Ventes d’armes à la coalition menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis : retour sur l’année écoulée
C’est encore une année très dure qui vient de s’écouler en ce qui concerne le conflit au Yémen, un pays où des millions de personnes sont menacées par la famine et où près de 17 000 civils ont été blessés ou tués depuis le début de la guerre.
En 2018, les forces aériennes de la coalition menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont quadrillé le Yémen, bombardant des zones résidentielles, des infrastructures civiles, et même un bus scolaire rempli d’enfants.
Les Houthis, groupe armé yéménite, ont quant à eux procédé à des offensives terrestres inconsidérées et pilonné aveuglément des centres urbains et des villages. Et des États, en particulier les États-Unis et le Royaume-Uni, mais aussi la France et l’Italie, entre autres, ont continué d’envoyer pour des milliards de dollars d’équipements militaires sophistiqués aux troupes de la coalition.
Contestation publique et changement de politique
Toutefois, avec l’alourdissement du bilan pour la population civile, 2018 a vu évoluer les politiques et les pratiques des États qui arment la coalition. Sous l’intense pression exercée par Amnesty International et d’autres organisations de la société civile, ainsi que par des journalistes et des parlementaires, certains États ont mis fin à leurs livraisons d’armes.
Ce changement a débuté fin 2017, quand Amnesty International Grèce a pris la tête de la contestation contre un projet de transfert de 300 000 obus d’artillerie grecs à l’Arabie saoudite, qui risquait fortement de les utiliser au Yémen. Rompant avec les pratiques établies, un comité parlementaire a annulé l’accord d’exportation. En janvier 2018, la Norvège a cessé d’approvisionner les Émirats arabes unis en équipements létaux, arguant de préoccupations concernant la situation au Yémen. Quand des images montrant un véhicule blindé Patria de fabrication finlandaise déployé au Yémen par les forces émiriennes ont fait surface, les huit candidats à l’élection présidentielle finlandaise de février se sont engagés à suspendre les ventes.
L’Allemagne, grande fabricante et exportatrice d’armes, a elle aussi semblé changer de cap de façon spectaculaire en avril. La nouvelle coalition à la tête du pays a annoncé qu’elle n’accorderait plus d’autorisations de transferts d’armes à destination des pays engagés directement dans le conflit au Yémen. En septembre, le gouvernement espagnol s’est rallié à ce qui apparaissait comme une tendance en plein essor en annonçant qu’il allait annuler la vente de 400 bombes à guidage laser à l’Arabie saoudite, à la suite du tollé international soulevé par la frappe aérienne qui avait touché un bus scolaire dans la ville de Saada, dans le nord du Yémen, tuant 40 enfants. À son tour, le Danemark a suspendu les exportations vers l’Arabie saoudite en novembre.
Marche arrière des États sur leurs promesses
Cependant, au fil de l’année, certains de ces États ont semblé faire marche arrière. Faisant fi des promesses électorales et de nouvelles vidéos montrant l’utilisation de blindés Patria au Yémen, la Finlande a autorisé la vente de pièces détachées de véhicules aux Émirats arabes unis – avant d’annoncer en novembre qu’elle n’accorderait plus de licences pour les exportations d’armes à destination de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis en raison de « la situation humanitaire alarmante au Yémen ». De même, malgré les promesses de la coalition, l’Allemagne a continué à autoriser la vente d’équipements militaires à l’Arabie saoudite.
L’Espagne a agi de façon encore plus contradictoire. Huit jours après avoir annoncé l’annulation de la vente des bombes, le gouvernement est revenu sur sa décision, sous l’intense pression exercée à la fois par des acteurs nationaux et par l’Arabie saoudite. Les bombes ont été expédiées fin septembre et, le mois suivant, lors d’un débat parlementaire, le gouvernement a refusé de céder aux pressions exercées par Amnesty International et d’autres groupes de la société civile, qui lui demandaient de s’engager à annuler les autorisations déjà octroyées et à suspendre les futures ventes.
Si de nombreux États occidentaux commencent à remettre en question leur soutien à la coalition, les États-Unis et le Royaume-Uni, c’est-à-dire ses deux principaux fournisseurs, tiennent leurs positions, non seulement en fournissant des équipements utilisés pour bombarder des civils et détruire des infrastructures civiles, mais aussi en apportant une assistance technique et logistique essentielle à l’armée de l’air saoudienne.
Les États fournisseurs et les entreprises d’armement sous le feu des critiques
Néanmoins, avec l’augmentation du nombre de victimes civiles et l’aggravation d’une situation humanitaire déjà catastrophique, la pression sur les gouvernements fournissant des armes s’intensifie. Au Royaume-Uni, les partis d’opposition ont à plusieurs reprises réclamé que le pays cesse d’armer l’Arabie saoudite, et l’opinion publique est massivement opposée à la politique actuelle. Si une action en justice contre la décision du gouvernement britannique de continuer à autoriser les ventes d’armes à l’Arabie saoudite a été rejetée l’an dernier, deux juges de cour d’appel ont autorisé le dépôt d’un recours en mai 2018. Aux États-Unis, l’opposition au sein du Congrès croît, menaçant le transfert à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis de 120 000 bombes à guidage de précision. En septembre, dans le cadre d’une action distincte, de nouvelles tentatives de recours à la Loi de 1973 sur les pouvoirs en temps de guerre ont été lancées en vue de mettre un terme à l’implication des États-Unis dans le conflit au Yémen, au motif que le Congrès ne l’a jamais autorisée. L’exécution extrajudiciaire du journaliste Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul, en Turquie, a soulevé de nouvelles préoccupations au sein du Congrès américain et du Parlement britannique concernant la poursuite des ventes d’armement à l’Arabie saoudite.
Et tandis que les États subissaient des pressions, les entreprises d’armement étaient elles aussi en butte à des critiques. Amnesty International et d’autres organisations ont fait état de la découverte de débris de munitions fabriquées par des sociétés d’armement américaines de premier plan, comme Raytheon et Lockheed Martin, dans les décombres après des frappes aériennes controversées. L’entreprise britannique BAE Systems continue d’approvisionner et d’entretenir la redoutable flotte aérienne de combat de l’Arabie saoudite. Des noms connus du grand public, tels que Boeing, General Electric ou Rolls-Royce, fournissent des munitions et des moteurs pour engins aériens.
En avril, une coalition d’ONG en Italie et en Allemagne a déposé auprès du parquet de Rome une plainte au pénal contre la direction de RWM Italia S.p.A, une filiale du géant allemand de l’armement Rheinmetall AG, et contre des hauts responsables des autorités italiennes chargées des exportations. Cette plainte porte sur une bombe, fabriquée par RWM en Sardaigne et exportée par l’Italie, qui aurait tué six civils au Yémen lors d’une frappe aérienne sur Deir al Hajari, un village du nord-ouest du pays, en octobre 2016.
Un honteux statu quo
Ce qui se passe au Yémen est véritablement problématique pour toutes les parties impliquées. Le comportement des fournisseurs d’armes – États comme entreprises – face à de probables crimes de guerre est de plus en plus examiné à la loupe et contesté avec force. Certains États, généralement plus petits, ont pris la décision, dictée par des principes, de cesser de fournir la coalition.
À l’inverse, les États-Unis et le Royaume-Uni, mais aussi l’Espagne, la France et l’Italie, entre autres, continuent comme si de rien n’était – une attitude honteuse qui porte atteinte au droit international relatif aux transferts d’armes que ces pays ont contribué à créer et qu’ils se sont engagés à respecter. Les grandes compagnies d’armement, comme Raytheon, Lockheed Martin et BAE Systems, se font de bonne grâce leurs associés dans l’irresponsabilité à l’échelle industrielle.
Dans le monde entier, les militants et militantes doivent continuer à faire pression sur les gouvernements et les entreprises. Les États doivent respecter les obligations qui leur incombent au titre du Traité sur le commerce des armes et cesser de fournir des armes, des munitions, une assistance et des technologies militaires destinées à être utilisées dans le cadre du conflit au Yémen. Ils doivent également faire usage des leviers dont ils disposent, en tant que partenaires clés dans la région, pour pousser les membres de la coalition à respecter leurs obligations aux termes du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains. Sinon, ils risquent de se rendre complices de violations des droits humains et de crimes de guerre commis dans un conflit qui a non seulement estropié et tué des dizaines de milliers de civils, mais aussi déplacé des millions d’autres personnes et laissé le pays au bord d’une famine catastrophique.