Iran. Des vidéos provenant de la prison d’Evin qui ont été rendues publiques à la suite d’une fuite offrent un rare aperçu du traitement cruel réservé aux détenus

Des vidéos provenant de la prison d’Evin, qui ont été rendues publiques à la suite d’une fuite, montrent les abus intolérables auxquels sont soumis les détenus, et rappellent de façon effroyable que les agents de l’administration pénitentiaire en Iran qui soumettent les personnes détenues dans leur établissement à la torture ou à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants bénéficient de l’impunité, a déclaré Amnesty International le 25 août.

L’organisation a examiné 16 vidéos, fournies par des médias indépendants iraniens, qui constituent des preuves visuelles accablantes des coups, du harcèlement sexuel, ainsi que des mauvais traitements et de la privation de soins délibérée infligés à des personnes ayant besoin de soins médicaux, sur lesquels Amnesty International rassemble des informations depuis de nombreuses années. Ces vidéos réaffirment en outre les motifs de préoccupation concernant la surpopulation chronique et la détention à l’isolement dans des conditions carcérales cruelles et inhumaines.

« Ces vidéos très inquiétantes offrent un rare aperçu des traitements cruels régulièrement infligés à des personnes incarcérées en Iran. Il est consternant de voir ce qui se passe entre les murs de la prison d’Evin, mais malheureusement, les abus que montrent ces vidéos obtenues à la suite d’une fuite, ne représentent que la partie visible de l’iceberg de l’épidémie de torture en Iran, a déclaré Heba Morayef, directrice pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International. Loin des yeux du public, des agents des services de sécurité iraniens soumettent des hommes, des femmes et des enfants derrière les barreaux à la torture ou à d’autres mauvais traitements, en particulier lors des interrogatoires menés dans les centres de détention gérés par le ministère des Renseignements, par les pasdaran (gardiens de la révolution), et par l’unité d’enquête de la police iranienne (Agahi).

Ces vidéos très inquiétantes offrent un rare aperçu des traitements cruels régulièrement infligés à des personnes incarcérées en Iran.

Heba Morayef, Amnesty International

Les méthodes de torture utilisées en Iran qu’a documentées Amnesty International ces dernières années comprennent la flagellation, les décharges électriques, les simulacres d’exécution, le waterboarding (simulacre de noyade), la violence sexuelle, la suspension, l’ingestion forcée de substances chimiques et la privation délibérée de soins médicaux.

À partir du 22 août, des médias indépendants basés en dehors de l’Iran ont publié un nombre croissant de vidéos obtenues à la suite de fuites : elles proviennent d’un groupe qui se fait appeler « Edalat-e Ali » (ce qui signifie la justice d’Ali) et qui a piraté les caméras de sécurité de la prison d’Evin à Téhéran.

De hauts responsables iraniens ont confirmé l’authenticité de ces vidéos. Dans un rare cas d’admission de sa responsabilité, le directeur de l’Organisation des prisons en Iran, Mohammad Mehdi Haj Mohammadi, a déclaré dans un tweet en date du 24 août endosser la responsabilité des « comportements inacceptables » que montrent les vidéos, et a promis de prendre des mesures pour que les responsables de ces actes en répondent et pour empêcher la répétition de tels agissements.

Le 24 août, le chef du système judiciaire iranien, Gholamhossein Mohseni Ejei, a de son côté adressé par écrit des instructions au procureur général iranien pour lui demander que « le traitement réservé à des prisonniers par des agents de la prison et/ou d’autres prisonniers [dans la prison d’Evin] soit rapidement et soigneusement examiné ».

Crise de l’impunité

Si certains hauts responsables ont dénoncé les abus et promis des enquêtes, le directeur de l’Organisation des prisons en Iran, Mohammad Mehdi Haj Mohammadi, a par ailleurs déclaré apprécier les efforts des gardiens de prison ayant un comportement « honorable », laissant par là entendre que les abus commis dans la prison d’Evin qui ont été dénoncés sont exceptionnels et le fait d’un petit nombre d’individus.

« La torture et les autres formes de mauvais traitements sont tellement fréquents et systémiques dans les prisons et centres de détention iraniens qu’ils ne peuvent guère être présentés comme étant le fait de rares “pommes pourries”. Les brèves excuses et les promesses générales de reddition de comptes ne suffisent pas, loin de là, pour remédier à la crise de l’impunité systémique, a déclaré Heba Morayef.

« Si les autorités iraniennes veulent que leurs promesses de reddition de comptes ne sonnent pas creux, elles doivent immédiatement permettre à des observateurs ou observatrices internationaux, y compris au rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Iran, de mener des inspections indépendantes dans la prison d’Evin et dans d’autres prisons conformément aux normes internationales. »

Comme les autorités iraniennes refusent de façon persistante d’enquêter et d’engager des poursuites pénales quand des preuves montrent que des personnes sont impliquées dans des crimes de droit international, notamment des actes de torture, des disparitions forcées, des exécutions extrajudiciaires et des homicides illégaux, nous appelons une fois de plus le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à mettre en place un mécanisme d’enquête et de reddition de comptes pour que les responsables de violations des droits humains répondent de leurs actes.

Vidéos montrant des traitements cruels

Sur les 16 vidéos examinées par Amnesty International, sept montrent des gardiens de prison en train de frapper des prisonniers ou de leur infliger d’autres mauvais traitements ; trois montrent des cellules surpeuplées ; trois autres, des agressions de détenus par d’autres détenus ; deux, des automutilations ; et une, un cachot avec des conditions de détention cruelles et inhumaines.

Dans une vidéo en date du 31 mars 2021, on voit un gardien de prison en train de frapper un détenu et de lui donner des coups de poing au visage en présence d’un groupe de prisonniers, et on voit la victime saigner du nez. Dans une autre vidéo en date du 21 décembre 2020, on voit deux gardiens de prison en train de bousculer, de pousser, de frapper à la tête et dans le dos, y compris avec des coups de pied, un prisonnier menotté, en présence de plusieurs autres agents de la prison ; le prisonnier est ensuite traîné sur le sol.

Quatre vidéos montrent des faits en date du 26 avril 2021 : un prisonnier visiblement fragile perd connaissance dans la cour de la prison alors qu’il vient de sortir d’un véhicule. On voit des gardiens qui de façon désinvolte ne prêtent pas attention à lui et qui le traînent ensuite, alors qu’il est à demi-conscient, sur le sol et jusque dans la prison. On voit aussi plusieurs membres du personnel observer ces faits ou passer à côté du blessé d’un air détaché.

Dans une vidéo en date du 9 décembre 2015, un homme reçoit l’ordre de se déshabiller complètement devant un gardien. Il reçoit ensuite l’ordre de s’accroupir, nu, face contre un mur, pendant qu’un gardien assis sur une chaise, derrière lui, fouille calmement ses sous-vêtements et son pantalon pour vérifier s’ils ne contiennent pas des articles interdits. 

Trois vidéos en date du 11 juin 2016, du 15 janvier 2020 et du 4 février 2021 montrent des cellules surpeuplées avec des lits superposés à trois étages, où sont entassées entre 15 et 18 personnes.

Dans une autre vidéo, non datée, on voit une petite cellule de détention à l’isolement dépourvue de lit, et avec dans un coin des toilettes à la turque.

Amnesty International a également examiné deux vidéos, en date du 4 janvier 2020 et du 23 août 2016, montrant des automutilations, et trois autres vidéos montrant des agressions de détenus par d’autres détenus.