«Nous allons tous vous jeter dehors» – Les victimes du séisme en Haïti menacées d’expulsion forcée

Chiara Liguori et James Burke, membres de l’équipe Caraïbes d’Amnesty International, se trouvent actuellement en Haïti pour lancer le rapport « Nulle part où aller ». Expulsions forcées dans les camps pour personnes déplacées d’Haïti.

« Soyez prévenus : nous allons incendier les abris où vous vivez, vous tirer dessus et tous vous jeter dehors. »

« Nous allons réduire le camp en cendres et tuer vos enfants. »

« Je vous expulserai d’ici, quels que soient les moyens nécessaires pour y parvenir. »

Voilà quelques exemples des menaces d’expulsion qui ont récemment été proférées à l’encontre des habitants des camps de la capitale haïtienne, Port-au-Prince, où vivent toujours plusieurs centaines de milliers de personnes déplacées par le tremblement de terre de janvier 2010.

« Nous n’avons nulle part où aller » est une phrase que nous avons entendue un nombre incalculable de fois dans le passé, lors des recherches que nous avons menées pour préparer notre rapport sur les expulsions forcées. C’est aussi malheureusement une phrase que nous avons continué d’entendre la semaine dernière.

Les solutions de relogement pour les quelque 320 000 Haïtiens qui vivent toujours dans des camps plus de trois ans après le séisme qui a dévasté le pays et jeté à la rue 1,5 million de personnes restent rares.

Pendant ce temps, de prétendus propriétaires fonciers usent de menaces et de manœuvres d’intimidation pour jeter de force les gens à la rue. Ils n’ont généralement pas entamé de procédure en bonne et due forme pour obtenir une expulsion, et ne peuvent souvent même pas prouver qu’ils sont bien propriétaires du terrain qu’ils revendiquent.

Très souvent, des représentants locaux de la police, de la municipalité et de l’appareil judiciaire sont eux aussi impliqués dans les expulsions forcées, ou présents lorsque des menaces sont proférées, révélant ainsi l’incapacité du gouvernement central à protéger les personnes déplacées contre les expulsions illégales. L’impunité dont jouissent les auteurs de ces actes demeure flagrante.

Le 13 avril, un homme qui affirmait détenir une partie du terrain où est installé le camp Acra et Adoquin Delmas 33 a indiqué aux habitants qu’il emploierait « tous les moyens nécessaires » pour les faire expulser. Accompagné par un juge de paix et plusieurs policiers, il a tiré en l’air pour les intimider. Le 15 avril au petit matin, un groupe d’hommes à moto a mis le feu à plusieurs tentes du camp. Les habitants sont heureusement parvenus à contenir l’incendie avant qu’il ne fasse de graves dégâts ou des blessés.

Ils ont cherché à obtenir de l’aide au commissariat, situé à proximité du camp, de l’autre côté de la route, mais on leur a répondu que la police ne disposait pas des ressources nécessaires pour enquêter sur ce qui s’était passé. Elle a toutefois trouvé des ressources pour envoyer un véhicule de police lorsque les habitants ont commencé à bloquer la rue, en signe de contestation contre l’incendie volontaire dont ils avaient été victimes et l’indifférence affichée par les autorités.

Des témoins nous ont raconté que des policiers avaient frappé brutalement deux résidents du camp avant de les emmener avec eux. L’administration hospitalière aurait déclaré que l’un d’entre eux, Civil Merius, était mort lorsqu’il a été déposé à l’hôpital par la police un peu plus tard dans la journée.

Des familles du camp Gaston Magwon (municipalité de Carrefour) que nous avons rencontrées vivent dans la crainte d’être jetées à la rue depuis que 150 familles ont été expulsées de force le 15 février. Ce jour-là, des policiers et des hommes munis de machettes et de couteaux ont escorté un juge de paix dans le camp.

Les hommes armés ont commencé à détruire les abris alors que des habitants se trouvaient à l’intérieur et s’en sont pris aux personnes qui tentaient de les en empêcher. Les policiers, quant à eux, ont tiré en l’air pour intimider les familles. Les résidents nous ont raconté que les hommes armés avaient menacé de réduire en cendres tout le camp et de tuer les enfants des familles qui ne partaient pas.

Le camp Toto, situé dans la municipalité de Delmas, a été installé sur un terrain déclaré d’« utilité publique » en 2003 par le gouvernement alors au pouvoir. Des abris provisoires ont été érigés dans une seule des six zones que compte le camp, tandis que des personnes ont commencé à construire leur propre logement permanent dans les autres zones.

D’après des témoignages que nous avons recueillis, un représentant politique local accompagné par des individus armés est venu le 24 mars pour menacer les résidents du camp Toto, soit plus de 16 000 personnes au total. Brandissant un pistolet, dont il a tiré plusieurs coups en l’air, il leur a demandé de partir car il détenait le terrain. Depuis lors, des individus armés terrorisent des familles, les menaçant de leur tirer dessus et d’incendier leurs abris. À la fin du mois de mars, au cours de la nuit, un message a été peint à l’aide d’une bombe sur une structure faisant office d’école pour certains des enfants du camp : « À déplacer – une semaine ».

Quelque 75 000 personnes hébergées dans 105 camps sont actuellement menacées d’expulsion forcée, d’après les derniers chiffres communiqués par l’Organisation internationale pour les migrations. Au total, 16 104 familles (plus de 60 000 personnes) ont déjà été expulsées entre juillet 2010 et mars 2013. Derrière ces chiffres se cachent de nombreuses histoires de dénuement, d’injustice et de détresse.

Cependant, les actions militantes sont elles aussi de plus en plus nombreuses. Les résidents des camps s’organisent, nouent des liens les uns avec les autres et revendiquent leur droit à un logement convenable.

Nous espérons que notre rapport permettra de renforcer les pressions déjà exercées par des organisations locales de défense des droits humains et les résidents des camps sur le gouvernement haïtien pour demander qu’un moratoire sur toutes les expulsions dans les camps de personnes déplacées soit immédiatement instauré et que la priorité soit accordée à la recherche de solutions durables aux besoins d’hébergement de ces personnes.

Tant que la menace d’expulsion forcée n’aura pas disparu, des dizaines de milliers d’Haïtiens continueront de se coucher tous les soirs dans leurs abris de fortune, sans savoir s’il ne s’agira pas de leur dernière nuit sous un toit avant qu’ils ne soit jetés à la rue. Qui plus est, ils ne pourront toujours pas commencer enfin à reconstruire leur avenir, bouleversé par le séisme de janvier 2010, pour vivre dans la dignité et sans crainte.