Espagne. Il faut bloquer l’extradition de Mourad Gassaïev vers la Russie

Alors que les autorités espagnoles s’apprêtent à extrader Mourad Gassaïev vers la Russie, Amnesty International a demandé que cette procédure soit immédiatement bloquée, assurant que cet homme risquait fortement d’être torturé s’il était renvoyé.

« Nous tenons les autorités espagnoles pour responsables de la sécurité de Mourad Gassaïev et les exhortons à ne pas l’extrader vers un pays où il risque d’être torturé, d’autant qu’il affirme avoir déjà subi des actes de torture, a déclaré Nicola Duckworth, directrice du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International. Personne, quelle que soit la gravité du crime dont il est accusé, ne saurait être renvoyé de force dans un pays où le risque est réel qu’il subisse de graves atteintes aux droits humains. »

Mourad Gassaïev, d’origine tchétchène, est recherché par les autorités russes pour son implication présumée dans un attentat commis par un groupe armé contre des bâtiments gouvernementaux de la République d’Ingouchie en juin 2004. Selon son témoignage, il a été arrêté en août 2004 en Ingouchie et torturé pendant trois jours par les responsables de l’application des lois. Il a été libéré sans inculpation. En 2005, Mourad Gassaïev a fui et sollicité l’asile en Espagne, mais sa demande a été rejetée en raison d’informations confidentielles fournies par les autorités espagnoles auxquelles ni lui ni son avocat n’ont pu avoir accès.

L’Audience nationale, la cour pénale nationale espagnole, a approuvé la demande d’extradition, le parquet de Russie ayant donné l’assurance que Mourad Gassaïev ne serait pas condamné à mort ni à la détention à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle, et serait autorisé à recevoir des visites du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT, du Conseil de l’Europe) pendant sa détention. Le gouvernement espagnol doit désormais donner son aval pour que la procédure d’extradition se poursuive.

Toutefois, à la connaissance d’Amnesty International, le CPT n’a pas été consulté au sujet des promesses faites en son nom avant que l’Audience nationale ne donne son feu vert à cette extradition. Le CPT s’est maintes fois déclaré publiquement très préoccupé par les cas de torture, de mauvais traitements et de détention illégale dont se rendent responsables les représentants de l’État en Tchétchénie. D’après le Comité, les enquêtes ouvertes à la suite d’allégations de mauvais traitements ou de détention illégale sont rarement conduites de manière efficace. En outre, les autorités russes ne prennent aucune mesure adéquate face aux inquiétudes soulevées.

« Les États qui infligent aux détenus des tortures ou d’autres formes de mauvais traitements n’admettent évidemment pas qu’ils recourent à de telles pratiques. Ils torturent en secret et en violation de leurs obligations juridiques internationales, a indiqué Nicola Duckworth. Les ” assurances ” données par la Fédération de Russie sont sujettes à caution et l’Espagne bafouerait les obligations qui lui incombent au titre du droit international relatif aux droits humains si le gouvernement donnait le feu vert à cette extradition. »

Complément d’information

L’organisation non gouvernementale (ONG) russe Mémorial a effectué des recherches et recueilli des renseignements sur plusieurs cas de personnes condamnées dans le cadre de l’attaque de juin 2004. Mémorial a mis en lumière des éléments prouvant que les suspects ont été torturés et maltraités lors de l’enquête, et n’ont pas bénéficié d’un procès équitable. Amnesty International s’est entretenue avec plusieurs personnes dont les déclarations corroborent les conclusions de Mémorial.

Ces dernières années, le CPT a dû recourir par trois fois à des pouvoirs d’exception pour rendre publics des rapports accablants sur le problème de la torture en Tchétchénie. Cette situation est sans précédent : c’est la première fois que le CPT émet à trois reprises une déclaration publique de ce type au sujet d’un pays. En effet, le CPT travaille sur la base de la confidentialité avec les États parties et n’est autorisé à faire une déclaration publique que lorsqu’un pays « ne coopère pas ou refuse d’améliorer la situation à la lumière des recommandations du Comité ». Le fait que le CPT se soit senti contraint de diffuser une telle déclaration à trois reprises, y ajoutant des extraits détaillés de son rapport et des commentaires des autorités russes, indique que, selon le Comité, la Russie ne s’attaque pas efficacement au problème de la torture en Tchétchénie.

Fin février et début mars 2008, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammerberg, de retour de Tchétchénie, a déclaré : « J’ai eu l’impression que la torture et les mauvais traitements sont largement répandus en Tchétchénie ».

Voir aussi : Russie. Torture et «aveux» forcés en détention (index AI : EUR 46/056/2006) et La Russie doit mettre fin à la torture, aux mauvais traitements, aux «disparitions» et aux détentions arbitraires en Tchétchénie (index AI : EUR 46/009/2007).