Kirghizistan. Un nouveau cas de viol met en évidence le besoin d’une action immédiate pour mettre fin à l’effroyable pratique du «mariage par enlèvement»

Les autorités du Kirghizistan doivent intensifier leurs efforts pour faire cesser immédiatement l’effroyable pratique du « mariage par enlèvement », a déclaré Amnesty International vendredi 15 juin, après des informations indiquant qu’une jeune femme de 18 ans a été enlevée et violée dans le but de la forcer à épouser son agresseur.

Ce dernier cas en date, qui s’est produit le 10 juin selon une organisation locale de défense des droits humains, suit de peu l’enlèvement et le meurtre d’une étudiante en médecine âgée de 20 ans, Bouroulaï Tourdalieva, qui a suscité un tollé à la fin du mois de mai.

« Ces deux crimes atroces ont eu lieu à seulement 14 jours d’intervalle, ce qui laisse penser que, même si des lois existent pour mettre fin à cette effroyable pratique, elles sont totalement inefficaces. Les autorités kirghizes doivent intensifier leurs efforts pour protéger les femmes et les filles, a déclaré Denis Krivocheïev, directeur adjoint du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.

« Il n’y a pas de place pour les enlèvements, la violence sexuelle et le mariage forcé, dans aucune société, que ce soit au nom de la tradition ou d’autre chose. »

Il n’y a pas de place pour les enlèvements, la violence sexuelle et le mariage forcé, dans aucune société, que ce soit au nom de la tradition ou d’autre chose.

Denis Krivocheïev, directeur adjoint du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International

Selon l’ONG Kylym Shamy, le dernier enlèvement de ce type a été perpétré le 10 juin et la victime est une jeune femme de 18 ans dont la famille, originaire d’une ville de province, venait de s’installer à Bichkek, la capitale du pays. Elle a été attirée hors du domicile familial par le fils du propriétaire et des amis à lui. Ils l’ont forcée à monter dans une voiture et l’ont emmenée dans le district de Joumgal, à environ 100 km au sud de Bichkek. Une fois sur place, cet homme l’a violée. La victime a affirmé qu’il lui avait dit vouloir l’épouser.

Elle a été conduite à l’hôpital mais n’a pas encore été autorisée à rentrer chez elle car elle subit encore les effets du traumatisme. La police a arrêté son ravisseur.

« Les autorités du Kirghizistan doivent prendre des mesures pour traduire sans délai en justice tous les auteurs présumés de ces crimes violents et odieux, et faire clairement comprendre que la violence liée au genre ne sera pas tolérée, a déclaré Denis Krivocheïev.

« Toutes les personnes qui ont souffert de cette horrible pratique doivent obtenir pleinement réparation, notamment en bénéficiant de tous les soins médicaux nécessaires et d’un soutien psychosocial. »

Toutes les personnes qui ont souffert de cette horrible pratique doivent obtenir pleinement réparation, notamment en bénéficiant de tous les soins médicaux nécessaires et d’un soutien psychosocial.

Denis Krivosheev

Le 27 mai, l’enlèvement et le meurtre d’une étudiante en médecine âgée de 20 ans, Bouroulaï Tourdalieva, a suscité un tollé au Kirghizistan. Après son enlèvement, la voiture dans laquelle on l’emmenait a été arrêtée par la police. Bouroulaï et son ravisseur ont été conduits au poste de police le plus proche. À cause de la négligence des policiers, ce dernier n’a pas été désarmé ; il a poignardé sa victime à plusieurs reprises à l’aide d’un couteau, puis a tenté de se suicider. Bouroulaï a succombé à ses blessures et son agresseur a été hospitalisé en soins intensifs.

En 2012, les législateurs kirghizes ont alourdi les sanctions prévues pour l’ala kachuu (« tradition du mariage par enlèvement »), en allongeant la peine maximale encourue de trois à sept ans d’emprisonnement. Cependant, cette pratique est largement considérée comme tolérée par les fonctionnaires et les agents des forces de l’ordre, qui bien souvent ne prennent pas en compte les plaintes et incitent, voire forcent ouvertement, les familles du ravisseur et de la victime à « résoudre » l’affaire à l’amiable.

Complément d’information

Le « mariage par enlèvement » est une pratique traditionnelle illégale au Kirghizistan, pour laquelle le Code pénal prévoit jusqu’à sept ans de prison. Pourtant, les enlèvements persistent en raison du manque de signalements et de l’image sociale de cette pratique nuisible, vue comme une « tradition ».  Dans de nombreux cas, l’enlèvement est suivi d’un viol car, selon les stéréotypes de genre relatifs à la sexualité des femmes et des jeunes filles, celles-ci ne seraient pas « épousables » si elles ne sont pas vierges. À cause de cette vision préjudiciable, il arrive qu’un homme enlève et viole une femme ou une jeune fille, qui est alors considérée comme « impure » par la société et peut être poussée à épouser l’homme qui l’a violée.

D’après le ministère de l’Intérieur kirghize, 64 % des policiers de la ville d’Och (sud du pays) estiment que le « mariage par enlèvement » est « normal », et 82 % d’entre eux pensent que l’enlèvement est « provoqué » par les femmes elles-mêmes.

Les données 2016 du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) révèlent que 6 % des femmes et des filles mariées âgées de plus de 15 ans au Kirghizistan ont été victimes d’un « mariage par enlèvement » contre leur gré.