Irak. Les civils pris au piège : il faut renforcer leur protection de toute urgence

Amnesty International a demandé aux autorités irakiennes ce mardi 27 avril 2010 de renforcer de toute urgence la protection des civils, alors que le pays est en proie à un regain brutal de violence meurtrière. Le nouveau rapport d’Amnesty International intitulé Irak. Des civils pris pour cibles rend compte des centaines de civils tués ou blessés chaque mois. Beaucoup sont délibérément pris pour cibles par des groupes armés en raison de leur identité religieuse, ethnique ou sexuelle ou parce qu’ils dénoncent des atteintes aux droits humains. L’incertitude qui plane quant à la date de la formation d’un nouveau gouvernement irakien a débouché sur une récente flambée d’attentats, faisant plus de 100 morts parmi les civils pendant la première semaine d’avril uniquement. « Les Irakiens continuent de vivre dans la peur, sept ans après l’invasion conduite par les États-Unis. Les autorités irakiennes peuvent faire bien davantage pour garantir leur sécurité, mais, une fois encore, elles ne marquent aucun empressement à aider les plus vulnérables dans la société », a déploré Malcolm Smart, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. Amnesty International exhorte les autorités à protéger davantage les personnes les plus exposées et à traduire en justice les responsables présumés de ces crimes violents, sans recourir à la peine de mort. Si les forces de sécurité irakiennes, les troupes étrangères et les familles sont responsables de certaines atteintes aux droits humains, la plupart des homicides de civils sont imputables aux groupes armés, notamment à Al Qaïda en Irak. Cette organisation maintient une forte présence dans le pays, bien que certaines informations laissent à penser que trois hauts responsables ont été tués récemment. Les défenseurs des droits humains, les journalistes et les militants politiques comptent parmi ceux qui sont tués ou mutilés en Irak en raison de leurs activités. Omar Ibrahim Al Jabouri, directeur des relations publiques de la chaîne de télévision Rasheed, a réchappé de peu à la mort lors d’un attentat le 13 avril 2010, alors qu’il se rendait à son bureau à Bagdad. Il a perdu ses jambes dans l’explosion d’une bombe fixée à son véhicule. Les minorités religieuses et ethniques continuent d’être prises pour cibles. Au moins huit chrétiens ont été tués à Mossoul en février 2010 dans des attentats motivés semble-t-il par l’intolérance religieuse. Le 17 février 2010, des hommes armés non identifiés ont interpellé deux étudiants chrétiens, Zia Toma, 22 ans, et Ramsin Shmael, 21 ans, à un arrêt de bus à Mossoul et leur ont demandé de présenter leurs papiers d’identité. Ces hommes ont ensuite ouvert le feu, tuant Zia Toma et blessant Ramsin Shmael. Les femmes et les jeunes filles sont particulièrement exposées aux violences, tant de la part des groupes armés que de leurs proches. À la connaissance d’Amnesty International, peu d’hommes ont été déclarés coupables de viol en Irak. Les femmes subissent fréquemment des violences aux mains de leur famille, notamment des prétendus crimes « d’honneur », lorsque leur comportement est considéré comme contraire aux codes moraux traditionnels – par exemple lorsqu’elles refusent d’épouser les hommes qui ont été choisis pour elles. Les militants qui défendent les droits des femmes sont également pris pour cibles. Les membres de la communauté gay en Irak, où l’homosexualité n’est pas tolérée, vivent sous la menace constante de la violence, certains dignitaires musulmans exhortant leurs disciples à s’en prendre aux homosexuels présumés. Les autorités s’abstiennent bien souvent de mener des enquêtes approfondies et impartiales sur les agressions de civils, d’arrêter les auteurs présumés et de les traduire en justice. Dans certains cas, les civils sont même accusés d’être impliqués dans des attaques violentes. Conséquence de l’insécurité, des centaines de milliers d’Irakiens, dont un nombre fortement disproportionné de membres de minorités, ont été contraints de quitter leur foyer. Les personnes déplacées à l’intérieur du pays et les réfugiés sont encore plus vulnérables face à la violence et aux difficultés économiques. Amnesty International demande aux autorités irakiennes de prendre immédiatement des mesures visant à améliorer la sécurité des civils. Elles doivent mener des consultations avec les membres des groupes les plus exposés afin de déterminer comment optimiser leur protection. Parallèlement, elles doivent ouvrir des enquêtes dignes de ce nom sur les attaques visant des civils et demander des comptes aux auteurs présumés de ces crimes, quels qu’ils soient, dans le respect du droit international. Il faut qu’elles désarment immédiatement toutes les milices et suppriment la mention de l’appartenance religieuse sur les papiers d’identité. Tous les groupes armés en Irak doivent sans plus tarder mettre fin aux atteintes aux droits humains, notamment aux attentats ciblant des civils, aux enlèvements et aux actes de torture. En outre, Amnesty International demande la suspension de tous les retours forcés de réfugiés en Irak tant que le pays demeure instable. Plusieurs gouvernements européens renvoient de force des personnes en Irak, y compris dans les régions les plus dangereuses du pays, en violation flagrante des directives formulées par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Amnesty International s’est entretenue avec plusieurs Irakiens renvoyés de force par le gouvernement néerlandais le 30 mars 2010. Parmi les 35 réfugiés figurait un jeune homme de 22 ans, Turkmène chiite originaire de Tal Afar, ville située au nord de Mossoul, où des centaines de civils ont été tués dans le cadre de violences motivées par l’intolérance religieuse ou des considérations politiques ces dernières années et où ces violences se poursuivent avec la même intensité. À la mi-avril, ce jeune homme demeurait bloqué à Bagdad. « L’incertitude persistante quant à la date de la formation d’un nouveau gouvernement consécutive à l’élection de mars pourrait bien contribuer à une nouvelle flambée de violence, dont les civils seraient les premières victimes. Cette incertitude menace d’aggraver une situation déjà désastreuse. Les autorités irakiennes et la communauté internationale doivent agir maintenant pour empêcher de nouvelles victimes inutiles », a conclu Malcolm Smart. Note aux rédacteurs Voici quelques études de cas mises en lumière dans le rapport intitulé Irak. Des civils pris pour cibles : Sardar Qadir, homme d’affaires et candidat de Goran (Changement en kurde) aux élections parlementaires irakiennes, a été blessé à la jambe le 4 décembre 2009. On lui a tiré dessus à travers une vitre alors qu’il se trouvait chez un proche à Iskan, dans la province de Sulaimaniya. Il a expliqué à Amnesty International qu’il n’avait pas reçu de menaces, mais qu’il pensait avoir été suivi les semaines précédentes et que cette agression revêtait un caractère politique. « Je ne saurais pointer du doigt un parti en particulier. Cependant, je suis victime de l’absence de démocratie dont souffre notre pays. » En avril 2009, Amnesty International s’est entretenue avec plusieurs Irakiens qui avaient récemment fui les violences qu’ils subissaient en raison de leur homosexualité. Hakim, 34 ans, de Najaf, a raconté que son partenaire avait été enlevé et avait subi des violences infligées par des membres de l’Armée du Mehdi en octobre 2008, semble-t-il parce qu’ils avaient découvert leur relation secrète. Lorsque son partenaire a été libéré, les deux hommes ont été menacés de mort par l’Armée du Mehdi. Un jour, ils ont reçu une note accompagnée de trois balles. Kurdistan Aziz avait 16 ans lorsqu’elle a disparu en mai 2008 de son village de Kolkarash, près de Heran, dans la province d’Erbil. En février, elle s’était enfuie avec son compagnon, avant de rentrer dans sa famille après la signature d’un accord garantissant sa sécurité. Le 21 mai 2008, son père a informé la police locale que son neveu avait avoué le meurtre. Il était toujours en fuite début 2010.