Le Sri Lanka condamne un journaliste à vingt ans de prison pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression

Lundi 31 août, une haute cour du Sri Lanka a condamné le journaliste Jayaprakash Sittampalam Tissainayagam à vingt ans de réclusion pour avoir écrit et publié des articles critiquant la façon dont les autorités traitaient les civils tamouls sri-lankais affectés par la guerre. La cour a estimé que ces articles incitaient à la « haine raciale » et encourageaient le terrorisme.

Amnesty International a indiqué qu’elle considérait J. S. Tissainayagam comme un prisonnier d’opinion car il n’a fait qu’user de son droit à la liberté d’expression dans l’exercice de sa profession.

J. S. Tissainayagam est le premier journaliste sri-lankais à avoir été officiellement inculpé (et maintenant condamné) pour ses écrits en vertu de la Loi relative à la prévention du terrorisme (PTA).

Ce jugement intervient alors que les journalistes sri-lankais font l’objet de pressions accrues. Plus de 30 professionnels des médias ont été tués au Sri-Lanka depuis 2004. De nombreux autres ont été agressés, enlevés, menacés ou contraints à l’exil. D’après certains journalistes sri-lankais, les autorités sont responsables de nombre de ces violations et ne sont pas intervenues pour protéger des journalistes contre d’autres atteintes à leurs droits.

J. S. Tissainayagam a été arrêté en mars 2008 et maintenu en garde à vue durant cinq mois avant d’être inculpé. Cet homme et deux de ses collègues se sont finalement vu reprocher d’avoir porté atteinte à la réputation de l’État (charge abandonnée par la suite) et d’avoir incité à la haine raciale et ethnique à travers des textes publiés dans le North East Herald, un magazine mensuel qui n’a eu qu’une courte durée de vie. J. S. Tissainayagam a également été accusé d’avoir collecté des fonds pour ce magazine en vue de faciliter la réalisation de buts terroristes.

Le droit à la liberté d’opinion et d’expression est protégé par le droit international et reconnu par la Constitution sri-lankaise. Les autorités sri-lankaises ont utilisé de manière abusive la Loi relative à la prévention du terrorisme et les règlements d’exception pour faire taire une voix critique et violer le droit de J. S. Tissainayagam à la liberté d’opinion et d’expression.

L’acte d’inculpation de cet homme était fondé sur des extraits de deux articles exprimant des vues critiques sur le traitement réservé par les autorités aux civils tamouls affectés par le conflit armé. En juillet 2006, un éditorial intitulé « Garantir la sécurité des Tamouls maintenant définira les futures politiques relatives au Nord-Est » se concluait ainsi : « Il est relativement évident que les autorités ne vont leur offrir aucune protection. En fait, les principaux auteurs des homicides, ce sont les forces de sécurité de l’État. »

Un second article, publié en novembre 2006, évoquait la situation humanitaire dans la ville de Vaharai (est de Sri-Lanka), où, dans le contexte du conflit armé, des attaques étaient menées contre des zones civiles. Il accusait les autorités d’affamer les civils et de les mettre en danger en vue d’atteindre des objectifs militaires politiques et stratégiques.

L’accusation a également mis en avant, à titre de preuve, des « aveux » que J. S. Tissainayagam aurait faits en garde à vue. Celui-ci affirme qu’il a été torturé par la police et que ces « aveux » lui ont été extorqués sous la contrainte. La cour a estimé qu’il s’agissait d’éléments de preuve recevables. Le Sri Lanka recourt depuis longtemps à la torture et aux autres formes de mauvais traitements à l’égard des personnes privées de liberté. Aux termes de la Loi relative à la prévention du terrorisme, la charge de la preuve incombe à l’accusé, qui doit démontrer que ses déclarations ont été arrachées sous la contrainte ou la torture.

J. S. Tissainayagam a été appréhendé le 7 mars 2008 à Colombo par le Service d’enquête sur le terrorisme (TID) de la police sri-lankaise. Il était allé demander des renseignements au TID au sujet de l’arrestation, la veille, de deux de ses collègues, V. Vallarmathy et son mari B. Jasiharan, imprimeur et propriétaire du bâtiment qui hébergeait les bureaux d’Outreach Sri Lanka, un site web dont J. S. Tissainayagam était le responsable. K. Wijayasinghe, un reporter qui avait accompagné J. S. Tissainayagam au TID, a été arrêté en même temps que lui. Udayan, responsable graphique du site web, et G. Gayan Lasantha Ranga, cameraman vidéo, ont également été appréhendés séparément le 7 mars.

Après avoir été sollicitée à de nombreuses reprises par la famille de J. S. Tissainayagam, la police a finalement confirmé qu’elle avait procédé à son arrestation et à celle des autres personnes parce qu’elle les soupçonnait d’être des membres des Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE). Tôt dans la matinée du 8 mars, des agents du TID ont fait une descente au domicile de J. S. Tissainayagam, effectué une perquisition sans mandat et saisi un exemplaire du Northeastern Monthly Magazine.

K. Wijayasinghe, G. Gayan Lasantha Ranga et Udayan ont été libérés sans inculpation le 19 mars 2008, jour où J. S. Tissainayagam a formé un recours en vertu des règles protégeant les droits fondamentaux devant la Cour suprême, arguant que ses droits, garantis par la Constitution, de ne pas être soumis à la torture ni à une arrestation ou une détention arbitraire et de bénéficier d’un traitement équitable et d’une protection égale au regard de la loi avaient été bafoués.

J. S. Tissainayagam et ses coaccusés ont été inculpés en août 2008 de violations présumées de la Loi relative à la prévention du terrorisme (PTA) et des règlements d’exception. La PTA avait été suspendue à la suite de l’accord de cessez-le-feu conclu entre le gouvernement et les LTTE en février 2002. En poursuivant J. S. Tissainayagam pour des articles et des activités remontant à 2006, le ministère public a appliqué cette loi rétroactivement.

Les autorités sri-lankaises ont abandonné la charge d’« atteinte à la réputation de l’État » le 9 septembre 2008 mais ont retenu d’autres charges liées à la direction et l’impression du magazine ainsi qu’aux collectes de fonds destinées à le financer. B. Jasiharan a été inculpé d’avoir collaboré avec J. S. Tissainayagam pour promouvoir le terrorisme. Son épouse, V. Vallarmathy, a été inculpée de complicité avec lui dans ces agissements.

Lundi 31 août 2009, Deepali Wijesundara, juge de la Cour suprême, a rendu sa décision. Elle a estimé que J. S. Tissainayagam était coupable d’avoir écrit des articles destinés à créer des tensions au sein de la population et d’avoir collecté des fonds pour un magazine dont les articles enfreignaient la Loi relative à la prévention du terrorisme. L’avocat de J. S. Tissainayagam a exprimé son intention de faire appel.

Amnesty International a dénoncé ce jugement, estimant qu’il s’agissait d’une violation directe du droit de J. S. Tissainayagam à la liberté d’expression et, plus généralement, d’une atteinte à la liberté de la presse au Sri Lanka. L’organisation a engagé les autorités à libérer immédiatement cet homme et ses collègues et à cesser de recourir à la loi antiterroriste pour étouffer l’opposition pacifique.