvent plus échapper à leur devoir de protection de l’ensemble des droits humains

Par Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International

La situation est simple : tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Sans exception. Pourtant, au cours des 65 années écoulées depuis que le mouvement moderne de défense des droits humains est né des cendres de la Seconde Guerre mondiale, certains droits ont été considérés comme plus importants que d’autres.

Les droits économiques, sociaux et culturels passent ainsi après les droits civils et politiques. Certains gouvernements ont fait fi de leurs obligations en ce qui concerne la défense du droit à l’éducation, à la santé, au logement, à la nourriture et à un salaire décent.

De nombreuses promesses d’aide directe émanant de l’étranger n’ont pas été tenues. Les gouvernements disent manquer de ressources et affirment qu’ils ne sont pas responsables. Ils ont laissé les organisations caritatives assumer la responsabilité de l’aide aux personnes vivant dans la pauvreté, tout en continuant à financer des programmes d’assistance militaire.

La pauvreté n’a rien d’inéluctable, et les écarts de salaire ne sont pas qu’une affaire de chiffres. Ils sont la conséquence de lois, de politiques et de pratiques introduites par les gouvernements ; ils montrent à quel point un État est déterminé à promouvoir l’égalité. Ceux qui rejettent le principe d’égalité le font tout en sachant qu’ils mettent des vies en danger.

Un grand nombre de personnes à travers le monde sont privées de leurs droits à un logement convenable, à la nourriture, à l’eau, à des installations sanitaires, à la santé, à l’emploi et à l’éducation, faute de volonté politique de la part des autorités plutôt que par manque de ressources.

Toutes les 90 secondes, une femme ou une jeune fille décède des suites de complications liées à sa grossesse – des complications curables. L’insuffisance des ressources affectées aux services de santé, ainsi que les attitudes discriminatoires envers les femmes, profondément enracinées dans les mentalités, ont pour conséquence la mort d’innombrables femmes qui auraient facilement pu être sauvées.

Chaque jour, des milliers de personnes s’installent dans des bidonvilles parce qu’elles n’ont pas d’autre choix. Dans certains cas, elles ont été expulsées de force de leurs terres. Dans d’autres cas, l’échec du gouvernement sur le terrain de la lutte contre la dégradation de l’environnement les a poussées à partir afin d’assurer leur survie. Sur la base des tendances actuelles, 1,4 milliard de personnes vivront dans des bidonvilles à l’horizon 2020.

Il est impossible pour les personnes pauvres d’être traitées sur un pied d’égalité devant la loi, et il est difficile pour celles dont la santé est fragile et qui n’ont pas accès aux services de soin de participer activement à la société.

Et pourtant, bien qu’ils soient négligés, ces droits sont inscrits dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies ; ce traité a été ratifié par 160 États et a le même statut au regard du droit international que les autres droits humains – comme le droit à un procès équitable et le droit à la liberté d’expression.

Amnesty International peut fournir de nombreux exemples de cas où les gouvernements bafouent systématiquement les dispositions du droit international protégeant ces droits, comme au Nigeria, où les autorités locales de Port Harcourt ont délibérément ignoré une décision de justice pour démolir, le 28 août 2009, des habitations érigées au bord de l’eau, laissant plus de 13 000 personnes sans abri ; ou en Slovénie, où nombre de familles roms vivant dans des quartiers informels sont privées d’accès à l’eau et aux systèmes d’assainissement. De la ségrégation à l’école que subissent des enfants en Europe, au manque d’accès à des soins de santé reproductive pour les femmes en Afrique ou dans la région des Amériques, la liste est longue.

Il est essentiel que les victimes d’atteintes aux droits humains, quels qu’ils soient, bénéficient d’un accès à la justice et de recours utiles. Les victimes de ces violations ont aujourd’hui un nouvel espoir. Le Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels est entré en vigueur dimanche 5 mai.

Dix pays – de l’Équateur à l’Argentine en passant par l’Espagne et le Portugal – ont accepté ce nouveau mécanisme, qui permet aux individus comme aux groupes de se tourner vers les Nations unies afin d’obtenir justice dans les cas de violations des droits économiques, sociaux et culturels lorsque leur propre pays ne propose pas de voies de recours.

Près de 40 ans après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, nous avons enfin atteint un équilibre entre ces deux traités et donné toute leur signification aux principes d’indivisibilité et d’interdépendance de l’ensemble des droits consacrés par la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH).

Toutefois, ce grand pas en avant ne saurait faire oublier que pas un seul État africain n’est actuellement partie au Protocole, ni que la Mongolie est le seul pays d’Asie à avoir procédé à la ratification. Dans le monde, seuls 10 des 160 pays susceptibles de ratifier le protocole l’ont fait.

Je félicite ces 10 pays, mais tous les autres doivent leur emboîter le pas. Pour que les droits humains se concrétisent réellement, toutes les personnes dont les droits – qu’ils soient civils, politiques, économiques, sociaux ou culturels – sont battus en brèche doivent pouvoir bénéficier d’un recours effectif. Il n’en faut pas moins pour honorer l’esprit de la DUDH.

Pour en savoir plus :Liste des États parties au Protocole facultatif
Campagne pour la protection juridique de tous les droits
Campagne Exigeons la dignité