En Syrie, il est dangereux d’exprimer ses opinions

Il faut du courage pour défendre les droits humains ou une cause politique en Syrie, car le gouvernement ne tolère aucune forme de dissidence. En vertu de l’état d’urgence proclamé il y a quarante-cinq ans, les forces de sécurité sont dotées de vastes pouvoirs en matière d’arrestation et de détention, qu’elles utilisent contre ceux qui osent défendre ouvertement les droits humains ou s’opposer aux autorités. Une juridiction spéciale, la Cour suprême de sûreté de l’État, a été créée en 1968 dans le cadre de l’état d’urgence pour juger les personnes qui expriment des opinions divergentes ou qui sont accusées d’atteintes à la sécurité de l’État. La Cour a condamné des centaines d’individus à des peines d’emprisonnement, mais ses procédures sont contraires aux règles d’équité les plus élémentaires. Les personnes qui comparaissent devant la Cour sont souvent des membres de partis politiques interdits, d’organisations de défense des droits humains ou de groupes de la société civile, ou d’autres personnes ayant pu exprimer pacifiquement des opinions différentes de celles des autorités. Elles sont souvent reconnues coupables, sur la base d’accusations dénuées de fondement, d’infractions définies en termes vagues et donnant lieu à une interprétation très large – par exemple appartenance à une organisation terroriste, exposition de la Syrie à une menace d’actes hostiles, affaiblissement du sentiment nationaliste, opposition aux objectifs de la Révolution ou incitation aux luttes de factions. Fateh Jamus a été reconnu coupable de terrorisme alors qu’aucun élément de preuve n’a été présenté au tribunal pour démontrer qu’il ait jamais recouru à la violence ou prôné son usage. Fateh Jamus et plus de 20 autres individus ont été incarcérés pendant au moins dix ans avant d’être jugés dans les années 1990. Ils faisaient partie des quelque 1 000 personnes arrêtées pour leur participation présumée aux activités du Parti du travail communiste (interdit). Fateh Jamus a finalement été libéré en 2000, trois ans avant l’expiration de sa peine de quinze ans d’emprisonnement. Muhammad Zammar a été détenu sans inculpation pendant presque cinq ans avant d’être condamné en 2007, en l’absence de toute preuve, pour appartenance au parti interdit des Frères musulmans. La Cour suprême de sûreté de l’État n’est pas indépendante. Dans les faits, elle est placée sous le contrôle du pouvoir exécutif et fonctionne parallèlement aux juridictions pénales ordinaires. Ses magistrats sont tous membres du parti Baas, au pouvoir, et sont nommés sur recommandation du ministre de l’Intérieur. Les détenus et les inculpés ne peuvent communiquer que de façon limitée avec un avocat et leurs échanges sont rarement confidentiels. Les inculpés n’ont pas le droit de rencontrer un avocat pendant leur détention avant leur procès et ils ne font généralement la connaissance de leur défenseur qu’à l’ouverture de leur procès, en quelques minutes à peine. Les procès sont en principe fermés au public. Les personnes jugées par la Cour ne sont pas autorisées à faire appel de leur condamnation et de leur peine devant un tribunal supérieur, ce qui est contraire aux normes internationales relatives à l’équité des procès. « Les violations n’affectent pas seulement les détenus, [elles ont aussi des conséquences sur] leur famille et leur avocat », déclare Razan Zeitouneh, une avocate syrienne spécialisée dans les droits humains qui s’est vu interdire en novembre 2005 par le président de la Cour suprême de sûreté de l’État de travailler dans cette juridiction, à la suite d’un différend au cours duquel le magistrat l’aurait également insultée. La Cour, explique-t-elle, « viole les droits de la défense et le droit de toute personne reconnue coupable de faire appel ou de contester la peine, car ses jugements sont définitifs […] Elle ne suit pas les procédures pénales applicables aux juridictions ordinaires [et] ne respecte pas le principe de séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire. » Même après la libération, « certaines choses vous poursuivent jusqu’à la mort, ajoute Fateh Jamus. Vous n’avez pas le droit de retourner au travail et de recevoir une indemnisation et vous êtes soumis à une interdiction de quitter le pays. » La Cour suprême de sûreté de l’État contribue à l’impunité qui règne en Syrie : elle s’abstient systématiquement d’enquêter sur les nombreuses déclarations des accusés qui affirment avoir été torturés en détention avant leur procès et pendant leur interrogatoire et avoir « avoué » sous la contrainte. Comme le dit Fateh Jamus, « le fait qu’un individu ait pu subir des tortures dans des centres d’interrogatoire par exemple n’est jamais pris en compte. [La Cour] n’accorde aucune attention à cette question. Les déclarations recueillies et les enquêtes menées par les organes de sécurité jouent un grand rôle dans les jugements prononcés contre les détenus. » Amnesty International a appelé à de multiples reprises les autorités syriennes à mettre fin aux procès inéquitables devant la Cour suprême de sûreté de l’État. À l’approche du quarante-cinquième anniversaire, le 8 mars, de la proclamation de l’état d’urgence en Syrie, Amnesty International demande une nouvelle fois au président Bachar el Assad de réformer en profondeur ou de supprimer la Cour suprême de sûreté de l’État, et de veiller à ce que les tribunaux du pays respectent les obligations contractées par la Syrie en vertu du droit international.