Les exécutions en Iran adressent un message effrayant

Les récents événements en Iran font craindre que les autorités n’utilisent une nouvelle fois les exécutions comme un instrument visant à étouffer l’agitation politique, intimider la population et adresser un message de non-tolérance vis-à-vis de la dissidence. On a constaté un accroissement brutal du nombre d’exécutions lors des manifestations massives dénonçant le résultat de l’élection présidentielle de 2009. Bien que nombre d’exécutions correspondent à des infractions pénales commises avant ces troubles, elles adressent un message effrayant à ceux qui ont participé aux manifestations. Cent douze personnes ont été mises à mort au cours des huit semaines entre le scrutin de juin et la réinvestiture du président Mahmoud Ahmadinejad début août – près d’un tiers du total des exécutions en 2009. Sur l’ensemble de l’année 2009, pas moins de 388 prisonniers ont été exécutés en Iran – chiffre record enregistré par Amnesty International ces dernières années. Les chiffres recueillis par diverses organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International, laissent à penser que le nombre annuel d’exécutions a presque quadruplé depuis l’arrivée au pouvoir du président Mahmoud Ahmadinejad il y a cinq ans. Bon nombre des personnes exécutées n’ont pas bénéficié de procès équitables.« La constante augmentation du nombre d’exécutions à une période où l’Iran connaît les plus importantes émeutes populaires depuis la révolution islamique de 1979, ainsi que les nombreuses déclarations de responsables de l’État menaçant les manifestants d’être exécutés, témoignent de ce que les autorités iraniennes se servent une nouvelle fois de la peine de mort pour réduire au silence l’opposition et museler la dissidence », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.LES PROCÈS POUR L’EXEMPLEUne série de procès pour l’exemple a abouti à la pendaison de deux hommes en janvier. Il s’agit des premières exécutions pour lesquelles les autorités ont établi un lien direct avec les troubles actuels, bien qu’il soit plus tard apparu que les deux hommes se trouvaient déjà derrière les barreaux lors de l’élection présidentielle de juin 2009. Ils ont notamment été reconnus coupables de mohareb (inimitié à l’égard de Dieu). Nasrin Sotoudeh, avocat de l’un des deux hommes, Arash Rahmanipour, a déclaré à Reuters : « Une mise à mort aussi rapide et précipitée ne saurait avoir qu’une seule explication […] Le gouvernement tente d’empêcher le mouvement d’opposition de gagner de l’ampleur en usant de la peur et de l’intimidation. » L’inculpation de mohareb, infraction définie en termes vagues, est de plus en plus invoquée. Selon Philip Alston, rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, cette inculpation est imposée « pour un large éventail de crimes, souvent assez ambigus et généralement à caractère politique ». Au moins neuf autres personnes, condamnées à mort à la suite des manifestations de masse qui ont démarré à l’été 2009 et se poursuivaient à la fin de l’année, se trouveraient dans l’antichambre de la mort. Les récents commentaires du procureur de Téhéran Abbas Jafari Dowlatabadi n’ont fait qu’attiser les doutes quant aux motifs politiques sous-tendant les condamnations. En faisant référence à la condamnation à mort d’un groupe de manifestants, il a affirmé : « Aujourd’hui, le système islamique a fermement remis à leur place ses opposants et ses détracteurs. Les Iraniens ne permettront plus que de tels événements se produisent dans leur pays. »LES EXÉCUTIONS SOUS LES GOUVERNEMENTS PRÉCÉDENTSCe n’est pas la première fois que les dirigeants iraniens sont accusés de se servir des exécutions sommaires ou de la peine de mort comme des instruments de contrôle politique. Les mises à mort étaient abondamment pratiquées sous le régime du Shah, ainsi qu’au début de la création de la République islamique, comme moyen d’éliminer les ennemis politiques et d’éradiquer l’opposition. Dans les années 1970, le Shah, en perte de popularité, a fait procéder à l’arrestation massive d’opposants politiques pour éliminer ses ennemis politiques et supprimer toute opposition. À l’époque, Amnesty International avait critiqué les autorités iraniennes pour « le nombre extrêmement élevé d’exécutions » faisant suite aux sentences prononcées au terme de procès iniques devant des tribunaux militaires.En 1979, plus de 600 personnes ont été sommairement fusillées dans les mois qui ont suivi la révolution islamique. Il s’agissait pour beaucoup d’anciens ministres, hauts responsables ou officiers de l’armée ayant servi sous le régime du Shah. Certains ont été exécutés au terme de procès manifestement inéquitables n’ayant duré que quelques minutes. En 1982, Amnesty International avait recensé bien plus de 4 000 exécutions depuis le début de la révolution.Toutefois, le plus grand nombre d’exécutions sommaires a été enregistré en 1988. Quelque 5 000 personnes – dont de nombreux prisonniers politiques – seraient morts lors du « massacre des prisons » entre 1988 et 1989, dans ce qu’Amnesty International a décrit à l’époque comme « le massacre délibéré d’opposants politiques ». Nombre d’entre eux étaient membres de l’Organisation iranienne des moudjahidin du peuple (OIMP), mouvement d’opposition accusé d’avoir collaboré avec l’Irak de Saddam Hussein durant la guerre qui a opposé huit années durant l’Iran à l’Irak. D’autres appartenaient à des partis politiques laïcs de gauche considérés comme une menace pour le système islamique iranien. Bien souvent, leurs « procès » se résumaient à quelques questions posées dans leur cellule par des membres de la « Commission de la mort » – ainsi surnommée par les prisonniers. LA RECRUDESCENDE DE LA PEINE DE MORTLe nombre des exécutions a diminué dans les années 1990. (Les condamnations à mort prononcées au lendemain des protestations étudiantes en 1999 n’ont pas été appliquées.) Il a remonté en flèche après l’élection du président Ahmadinejad en 2005, qui s’est engagé à renforcer l’ordre public, à prendre des mesures contre « les bandits et les vandales » et à refonder l’Iran sur les valeurs originelles de la révolution islamique.En outre, on a constaté une hausse du nombre d’exécutions de mineurs délinquants – condamnés à mort pour des crimes commis alors qu’ils étaient âgés de moins de 18 ans. L’Iran compte parmi les rares pays du globe qui procèdent à de telles exécutions, bafouant clairement le droit international. D’après le rapporteur spécial Philip Alston, « aucun État ne défend réellement ce type d’exécutions en tant que question de principe. Elles sont interdites, sans conteste. Pourtant, l’Iran continue de condamner, mais aussi d’exécuter, des mineurs en grand nombre. » Déjà avant les troubles de l’été 2009, des signes annonçaient que le gouvernement du président Ahmadinejad recourait de plus en plus à la peine de mort en vue d’enrayer les protestations dans les régions où vivent d’importantes minorités ethniques. Ces dernières années, les attentats à l’explosif commis dans la province du Khuzestan, majoritairement arabe, et dans les zones à majorité baloutche de la province de Sistan-e Baloutchistan ont donné lieu à une vague d’exécutions, souvent publiques. Des extraits montrant des accusés en train de passer aux « aveux », semble-t-il sous la torture ou d’autres formes de contrainte, ont été retransmis par la télévision d’État.Ehsan Fattahian, arrêté en 2008 et accusé d’appartenir à un groupe d’opposition kurde, a été exécuté en novembre 2009. Dans une lettre écrite deux jours avant d’être pendu, il a expliqué que sa condamnation initiale avait été alourdie parce qu’il avait refusé d’être filmé en train d’avouer des crimes qu’il n’avait pas commis. Il a estimé que cette mesure résultait « de pressions extérieures au système ‎judiciaire, émanant notamment des forces politiques et de sécurité ». Depuis les manifestations de 2009, le nombre de Kurdes iraniens condamnés à mort pour des délits politiques n’a cessé de croître.Le rapporteur spécial Philip Alston a ajouté : « Le droit international énonce sans ambiguïté qu’une sentence de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves. J’ai démontré très clairement que cette formulation faisait référence à des crimes qui aboutissent à la mort donnée intentionnellement – un homicide – et que les crimes moins graves ne sauraient être sanctionnés par ce châtiment. Là encore, c’est une interdiction que les tribunaux et le gouvernement iraniens négligent ou ignorent systématiquement. »Des centaines, voire des milliers de personnes se trouvent actuellement dans le quartier des condamnés à mort en Iran. Leur calvaire dure parfois des années. Amnesty International s’est entretenue avec un prisonnier qui a passé plusieurs années dans l’antichambre de la mort avant que sa condamnation ne soit finalement commuée. Lors d’une conversation téléphonique depuis la prison, il a expliqué :« Savez-vous ce que c’est que d’être condamné à mort ? Savez-vous ce que c’est que de voir votre époux ou épouse, vos parents, vos frères, vos sœurs et vos proches informés que, ce soir, un proche parent va être exécuté ? Pouvez-vous percevoir l’horreur et le choc que représente une telle nouvelle ? Pour ma part, deux de mes proches parents et nos familles sont passés par là – pas pendant une nuit ou deux, ni même quelques nuits, mais pendant plus de 2 000 nuits. »