Amnesty International est préoccupée par une tendance alarmante qui menace gravement la promotion et la défense des droits humains dans la région, à savoir la prolifération des manœuvres juridiques visant à restreindre le travail des organisations de la société civile.
Dans le droit fil des pratiques discutables de certains pays de la région qui ont adopté des mesures régressives et autoritaires, les Parlements du Paraguay, du Pérou et du Venezuela examinent actuellement des projets de loi qui imposent des restrictions arbitraires et des ingérences indues concernant les activités d’organisations, d’associations et de collectifs de la société civile. Ces mesures menacent de réduire au silence des voix critiques, et de compromettre la quête de justice et l’avancement des droits fondamentaux.
« Les États doivent cesser de s’efforcer de réduire au silence les organisations de défense des droits humains et s’abstenir de restreindre l’espace civique auquel toutes les personnes doivent pouvoir participer et dans lequel elles doivent toutes pouvoir exprimer leurs opinions librement et sans crainte de représailles. Ces tendances répressives génèrent un grave recul des droits humains dans la région », a déclaré Ana Piquer, directrice pour les Amériques à Amnesty International.
Les États doivent cesser de s’efforcer de réduire au silence les organisations de défense des droits humains et s’abstenir de restreindre l’espace civique auquel toutes les personnes doivent pouvoir participer et dans lequel elles doivent toutes pouvoir exprimer leurs opinions librement et sans crainte de représailles. Ces tendances répressives génèrent un grave recul des droits humains dans la région.
Ana Piquer, directrice pour les Amériques à Amnesty International
S’ils étaient adoptés, ces projets de loi violeraient les engagements internationaux des États en matière de droits humains, notamment en ce qui concerne les droits à la liberté d’association et d’expression et au respect de la vie privée, ainsi que les droits de participer aux affaires politiques et de promouvoir et défendre les droits humains.
Différentes approches pour un même objectif : étouffer la société civile
Au Pérou, rien qu’au cours des derniers mois, le Congrès a examiné six projets de loi susceptibles de restreindre le travail des organisations de la société civile et des institutions recevant des fonds de coopération internationale. Ces propositions ont été approuvées par la Commission des relations extérieures le 5 juin dernier et elles peuvent encore être examinées en commission plénière ou par la Commission permanente du Congrès.
De son côté, le Sénat du Paraguay examine depuis décembre 2023 le projet de loi « établissant le contrôle, la transparence et la responsabilité des organisations à but non lucratif » qui pourrait restreindre indûment l’accès des organisations de la société civile aux ressources et imposer des sanctions disproportionnées.
Ces initiatives juridiques présentent également des similitudes avec la proposition de « loi sur le contrôle, la régularisation, le fonctionnement et le financement des organisations non gouvernementales et assimilées » qui a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale du Venezuela en janvier 2024, et qui a suscité l’inquiétude de plusieurs rapporteurs spéciaux de l’ONU. Ce projet va de pair avec d’autres initiatives, plus ou moins récentes, qui visent également à restreindre les droits à la liberté d’expression et d’association dans le but de museler la dissidence politique.
Bien que ces projets reflètent des approches différentes, tous présentent des caractéristiques communes alarmantes. Ces projets de loi souvent motivés par la nécessité d’une plus grande transparence prévoient – dans de nombreux cas en termes vagues et imprécis, et malgré les nombreux contrôles déjà instaurés au niveau national pour que les organisations de la société civile rendent des comptes – des contrôles disproportionnés, arbitraires et indus portant sur le fonctionnement et les finances des organisations de la société civile. Ces mesures risquent d’empêcher ces entités d’obtenir les ressources et les autorisations nécessaires pour leur financement, de compromettre l’indépendance de leurs activités et de menacer la sécurité et la vie privée de leurs membres et des personnes dont elles cherchent à défendre et protéger les droits.
Le non-respect des dispositions abusives inscrites dans ces projets de loi pourrait entraîner la dissolution totale de ces entités sans procédure régulière ou, dans le cas du Venezuela, exposer leurs membres à des sanctions pénales. Toutes ces sanctions sont contraires au droit international relatif aux droits humains qui prévoit que les restrictions de la liberté d’association ne peuvent en aucun cas être disproportionnées ou si lourdes qu’elles mettent en péril le droit lui-même.
Toutes ces initiatives ont été débattues dans le cadre d’une absence totale de consultation publique, large et participative. L’élaboration de lois relatives aux organisations de la société civile devrait inclure des consultations préalables et significatives avec toutes les entités et détenteurs·trices de droits concernés, y compris les défenseur·e·s des droits humains et les organisations de la société civile, qui doivent pouvoir participer sans crainte de représailles.
« Ces initiatives législatives auront également des incidences directes sur la population qui reçoit une aide des organisations de la société civile. La contribution des organisations de défense des droits humains au Pérou, au Paraguay et au Venezuela à une société plus juste et plus équitable est inestimable et elle doit être publiquement reconnue par les autorités. Au lieu d’imposer des obstacles, des sanctions indues ou d’autres mesures qui restreignent leur travail, les États devraient veiller à ce que les organisations de la société civile puissent exercer librement leurs activités, sans crainte de représailles ou de sanctions motivées uniquement par le fait qu’elles défendent les droits humains », a rappelé Ana Piquer.
Au lieu d’imposer des obstacles, des sanctions indues ou d’autres mesures qui restreignent leur travail, les États devraient veiller à ce que les organisations de la société civile puissent exercer librement leurs activités, sans crainte de représailles ou de sanctions motivées uniquement par le fait qu’elles défendent les droits humains
Ana Piquer, Amnesty International.
Fermeture de l’espace civique par des moyens juridiques : une tendance alarmante dans les Amériques
Malheureusement, les récentes initiatives engagées au Paraguay, au Pérou et au Venezuela ne sont pas des cas isolés, mais reflètent une réaction inquiétante aux niveaux régional et mondial en faveur de l’adoption de lois qui restreignent le champ d’action de la société civile et réduisent au silence les voix dissidentes. Cette tendance s’est manifestée dans les Amériques avec des initiatives similaires approuvées ou débattues dans des pays comme le Nicaragua, le Guatemala, le Salvador et le Mexique, entre autres.
« Les organisations, les collectifs et les mouvements de la société civile sont la pierre angulaire de la défense des droits fondamentaux et un élément clé de la préservation de l’indépendance des pouvoirs publics et de la lutte contre l’impunité, a déclaré Ana Piquer. En outre, comme un grand nombre des violations des droits humains auxquelles nous sommes confrontés dans la région trouvent leur origine dans des phénomènes transnationaux tels que la violence et les migrations forcées, toute menace pesant sur la liberté d’association, même au niveau local, peut entraîner une aggravation de la situation des droits fondamentaux dans toute la région. »
Les organisations, les collectifs et les mouvements de la société civile sont la pierre angulaire de la défense des droits fondamentaux et un élément clé de la préservation de l’indépendance des pouvoirs publics et de la lutte contre l’impunité.
Ana Piquer, Amnesty International.