Tunisie. En prenant pour cible des avocat·e·s, les autorités entravent l’accès à la justice

Le harcèlement judiciaire et l’intimidation croissants des autorités tunisiennes contre des avocat·e·s n’ayant fait qu’accomplir leur devoir professionnel bafouent les droits de ces avocat·e·s et entravent l’accès à la justice et à des recours utiles des victimes d’atteintes aux droits humains, a déclaré Amnesty International, la veille du prononcé du jugement dans l’affaire de l’avocat Abdelaziz Essid, qui est poursuivi pour des accusations fallacieuses.

Les autorités ont pris pour cible au moins 20 avocat·e·s représentant des membres de diverses formations politiques de l’opposition, des militant·e·s et des victimes d’atteintes aux droits humains, les soumettant à des enquêtes pénales pour des accusations forgées de toutes pièces, dans le cadre desquelles ils sont notamment accusés d’avoir « nui aux tiers », « imputé à un fonctionnaire public des faits illégaux sans avoir justifié de l’exactitude de l’imputation » dans l’exercice de leur profession d’avocat·e·s., « agressé verbalement un fonctionnaire » et « diffusé de fausses nouvelles ». Les accusations sont retenues au titre du Code des Télécommunications de Tunisie, du Code pénal et du décret-loi n° 54 respectivement. S’ils sont déclarés coupables, les avocat·e·s encourent jusqu’à 20 ans d’emprisonnement et de lourdes amendes.

Prendre pour cible des avocat·e·s n’ayant fait qu’exercer leur profession est une parodie de justice. Toute personne, y compris les avocat·e·s, a le droit au respect de ses droits humains.

Fida Hammami, Amnesty International

« Entraver l’indépendance de la profession juridique et prendre pour cible des avocat·e·s représentant des victimes d’atteintes aux droits humains est un nouveau coup porté aux droits à la défense et à un procès équitable plus généralement en Tunisie », a déclaré Fida Hammami, chargée de recherche et de plaidoyer à Amnesty International Tunisie.

« Les autorités doivent mettre un terme à leur harcèlement des 20 avocat·e·s faisant l’objet d’enquêtes liées uniquement à l’exercice pacifique de leurs droits humains. Les avocat·e·s doivent être en mesure de s’acquitter de leurs fonctions professionnelles et de s’exprimer sans faire l’objet de manœuvres d’intimidation et de harcèlement et sans craindre de représailles. »

Le 29 mars, le tribunal de première instance de Tunis rendra sa décision dans l’affaire de l’avocat Abdelaziz Essid, qui est jugé pour avoir « nui aux tiers à travers les réseaux publics des télécommunications » et « imputé à un fonctionnaire public des faits illégaux sans avoir justifié de l’exactitude de l’imputation », au titre de l’article 86 du Code des Télécommunications et de l’article 128 du Code pénal respectivement, en raison d’une plainte de la ministre de la Justice.

Abdelaziz Essid est l’un des trois membres de l’équipe chargée de la défense de six membres de l’opposition incarcérés dans le cadre de la très médiatisée « affaire du complot », qui font à présent eux-mêmes l’objet d’une enquête ou de poursuites en raison de déclarations qu’ils ont faites aux médias au sujet de cette affaire.

Les accusations portées contre Abdelaziz Essid sont fondées sur des déclarations qu’il a faites pendant une conférence de presse lors de laquelle il avait fait état d’incohérences concernant les dates et les faits dans le dossier relatif à l’affaire dite du complot et indiqué qu’il était possible que le dossier ait été trafiqué.

Une autre affaire concerne l’enquête que le parquet a ouverte contre 14 membres de l’équipe chargée de la défense de Noureddine El Bhiri, membre éminent du parti d’opposition Ennahdha, en raison d’une plainte visant cette équipe déposée par un membre de la garde nationale à la suite d’une altercation entre ce dernier et les avocat·e·s. Un juge d’instruction a, dans le cadre de cette enquête, interdit aux 14 avocat·e·s de voyager.

Dans quatre autres cas, les enquêtes ont été ouvertes peu après que les avocat·e·s ont critiqué publiquement les agissements de la ministre de la Justice ou formulé des allégations de corruption contre elle.

« Prendre pour cible des avocat·e·s n’ayant fait qu’exercer leur profession est une parodie de justice. Toute personne, y compris les avocat·e·s, a le droit au respect de ses droits humains », a déclaré Fida Hammami.

Ces droits comprennent les droits à la liberté, à la sécurité de la personne et à la liberté d’expression, garantis par les articles 9 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par les articles 6 et 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, traités auxquels la Tunisie est partie.

Le rapporteur spécial des Nations unies sur l’indépendance des juges et des avocats a engagé les ministères publics à « être particulièrement vigilants lorsque se présente une situation dans laquelle un avocat risque d’être considéré comme un criminel au seul motif qu’il a exercé ses fonctions. Il demande instamment aux autorités de donner les instructions nécessaires pour que le parquet n’engage pas de poursuites malicieuses contre les praticiens du droit qui, dans l’exercice de leurs fonctions et de leur liberté d’expression, critiquent les représentants et les institutions de l’État. »