Les incessants bombardements aériens et tirs d’obus des forces gouvernementales syriennes aggravent les souffrances des civils pris au piège d’un siège et d’une crise humanitaire qui s’amplifie dans la Ghouta orientale, écrit Amnesty International dans un rapport rendu public mercredi 12 août.
Intitulé ‘Left to die under siege’: War crimes and human rights abuses in Eastern Ghouta, Syria, le rapport fournit des preuves accablantes de crimes de guerre et considère le siège de la Ghouta orientale par le gouvernement syrien, et les homicides illégaux de ses civils assiégés dans le cadre d’une offensive généralisée et systématique contre la population civile, comme autant de crimes contre l’humanité. Le rapport décrit également la situation de plus de 163 000 personnes qui luttent pour survivre en état de siège, et dénonce les exactions des groupes armés non étatiques dans la région.
« Depuis près de trois ans, la vie des civils de la Ghouta orientale est une tragédie. Piégés et encerclés par les combats sur tous les fronts, ils n’ont aucun moyen d’échapper aux attaques aériennes et aux pilonnages illégaux des forces gouvernementales. Leur situation est aggravée par la diminution des réserves de nourriture, d’eau potable et d’autres ressources essentielles. La vie quotidienne est devenue pour beaucoup une longue succession de difficultés et de souffrances », a déclaré Saïd Boumedouha, directeur par intérim du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International.
Des immeubles résidentiels détruits par une attaque aérienne du gouvernement syrien en février 2015, à proximité de la mosquée Taha, dans le quartier de Khorshid, à Damas. © Lamba Media Production. Syria Team.Les crimes de guerre des forces gouvernementales
Entre janvier et juin 2015, les forces gouvernementales syriennes ont lancé au moins 60 attaques aériennes dans la Ghouta orientale, tuant ainsi quelque 500 civils. Le rapport recense 13 frappes aériennes et d’autres attaques assimilables à des crimes de guerre, qui ont tué 231 civils et seulement trois combattants. Dans 10 cas, aucune cible militaire n’a pu être identifiée dans le voisinage, ce qui implique que les attaques visaient directement les civils ou, tout au moins, étaient pratiquées sans discernement. Dans les trois autres cas, les attaques semblaient disproportionnées ou aveugles.
Un grand nombre de civils se trouvaient sur les lieux publics visés, notamment un marché bondé, une école avec des élèves à proximité et le voisinage d’une mosquée, peu après la prière du vendredi.
Une analyse des images prises par satellite montre que les attaques aériennes menées entre les 28 décembre et le 10 février ont complètement détruit les zones habitées situées dans les environs de la mosquée de Taha à Douma. Un témoin affirme avoir vu neuf corps dans les rues proches de la mosquée, après un raid aérien du 9 février. Il a ajouté que des bâtiments résidentiels, un hôpital de campagne souterrain et une école ont également été détruits.
Le même jour, le même témoin a assisté à une nouvelle frappe sur une autre mosquée de Douma. Il a expliqué à Amnesty International comment des familles déplacées avec enfants ont été tuées lors de l’attaque lancée sur la mosquée al Ansar à Douma, où elles avaient cherché refuge. « On est à l’abri nulle part », a-t-il dit.
Le gouvernement syrien vise également les marchés. « C’était un désastre », a dit un témoin au lendemain d’une attaque sur le marché de Kafr Batna, le 5 février. Selon des habitants, l’attaque a eu lieu à 13 h 00, l’heure de fréquentation maximale, et a également détruit deux immeubles résidentiels à proximité. Il n’y avait aucune trace d’une cible militaire à proximité.
Dans une attaque similaire, le 25 janvier, des chasseurs de l’armée de l’air syrienne ont bombardé un marché à Hamouria peu après la prière du vendredi, alors que de nombreuses personnes sortaient d’une mosquée voisine pour acheter du sucre vendus ce jour-là à prix réduit. Plus de 40 civils ont été tués. « Je ne voyais que du sang. C’était horrible. Je n’avais jamais vu ça », a déclaré un témoin.
« Le moment et le lieu de ces attaques semblent délibérément choisis pour occasionner un maximum de dommages ou de pertes civiles. Les forces du gouvernement syrien tentent de plonger la population dans la terreur. Toutes les attaques contre des civils et des infrastructures ou bâtiments civils doivent être arrêtées », a déclaré Saïd Boumedouha.
À plusieurs reprises, les forces gouvernementales syriennes ont également procédé à des tirs imprécis de roquettes et de mortiers ou encore lancé des bombes non guidées dans des zones peuplées, dans une série d’attaques directes et aveugles contre des civils équivalant à des crimes de guerre.
En bombardant de manière répétée des zones fortement peuplées dans une série d’attaques directes, aveugles et disproportionnées, et en assiégeant illégalement des civils, les forces gouvernementales syriennes ont commis des crimes de guerre et fait preuve d’un mépris effroyable pour la vie des civils de la Ghouta orientale.
Saïd Boumedouha, directeur par intérim du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International
« En bombardant de manière répétée des zones fortement peuplées dans une série d’attaques directes, aveugles et disproportionnées, et en assiégeant illégalement des civils, les forces gouvernementales syriennes ont commis des crimes de guerre et fait preuve d’un mépris effroyable pour la vie des civils de la Ghouta orientale », a déclaré Saïd Boumedouha.
Vivre en état de siège, lutter pour survivre
Outre les bombardements quotidiens, les civils de la Ghouta orientale subissent une dégradation continue de leurs conditions de vie. Les résidents ont un accès limité à la nourriture, à l’eau potable ou aux soins médicaux, ainsi qu’à des ressources essentielles comme l’électricité et le carburant. Les points de contrôle des forces gouvernementales ou des groupes armés restreignent leurs déplacements à l’intérieur ou vers l’extérieur de la Ghouta orientale. Les forces gouvernementales ont également refusé aux agences des Nations Unies et à d’autres acteurs humanitaires un libre accès à la zone.
Plus de 200 personnes sont mortes de faim ou par manque de soins médicaux adéquats dans la Ghouta orientale entre le 21 octobre 2012 et le 31 janvier 2015, selon la Société médicale syro-américaine.
Un nouveau marché noir, une « économie de guerre », a vu le jour : des contrebandiers et des membres de groupes armés ou du gouvernement en profitent au détriment des civils. Les forces gouvernementales syriennes confisquent systématiquement la nourriture aux points de contrôle, afin de contraindre les habitants à acheter des produits au marché noir. Ces produits coûtent souvent 10 fois plus cher que dans le centre de Damas.
Marwan, un résident local de Jesrine, a dit qu’il avait perdu plus de 15 kg en raison du siège. Il s’est privé de nourriture pendant des jours afin que ses quatre enfants et sa femme puissent manger une fois par jour. « Que doit-il arriver pour que les Nations unies fassent quelque chose ? La famine est-elle la seule réponse ? », a-t-il demandé.
« Les forces gouvernementales utilisent la famine comme arme de guerre, en violation flagrante du droit international. Restreindre l’accès à la nourriture et aux ressources de base nécessaires à la survie est un acte cruel équivalant à une punition collective de la population civile », a déclaré Saïd Boumedouha.
Les résidents ont aussi indiqué que les combattants de l’Armée de l’Islam (Jaish al Islam) et leurs familles avaient de la nourriture en abondance, alors que les civils devaient tout payer à des prix exorbitants.
Le rapport révèle que les groupes armés non étatiques, en particulier l’Armée de l’Islam, se sont rendus coupables d’un ensemble de violations, notamment des enlèvements, des détentions arbitraires et des bombardements aveugles. Leur utilisation d’armes imprécises telles que des mortiers et des roquettes Grad dans des régions peuplées constitue un crime de guerre.
Les civils de la Ghouta orientale sont essentiellement pris entre deux parties hostiles intéressées par leur seul profit.
Saïd Boumedouha
« Les violations généralisées du gouvernement syrien n’excusent pas le comportement déplorable de l’Armée de l’Islam qui a également pratiqué des attaques sans discrimination, n’a pas protégé les civils et les a privés d’accès à la nourriture ou aux soins médicaux. Les civils de la Ghouta orientale sont essentiellement pris entre deux parties hostiles intéressées par leur seul profit », a déclaré Saïd Boumedouha.
L’impérieuse nécessité d’une action internationale
Il y a plus d’un an, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté deux résolutions visant à alléger les souffrances des civils de la Syrie, en appelant toutes les parties au conflit à cesser les attaques contre les civils, à lever tous les sièges, à accepter sans restriction l’aide humanitaire et à libérer les personnes arrêtées arbitrairement. Jusqu’à présent, cependant, ces résolutions n’ont pas apaisé la souffrance de la plupart des civils.
« Le but de ces résolutions était précisément de protéger les civils et d’éviter une catastrophe humanitaire à grande échelle. Le Conseil de sécurité des Nations unies reste passif, malgré ses engagements à prendre de nouvelles mesures pour assurer l’application des résolutions, alors que celles-ci continuent d’être bafouées ouvertement et que la crise empire. Ces mesures tardent vraiment à venir », a déclaré Saïd Boumedouha.
« Les auteurs de crimes relevant du droit international dont nous sommes témoins en Syrie ne doivent plus pouvoir échapper à la justice. Tant que la Russie empêchera le Conseil de sécurité de déférer la situation syrienne à la procureure de la Cour pénale internationale, la justice restera une perspective lointaine », a déclaré Saïd Boumedouha.
Le Conseil de sécurité doit imposer de toute urgence des sanctions ciblées contre toutes les parties au conflit en Syrie responsables de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, ainsi qu’un embargo sur les armes au gouvernement syrien. Le gouvernement syrien doit autoriser un accès sans entrave à la Commission d’enquête internationale indépendante sur la Syrie, ainsi qu’à d’autres observateurs des droits humains, dont Amnesty International.