Nauru : une honte pour l’Australie et un avertissement pour l’Europe

« J’ai des grosseurs dans la poitrine, dans la gorge et dans l’utérus… » – Halimeh parlait tout doucement, et dès qu’elle a eu fini de prononcer ces mots, j’ai vu une immense tristesse envahir ses yeux bruns. Nous étions assises sur des rochers près de l’océan, nous méfiant des chiens sauvages qui aboyaient près de nous, et nous liquéfiant sous le soleil de plomb de cette île isolée du Pacifique. Je sentais sa peur, très fréquente chez les femmes de trente ans qui contrôlent leurs seins tous les matins et savent que quelque chose ne va pas.

Halimeh a fui l’Iran il y a trois ans, après, nous a-t-elle dit, que plusieurs de ses amis eurent été exécutés parce qu’ils s’étaient convertis au christianisme, ce qu’elle avait elle aussi l’intention de faire. Elle a voulu partir en Australie, où elle espérait trouver la paix et ne plus subir une persécution religieuse.

Au lieu de cela, après un épuisant voyage qui lui a fait traverser la Malaisie, l’Indonésie et un dangereux océan à bord de l’embarcation de passeurs, et après six mois de détention par les services de l’immigration sur l’île Christmas, en Australie, elle a été envoyée à Nauru, petit État insulaire isolé où l’Australie relègue depuis des années les demandeurs d’asile qui tentent d’atteindre ses côtes.

Comme un grand nombre de personnes à travers le monde, j’ai été bouleversée par le traitement inhumain et l’ampleur des violences et des autres mauvais traitements décrits dans  le récent article du Guardian portant sur les « Nauru Files ».

Mais ces révélations ont eu un écho tout particulier chez moi car, le mois dernier, j’ai justement été directement témoin de ces différents types d’atteintes systématiques aux droits humains. Je me suis souvenue de Halimeh et des 57 personnes avec qui je me suis entretenue durant la semaine que j’ai passée sur cette île. Des femmes, des hommes et des enfants qui ont vécu des choses qui feraient frémir même les plus insensibles des lecteurs ; ces personnes qui ont fui la guerre, qui ont perdu des proches et des amis et qui ont été torturées par des régimes répressifs, sont maintenant bloquées à Nauru, où elles vivent dans une atmosphère d’angoisse et de désespoir, sans perspective d’avenir.

Comme un grand nombre de personnes à travers le monde, j’ai été bouleversée par le traitement inhumain et l’ampleur des violences et des autres mauvais traitements décrits dans le récent article du Guardian portant sur les «Nauru Files». Mais ces révélations ont eu un écho tout particulier chez moi car, le mois dernier, j’ai justement été directement témoin de ces différents types d’atteintes systématiques aux droits humains.

Anna Neistat, directrice générale chargée des recherches à Amnesty International

Plus de 1 200 femmes, hommes et enfants venant de pays tels que l’Iran, l’Irak, le Pakistan, la Somalie, le Bangladesh, le Koweït et l’Afghanistan vivaient depuis des mois, voire des années, dans des conditions effroyables dans un camp de détention mis en place par l’Australie. Ils étaient abrités sous des tentes surpeuplées et moisies, où les gardiens conduisaient régulièrement des fouilles semblables à celles menées en prison, et n’avaient droit qu’à une douche de deux minutes, avant d’être poussés dehors.

Pour ces centaines de personnes qui n’ont aucune chance de quitter cette île pauvre – plus petite qu’un grand nombre des aéroports que j’ai fréquentés –, l’avenir se résume en fait à une détention arbitraire et illimitée. Alors ils craquent, physiquement et émotionnellement. J’ai été amenée à travailler dans de nombreuses zones de conflit à travers le monde au cours des 15 dernières années, mais je n’avais jamais encore vu de tels taux de traumatismes psychiques, d’automutilation et de tentatives de suicide, autant parmi les enfants que parmi les adultes.

Les problèmes de santé ne sont pas traités. J’ai parlé avec des gens qui avaient subi plusieurs crises cardiaques, qui souffraient des graves complications d’un diabète, de problèmes rénaux, de fractures osseuses non soignées et d’infections. Dans la plupart des cas, on leur a simplement fait des tests sanguins et donné du Panadol.

Plus de 1 200 femmes, hommes et enfants venant de pays tels que l’Iran, l’Irak, le Pakistan, la Somalie, le Bangladesh, le Koweït et l’Afghanistan vivaient depuis des mois, voire des années, dans des conditions effroyables dans un camp de détention mis en place par l’Australie.

Anna Neistat, directrice générale chargée des recherches à Amnesty International

Halimeh m’a dit qu’en 2014 on l’a envoyée à Melbourne, où elle a passé quatre mois, entre un camp de détention pour immigrés et un hôpital. « Mon médecin m’a dit qu’il fallait que je me fasse opérer pour mes seins, m’a-t-elle expliqué, les yeux fixés sur l’océan en face de nous. Il m’a dit que je ne pouvais pas retourner [à Nauru], mais les services de l’immigration ont tout de même décidé de m’y renvoyer. » Son état de santé a continué de se dégrader. En 2015, on l’a envoyée en Papouasie-Nouvelle-Guinée pour une endoscopie et une coloscopie, et certains de ses problèmes de santé ont été confirmés mais… elle a de nouveau été renvoyée à Nauru.

Les grosseurs continuent de croître et elle a des écoulements inquiétants des seins, mais l’Australie la prive de traitement médical et aussi d’un examen médical adéquat.

Aussi impensable et inhumain que cela puisse paraître, cette négligence fait manifestement partie de la stratégie en place. Les responsables politiques australiens ont de façon inflexible déclaré qu’ils ne permettront jamais aux réfugiés envoyés à Nauru de s’installer en Australie. « J’ai l’impression que nous sommes des otages, a dit Halimeh. Ils nous font souffrir pour faire un exemple, afin de décourager ceux qui voudraient fuir en Australie. »

Pire encore, Nauru, qui est si loin, est en fait bien plus proche de nous que nous pourrions le penser : des responsables politiques européens de droite tentent de vendre le « modèle australien » de délocalisation du traitement des demandes d’asile en tant que solution pour la «crise » des réfugiés. Sous le prétexte de « sauver des vies », des pays européens ferment déjà leurs frontières, passent des accords avec des États, comme la Turquie, qui ne sont pas en mesure d’offrir aux réfugiés une protection adéquate, et externalisent leurs responsabilités.

Les informations récentes révélant en quoi consiste en réalité le « modèle australien », qui ont été largement reprises en Europe, montrent bien de quoi il retourne. Les centaines de réfugiés parqués dans les prisons australiennes délocalisées ont dès lors de nouveau l’espoir de voir l’Australie enfin respecter ses obligations internationales et leur permettre de s’installer dans un lieu où ils pourront obtenir l’aide dont ils ont besoin et la protection qu’ils méritent.

Pour Halimeh, cela signifie concrètement qu’elle pourrait bénéficier, avant qu’il ne soit trop tard, de l’opération et du traitement dont elle a absolument besoin. Pour les pays européens qui envisagent de recourir à des mesures similaires, cette affaire alerte clairement sur le fait que la peur et les programmes populistes amènent à bafouer des valeurs humanitaires essentielles et le droit international de demander l’asile.

PASSEZ À LACTION 

Demandez au gouvernement australien de mettre fin aux abus commis secrètement à Nauru

Cet article a été initialement publié dans The Guardian Australia.