Kirghizistan. Les médecins, victimes de violations des droits humains, ont payé un lourd tribut lors de la pandémie de COVID-19

Au Kirghizistan, le personnel de santé a payé un très lourd tribut pendant la pandémie de COVID-19, qui l’a contraint à travailler de longues heures, bien souvent sans rémunération supplémentaire malgré les promesses et parfois avec un salaire réduit, en étant soumis à un régime de quarantaine « carcéral », indique Amnesty International dans un nouveau rapport publié vendredi 25 septembre.

Selon les données officielles du ministère de la Santé, au cours du pic de l’épidémie, qui s’est étendu de mi-mars au 22 juillet, 29 professionnels de santé sont décédés. Cependant, d’autres sources estiment plutôt ce chiffre à 40.

« Les médecins kirghizes ont travaillé avec abnégation, en risquant leur vie chaque jour à s’occuper de leurs patients, souvent en l’absence de matériel médical essentiel. Sans aide suffisante des autorités, ils ont dû s’appuyer sur celle de bénévoles. Il est affligeant qu’ils soient en retour privés de leurs droits humains, sous-payés et forcés à se taire par crainte de représailles », a déclaré Heather McGill, chercheuse sur l’Asie centrale à Amnesty International.

Il est affligeant qu’ils soient en retour privés de leurs droits humains, sous-payés et forcés à se taire par crainte de représailles.

Heather McGill, chercheuse sur l’Asie centrale à Amnesty International

Depuis mai, en vertu du « régime de casernement » instauré par le ministère de la Santé, des médecins doivent travailler par roulements de 12 heures par jour pendant deux semaines, suivies de deux semaines de quarantaine. L’un d’eux a décrit des conditions de quarantaine « carcérales ». Des professionnels de santé ont indiqué qu’ils étaient souvent logés à 10 dans une pièce et dans l’impossibilité de voir leurs familles.

« Je travaille actuellement 24 heures par jour. Je ne peux pas partir car il y a trop de patients. Je travaille dans un service dédié au COVID, où je suis le seul médecin. J’ai un assistant qui est chirurgien. Je suis le responsable et je ne peux pas partir à la fin de ma garde. Je dois être sur place en permanence. Nous arrivons à dormir entre trois et quatre heures par jour. Je travaille ainsi depuis 30 jours », a déclaré un médecin à Amnesty International.

Je travaille actuellement 24 heures par jour. Je ne peux pas partir car il y a trop de patients. Je travaille dans un service dédié au COVID, où je suis le seul médecin. J’ai un assistant qui est chirurgien. Je suis le responsable et je ne peux pas partir à la fin de ma garde. Je dois être sur place en permanence. Nous arrivons à dormir entre trois et quatre heures par jour. Je travaille ainsi depuis 30 jours.

déclaration d'un médecin à Amnesty International

Pénurie d’équipements de protection individuelle (EPI)

Les professionnels de santé qui se sont entretenus avec Amnesty International ont indiqué qu’au début de la pandémie, ils étaient obligés de travailler sans avoir assez d’EPI, qui étaient souvent réservés à ceux qui travaillaient dans les « zones rouges » accueillant des cas de COVID-19 confirmés.

Des médecins se sont également plaints de la mauvaise qualité des EPI reçus et du manque de formation adaptée pour les utiliser.

Salaires réduits et payés en retard

Malgré leurs sacrifices, des médecins interrogés par Amnesty International ont révélé ne pas avoir été payés en temps et en heure, et certains ont même subi des baisses de salaire arbitraires. « Le principal est qu’ils nous versent le salaire qu’ils nous ont promis. Je dois nourrir ma famille », a déclaré l’un d’eux, selon qui cette promesse n’a pas été tenue.

Au Kirghizistan, les médecins font partie des professions les plus mal rémunérées du pays, d’où une « fuite des cerveaux » de nombreux professionnels de santé vers d’autres pays ou vers le secteur privé, qui contribue à la pénurie chronique de médecins dans le secteur public.

Représailles pour ceux qui s’expriment

Les médecins contactés au cours de l’enquête d’Amnesty International étaient souvent réticents à s’exprimer, et même ceux qui ont accepté d’être interrogés ont demandé à garder l’anonymat, par crainte de représailles de leur hiérarchie. Dans les rares cas où des médecins se sont plaints ouvertement, ils ont été menacés, licenciés ou humiliés par leurs employeurs.

« Le gouvernement du Kirghizistan doit prendre des mesures pour que le système de santé soit mieux à même de faire face à la pandémie, en mettant l’accent sur la protection des droits des professionnels de santé. Il doit en outre veiller à ce que toute personne dans le pays puisse exercer son droit à la liberté d’expression, et adopter des dispositifs pour protéger les lanceurs d’alerte », a déclaré Heather McGill.

Le Kirghizistan doit respecter ses obligations en matière de droits humains découlant du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDCP) et garantir des conditions de travail justes et favorables pour tous les travailleurs, y compris les professionnels de santé. Le ministère de la Santé doit faire le nécessaire pour que tous les médecins disposent d’EPI conformes aux normes internationales et qu’ils soient correctement formés à leur utilisation afin d’éviter toute contamination.