Sri Lanka : les personnes déplacées sont prises au piège entre l’armée et la mousson qui approche

Deux cent cinquante mille Sri-Lankais retenus dans ce qui s’avère être, de fait, des camps de détentionrisquent d’être plongés dans un désastre humanitaire à l’heure où les pluies de la mousson menacent d’inonder les camps, a déclaré Amnesty International jeudi 8 octobre.

Les autorités n’ont toujours pas mis en place les services essentiels dans les camps établis par le gouvernement à la fin du conflit dans le district de Vavuniya.

Plusieurs mois après leur création, ces camps du nord-est du pays sont toujours surpeuplés et dépourvus d’installations sanitaires de base ; lors des fortes pluies de septembre, des torrents d’eau ont déferlé entre les tentes, et les habitants des camps se déplaçaient au milieu des immondices rejetés par les égouts.

« Les personnes qui vivent dans ces camps cherchent désespérément à en partir, a déclaré Yolanda Foster, spécialiste du Sri Lanka à Amnesty International, en contact avec des proches de personnes se trouvant dans un camp. Le gouvernement doit veiller à ce que les personnes déplacées soient traitées avec dignité. Elles ont droit à une protection et doivent être consultées pour dire si elles souhaitent rentrer chez elles ou être réinstallées ailleurs. »

« Assurer la protection, l’assistance et le retour des personnes n’est pas faire acte de charité, c’est respecter un droit fondamental.»

Une femme qui s’est récemment enfuie du camp de Chettikulam a raconté à Amnesty International que des femmes avaient dû mettre leur enfant au monde devant des personnes étrangères, sans aucune intimité.

« Le personnel médical n’est présent dans les camps qu’entre 9 heures et 17 heures, a déclaré la fugitive. Les gens commencent à faire la queue pour obtenir une aide médicale dès les premières heures du jour… comment voulez-vous qu’une femme enceinte fasse la queue debout pendant des heures. Si la guerre est finie, pourquoi le gouvernement ne laisse-t-il pas ces gens sortir ? »

Selon des informations parvenues à Amnesty International, l’armée bloquerait toute tentative d’ouverture des camps par l’administration civile.

Depuis la fin de la guerre en mai 2009, des milliers de personnes détenues dans des camps ont été soumises à une procédure de « filtrage » mise en place par les forces de sécurité.

Si cette procédure de filtrage est nécessaire pour s’assurer que des membres des Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE) ne figurent pas parmi les déplacés, elle doit néanmoins suivre certaines règles et ne pas être utilisée comme prétexte à un châtiment collectif.

Il existe des centres de détention séparés pour environ 10 000 ex-combattants des LTTE. Le gouvernement a fait un large écho aux libérations qui ont eu lieu récemment, mais selon des informations reçues par Amnesty International, beaucoup de ces libérations ne seraient en fait que des transferts vers d’autres camps où les personnes déplacées pourraient être soumises à une nouvelle procédure de filtrage par les autorités locales.

Amnesty International s’est inquiétée à plusieurs reprises du manque de contrôle indépendant et du manque de clarté concernant les responsabilités de la procédure de filtrage.

Le gouvernement sri-lankais doit impliquer les personnes déplacées elles-mêmes dans les projets de retour ou de réinstallation et favoriser l’aide que peuvent apporter les organisations humanitaires indépendantes dans cette perspective.

« Le rétablissement de la liberté de mouvement est désormais essentiel. La communauté internationale et le gouvernement sri-lankais ne peuvent ignorer plus longtemps les voix des prisonniers de ces camps qui demandent l’autorisation d’en partir », a conclu Yolanda Foster.

Complément d’information

Selon les chiffres fournis par le gouvernement, plus de 409 000 personnes ont été déplacées par les affrontements entre l’armée sri-lankaise et les Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE). Au moins 280 000 d’entre elles ont dû quitter des zones auparavant contrôlées par les LTTE. Un afflux considérable de population fuyant les combats pour se réfugier dans les zones contrôlées par le gouvernement a eu lieu à partir de mars 2009.

Les personnes déplacées, parmi lesquelles se trouvent au moins 50 000 enfants, sont logées dans 41 camps répartis sur quatre districts. La majorité sont dans le district de Vavuniya, où le plus grand camp est celui de Manik Farm.

Lorsque le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a visité certains camps en mai, il a déclaré : « J’ai voyagé dans le monde entier et visité des endroits similaires, mais je n’ai jamais vu de scènes aussi effroyables. »

Bien que certains progrès aient été réalisés dans la satisfaction des besoins essentiels, il reste encore beaucoup à faire en matière de droit à la santé, à la nourriture et à l’eau, ainsi que pour réunir les familles et permettre aux personnes d’entrer en contact avec leurs proches.

Amnesty International a également demandé au gouvernement du Sri Lanka de mettre fin aux restrictions de la liberté de mouvement, de veiller à ce que les camps soient réellement de nature civile et dirigés par des autorités civiles plutôt que sous la surveillance de l’armée, et de permettre sans délai ni restrictions aux organisations et observateurs nationaux et internationaux, y compris aux organismes d’aide humanitaire, d’y accéder afin de suivre la situation et empêcher de ce fait que de nouvelles violations des droits humains ne soient commises.