Des femmes torturées au Mexique. Faits et chiffres + récits

Femmes en prison

Au Mexique, les femmes représentent près de 7 % de la population carcérale dans les prisons fédérales (Comisión Nacional de Seguridad, 2016).

La grande majorité des femmes détenues dans les prisons fédérales sont des primo-délinquantes, incarcérées pour la plupart pour des infractions en relation avec les stupéfiants.

Certaines informations semblent indiquer que la torture et d’autres formes de mauvais traitements sont fréquemment utilisées contre des personnes accusées d’infractions médiatisées relevant de la stratégie de sécurité publique connue sous le nom de « guerre contre la drogue ». Sur les 100 femmes rencontrées par Amnesty International, 33 % avaient été accusées de faire partie de groupes criminels organisés, 23 % d’infractions à la législation sur les stupéfiants, 22 % d’enlèvement et 14 % de détention illégale d’armes à feu.

La population carcérale dans les prisons fédérales est largement composée de personnes issues de familles à faibles revenus. Des données sur le système carcéral fédéral montrent que 60 % des femmes se trouvant en prison n’ont jamais terminé leurs études secondaires (CIDE, 2012).

Dans les cas étudiés par Amnesty International pour ce rapport, la plupart des femmes gagnaient entre 1 000 et 5 000 pesos par mois (entre 70 et 300 dollars américains environ), et certaines beaucoup moins.

Victimes de torture

Amnesty International a recueilli les propos de 100 femmes détenues dans des prisons fédérales, au sujet des actes de torture et d’autres mauvais traitements auxquels elles ont été soumises durant leur arrestation et leur interrogatoire par la police ou les forces armées.

100 ont déclaré avoir subi un harcèlement sexuel ou des violences psychologiques durant leur arrestation ou dans les heures qui ont suivi.

97 ont dit avoir été victimes de violences physiques pendant leur arrestation ou dans les heures qui ont suivi. 

79 ont indiqué avoir été frappées à la tête, 62 à l’estomac ou au thorax, 61 sur les jambes et 28 sur les oreilles (le visage étant délibérément épargné afin d’éviter des blessures visibles).

33 ont signalé avoir été violées par des policiers municipaux, de l’État ou fédéraux, ou par des éléments de l’armée et de la marine. Dans les arrestations menées par des policiers municipaux et de l’État, ainsi que par des membres des forces armées, des viols ont été signalés dans au moins la moitié des cas. Sur les 10 arrestations effectuées par la marine qui sont mentionnées dans le rapport, huit des femmes concernées ont dit avoir été violées lorsqu’elles ont été appréhendées.

66 des femmes ont indiqué qu’elles avaient signalé les faits aux autorités, mais des enquêtes n’ont été ouvertes que dans 22 cas. À la connaissance d’Amnesty International, personne n’a été poursuivi à l’issue de ces enquêtes.

Torture et autres formes de mauvais traitements au Mexique

2 403 – nombre de plaintes pour torture reçues par le parquet fédéral général en 2014.

0 – nombre de procédures dont le parquet fédéral général a pu confirmer l’ouverture à Amnesty International pour 2014 et 2015.

0 – nombre de soldats suspendus de l’armée durant des enquêtes pour « viol » ou « abus sexuels » de 2010 à 2015.

12 110 – nombre de signalements de cas de torture et d’autres formes de mauvais traitements auprès des organes mexicains assurant la fonction de médiateur des droits humains au niveau local et national en à peine un an (2013).

15 – nombre de condamnations pour torture au niveau fédéral depuis 1991 (Commission interaméricaine des droits de l’homme, 2015)

RÉCITS

Verónica Razo, détenue depuis cinq ans, attend l’issue de son procès

Verónica Razo, 37 ans, mère de deux enfants, a été enlevée par des hommes vêtus en civil alors qu’elle marchait le long d’une rue non loin de chez elle, à Mexico le 8 juin 2011.

Ces hommes l’ont emmenée dans un entrepôt de la police fédérale, où elle a été détenue pendant 24 heures et torturée.

Elle a été frappée, s’est vu infliger un simulacre d’étouffement et des décharges électriques, et a été violée à plusieurs reprises par des policiers. Elle a été menacée et contrainte à signer des « aveux ». Après son interrogatoire par des policiers et des membres du parquet, elle s’est effondrée et a été transportée d’urgence à l’hôpital, où elle a été soignée pour de graves palpitations cardiaques.

Les policiers ont affirmé qu’ils avaient arrêté Verónica Razo le lendemain et l’ont accusée d’appartenir à un réseau de kidnappeurs. Cependant, la nuit de son arrestation, sa mère avait déjà signalé sa disparition à des fonctionnaires locaux.

Deux ans après son arrestation, des psychologues du parquet fédéral général ont confirmé que Verónica Razo présentait des symptômes compatibles avec des allégations de torture. Elle a déjà passé cinq ans en prison à attendre l’issue de son procès. La fille de Verónica Razo avait à peine six ans à l’époque de son arrestation, et son fils 12 ans. Ce dernier, désormais âgé de 18 ans, n’est pas en mesure d’étudier à l’université en raison du poids financier que représente pour la famille l’emprisonnement de Verónica. La mère de Verónica a dû quitter sa maison et vendre son magasin du fait des difficultés liées à l’accompagnement de sa fille.

Tailyn Wang a fait une fausse couche dans le bureau du procureur après un passage à tabac par des policiers

Tailyn Wang était enceinte d’environ sept semaines lorsque des agents de la police fédérale sont entrés par effraction à son domicile en février 2014, avant de l’emmener dans des locaux de la police sans mandat d’arrêt. Après avoir été victime de violences physiques et sexuelles prolongées aux mains de la police fédérale, Taylin a perdu son bébé au bureau du procureur à Mexico.

Deux médecins d’État ont procédé à un examen médical alors qu’elle était en détention et, malgré ses blessures, le premier médecin ne l’a pas correctement examinée et n’a pas tenu compte de ses affirmations selon lesquelles elle avait été rouée de coups. Aucun des deux médecins n’a signalé ses allégations de torture et de mauvais traitement.

Taylin Wang n’a reçu aucun médicament pour la douleur et s’est simplement vu remettre quelques feuilles de papier absorbant à glisser dans son pantalon avant d’être emmenée, menottée, à bord d’un avion commercial, puis dans une prison fédérale. Lorsque l’avion a atterri à Tepic, dans le nord-ouest du Mexique, son siège était couvert de sang.

Tailyn a expliqué aux agents pénitentiaires qu’elle avait fait une fausse couche, mais ces derniers se sont contentés de lui crier dessus. Ce n’est que plus tard, en prison et au moins quatre jours après son arrestation, que Taylin a été informée qu’elle était accusée de faire partie d’une bande de ravisseurs et inculpée de crime organisé. En prison, elle a perdu du sang pendant encore cinq jours, sans jamais recevoir de soins médicaux. Tailyn Wang est toujours en prison et attend l’issue de son procès. Bien qu’elle ait signalé il y a plus de deux ans avoir été torturée, elle n’a toujours pas été examinée par un expert médicolégal officiel pour ces actes.

Maria Magdalena Saavedra, décrite « en bonne santé physique » par un médecin de la marine après avoir été violée

Maria Magdalena Saavedra a été enlevée à son domicile par des soldats de la marine armés, le 10 mai 2013 à San Luis Potosí. Les soldats ont fait irruption dans sa chambre et l’ont frappée en lui hurlant des questions. Ils l’ont accusée de contrôler les finances d’un gang de trafiquants de drogue de grande envergure.

Ils lui ont maintenu un sac sur la tête jusqu’à ce qu’elle suffoque et perde connaissance. Puis ils l’ont portée à bord d’une camionnette, ont continué à la frapper et l’ont violée avec des objets. Ils l’ont ensuite amenée dans un bâtiment qui ressemblait selon Magdalena à un poste de police, et lui ont infligé des décharges électriques aux parties génitales et à la bouche. Ils ont trouvé l’adresse de sa fille parmi ses affaires et ont menacé de lui faire du mal. Ils ont torturé Magdalena pendant 20 heures.

Magdalena a ensuite été emmenée au parquet et forcée à signer des « aveux » avec ses empreintes digitales. Durant le trajet vers le bureau du procureur, un soldat est resté à ses côtés et a continué à la frapper. Au parquet, la marine et la police l’ont présentée aux médias comme une criminelle.

Le médecin de la marine, après avoir effectué un examen médical à la suite de son arrestation, a estimé que la détenue était « en bonne santé physique ». Lors de sa propre audience devant un juge quelques jours plus tard, l’état de Magdalena tel que l’a constaté le magistrat était à l’opposé de ce que la marine avait décrit : « la suspecte sanglotait, tendue, déprimée et présentant une anxiété manifeste ». Quand Amnesty International a rencontré Magdalena début 2016, plus de trois ans après son arrestation, des cicatrices étaient encore visibles et elle présentait des signes évidents de traumatisme. Magdalena est toujours en prison et attend l’issue de son procès.

Denise Blanco et Korina Utrera, humiliées en raison de leur homosexualité et violées par des soldats de la marine

Le 27 août 2011, Korina de Jesús Utrera Domínguez, 25 ans, et sa petite-amie, Denise Francisca Blanco Lovato, se trouvaient au domicile de Korina à Tabasco, dans le sud du Mexique, quand des soldats de la marine armés et en tenue de camouflage sont entrés brusquement dans la maison et ont commencé à les frapper et à leur hurler dessus. Les deux femmes ont eu les yeux bandés et ont été emmenées dans une base de la marine, sans qu’un mandat n’ait été présenté. Sur place, elles ont été violées toutes les deux, se sont vu infliger des simulacres d’étouffement et des décharges électriques. Selon Korina, un des marins a essayé de lui mettre son pénis dans la bouche et a hurlé « Allez salope, essaie moi ça ». Quand les soldats l’ont forcée à manger de la nourriture à même le sol, l’un d’entre eux a crié : « Ça suffit ! Elles vont nous faire un procès ! » Denise a également été violée par des marins qui ont enfoncé leurs doigts gantés dans son vagin et lui ont fait subir des décharges électriques sur les parties génitales. Denise a déclaré à Amnesty International que des marins leur ont crié « Putains de lesbiennes ».

Quand, plus de 30 heures après leur arrestation, les deux femmes ont finalement été conduites devant un procureur dans l’État voisin de Veracruz, Korina a été poussée à signer des « aveux » selon lesquels elle reconnaissait son implication dans le crime organisé et des infractions liées aux stupéfiants. Denise a été accusée des mêmes faits. Quand Korina a dit à un médecin de la marine ce que les soldats lui avaient fait, il lui a selon elle répondu : « Ta gueule, ne raconte pas de conneries. » Les deux femmes ont signalé à un juge les actes de torture qu’elles ont subis, mais leurs allégations ont plus tard été écartées par un juge d’appel. Le parquet général a ouvert une enquête sur les actes de torture attribués aux soldats de la marine et, quatre ans plus tard, des experts médicolégaux officiels ont examiné les deux femmes. Un an après ces examens, Denise et Korina n’en connaissent toujours pas les conclusions. Au moment de la rédaction du rapport, les deux femmes se trouvaient toujours en prison, attendant de connaître l’issue de leur procès. Aucun membre de la marine n’a été poursuivi dans cette affaire.