Bodo, Nigeria. Les 55 millions de livres sterling versés par Shell à titre d’indemnisation changent le cours des choses

Depuis que deux énormes fuites de pétrole ont détruit la vie des habitants de Bodo, au Nigeria, les militants d’Amnesty n’ont cessé de soutenir la population locale dans son combat pour obtenir justice.

Six ans plus tard, nous avons gagné : Shell a versé une indemnisation de 55 millions de livres sterling à la collectivité et aux habitants en janvier. Nous nous sommes rendus sur place pour constater les effets de ce dédommagement et déterminer les mesures nécessaires pour la suite.

Alors que notre voiture prend le dernier virage de la route poussiéreuse qui mène à Bodo au travers d’une végétation luxuriante, je suis très enthousiaste à l’idée de revenir ici. Cette petite localité est à moins de deux heures de route de la grande ville industrielle de Port Harcourt, dans le sud-est du Nigeria. Pourtant, on se croirait dans un tout autre monde.

Bodo se trouve en pays ogoni, une zone rurale qui occupe une petite partie de la région du delta du Niger. Ses habitants y vivent de la pêche et de l’élevage depuis des siècles. Ou plutôt ils en vivaient, jusqu’à ce que le pétrole ne bouleverse leur mode de vie.

Amnesty International a été d’un soutien sans faille pour les habitants de Bodo.

Sylvester Kobara, président du conseil des chefs de Bodo
La visite à Bodo la plus joyeuse d’Amnesty International, le 11 mars 2015. De gauche à droite : Patricia Barima Bakel, le chercheur Mark Dummett, le pasteur Christian Lekoya Kpandei, le chargé de campagne Joe Westby, Beatrice Vimonge et John Barima Bakel.

L’argent versé à titre d’indemnisation porte ses fruits

Ce n’est pas ma première visite. Amnesty suit de près la situation de cette localité depuis que du pétrole a commencé à jaillir de deux oléoducs endommagés pour se déverser dans les eaux et sur les terres environnantes – une première fois en août 2008, puis une seconde fois quatre mois plus tard.

Il s’agit de loin de ma visite la plus joyeuse. Pour la première fois en sept ans, les habitants de Bodo semblent reprendre le cours de leur vie.

Aujourd’hui, la ville de Bodo bourdonne d’activité. Certains s’affairent à construire de nouvelles habitations, tandis que d’autres réparent la leur. Beaucoup de jeunes gens semblent conduire des motos flambant neuves. Les enfants sont de retour à l’école et investissent les terrains de sport dans leurs uniformes bleu vif.

L’argent versé par Shell à titre de dédommagement (20 millions de livres sterling à destination de la collectivité et 35 millions répartis entre les 15 600 habitants, y compris les enfants) porte visiblement ses fruits.

Joe Westby
4 000 £
Première offre de dédommagement de Shell en 2009
55 millions £
Montant compensatoire final versé par Shell en 2015
2 200 £
Estimation du montant payé à chacun des 15 600 habitants de Bodo

Par-delà la pollution

Le pasteur Christian Kpandei, un ami de longue date, nous accueille chez lui et nous buvons du lait de coco sur sa pelouse bien entretenue entourée de petits potagers. Il me présente John et Patricia Barima Bakel, un couple qui a quatre enfants.

Il leur était devenu impossible de payer les frais de scolarité de leurs enfants après que le pétrole eut décimé la population de bigorneaux (escargots marins comestibles) que Patricia vendait pour vivre. Quant à John, il ne pouvait plus pêcher.

Le simple fait de trouver du bois à brûler était devenu difficile car un très grand nombre d’arbres des mangroves ont péri.

Il n’est donc pas étonnant que Patricia ait été très heureuse lorsque l’accord avec Shell a été trouvé. Leurs enfants ont aujourd’hui repris l’école et elle dispose désormais de quoi acheter de la nourriture et du crédit téléphonique. John a acheté un nouveau moteur et a agrandi son bateau pour pouvoir naviguer par-delà la pollution et attraper du poisson.

Un grand merci aux militants d’Amnesty International

Christian Kpandei, pisciculteur et pasteur d’une paroisse de 300 fidèles, a toujours vécu à Bodo. Il est l’un des militants les plus influents au sein de la collectivité. Lui aussi a tout perdu lorsque les déversements de pétrole ont anéanti les poissons dans ses bassins.

« Je n’imaginais pas que cela puisse arriver, avait-il déclaré en 2011. Au fur et à mesure que le pétrole brut était apporté par la marée, il recouvrait tous les bassins. »

J’ai vu tous mes poissons mourir en une journée. Tout ce que nous avions investi, tout notre travail, tout a disparu en un instant.

Christian Kpandei

Aujourd’hui, ses filles aussi sont de retour à l’école. Il me montre avec entrain un tout nouveau puits creusé pour fournir de l’eau potable et alimenter un nouveau bassin d’élevage. Il espère pouvoir atteindre, dans un futur proche, une production de 10 000 poissons-chats par an.

Christian Kpandei est très reconnaissant envers Amnesty International, ses militants et le Centre pour l’environnement, les droits humains et le développement (CEHRD), organisation partenaire locale. Ensemble, nous avons fait circuler des pétitions et organisé des actions de protestation pour que la société Shell paie pour les dommages qu’elle a causés à Bodo. 

Le 28 août 2008, une défaillance de matériel provoque un premier déversement de pétrole à Bodo. Shell prétend que la fuite a commencé le 5 octobre, mais les autorités de contrôle nigérianes confirment la date du 28 août. Shell arrête finalement le déversement de pétrole dans les marécages le 7 novembre 2008
Une nouvelle fuite de pétrole touche Bodo à partir du 7 décembre 2008. Elle est également due à une défaillance de matériel. Shell colmate cette fuite le 21 février 2009, après avoir laissé du pétrole se déverser dans l’environnement pendant 10 semaines. Sur cette photo datant de mai 2011, le pasteur Christian Kpandei montre les effets des fuites de pétrole sur son exploitation piscicole.
L’organisation non gouvernementale nigériane du Centre pour l’environnement, les droits humains et le développement (CEHRD) et Amnesty International unissent leurs efforts pour mener des recherches sur ces fuites de pétrole. Ces images satellite colorisées de Bodo prises en 2006 (à gauche) et après la fuite de pétrole en 2009, montrent la végétation passant du rouge vif au noir, ce qui indique que les végétaux sont morts dans une zone d’environ trois kilomètres carrés.
À la suite de l’échec de négociations, le cabinet britannique Leigh Day & Co intente une action contre Shell au nom de la population de Bodo devant la haute cour de Londres, le 23 mars 2012. © Amnesty International
Des militants dans le delta du Niger et aux quatre coins du monde appellent Shell à admettre ses responsabilités, à les assumer et à nettoyer le delta. Plus de 300 000 signatures sont recueillies et apportées aux bureaux de Shell, à la Haye, aux Pays-Bas, le 4 juillet 2012.
Le secrétaire général d’Amnesty International, Salil Shetty, se rend à Bodo pour montrer aux habitants que nous continuons à les soutenir.
Le cas de la collectivité de Bodo est retenu pour la campagne annuelle d’envoi de lettres d’Amnesty International, Écrire pour les droits. Des représentants de la collectivité, dont Dinebari David Vareba (à gauche) et le pasteur Christian Kpandei, rendent visite à Amnesty International France pour défendre leur cause lors d’un rassemblement pour la défense des droits humains.
L’inlassable travail de campagne et le soutien mondial pour cette cause – dont celui de cette congrégation dans l’église St Hilary, à Mississauga, au Canada – portent leurs fruits : le 7 janvier 2015, Shell accepte de verser une indemnité historique de 55 millions de livres sterling à la collectivité et aux habitants de Bodo.

Il est temps pour Shell de nettoyer

Sylvester Kobara, président du conseil des chefs de Bodo, nous accueille dans la salle commune du centre-ville où sont habituellement résolus les conflits entre habitants. « Amnesty International a été d’un soutien sans faille pour les habitants de Bodo, a-t-il déclaré. Vous avez fait preuve d’une solidarité extraordinaire. » 

Il dit que l’argent du dédommagement contribuera à améliorer les services de santé et d’éducation locaux et à fournir une eau potable de meilleure qualité.

Toutefois, l’argent de Shell ne permettra pas de résoudre tous les problèmes qui touchent la collectivité. Ce que souhaite par-dessus tout la population de Bodo, c’est que la pollution soit nettoyée, car les indemnités ne permettront pas d’assurer l’avenir de ceux qui ont perdu leur moyen de subsistance.

Au bord de la crique, je peux sentir l’odeur du pétrole. L’eau est sale et sans vie, et les arbres des mangroves qui bordent le rivage sont noirs et nus. L’endroit est sinistrement silencieux : plus personne ne vient pêcher par ici. Cette crique, qui était autrefois le cœur battant de Bodo – le dénommé « panier à poissons » de la région de Gokana – n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était.

Coût de la pollution et profits issus du pétrole

100 000
Nombre minimum de barils de pétrole déversés à Bodo en août 2008 (aucune estimation n’a pu être réalisée pour la deuxième fuite de pétrole)
1 Mrd $
Estimation du coût pour les cinq premières années de nettoyage pour l’ensemble du pays ogoni (PNUE)
3,2 Mrd $
Bénéfices réalisés par Shell au premier trimestre 2015 (de janvier à mars)

Changer le cours des choses ensemble

Sylvester Kobara est préoccupé par le fait que Shell, malgré ses promesses répétées, n’a toujours pas indiqué de date pour le début des travaux de nettoyage. « C’est comme un mirage. » Je comprends qu’il soit sceptique : en 2008, lorsque les fuites de pétrole ont été signalées, plusieurs semaines sont passées avant que Shell n’intervienne, et l’entreprise a très largement sous-estimé l’ampleur des déversements et les dommages occasionnés sur les criques.

Sa première offre de dédommagement en 2009 s’élevait à un montant dérisoire de 4 000 livres sterling pour toute la collectivité.

Si tout se passe bien, les travaux de nettoyage de Shell à Bodo pourraient devenir un modèle pour le reste du pays ogoni, où d’autres déversements de pétrole ont détruit des vies et des moyens de subsistance depuis les années 1950. Les recherches menées par Amnesty International révèlent que sur la seule année 2014, Shell a signalé 204 déversements dans la région du delta du Niger.

Alors que je fais mes au revoir, je suis fier du travail accompli par le CEHRD, Amnesty International et nos militants, qui ont épaulé les habitants de Bodo pendant tout ce temps. Et lorsque notre voiture reprend la route du retour, je sais que je reviendrai bientôt.

Tant que la pollution ne sera pas nettoyée une bonne fois pour toutes, nous continuerons à faire pression sur Shell aux côtés de la population de Bodo, qui fait preuve d’une grande résistance et est pleine de ressources.

Je ne sais pas comment exprimer ma joie. Je vous remercie du fond du cœur. Ce que vous avez fait pour les habitants de Bodo me rend heureux.

Christian Kpandei, pisciculteur et pasteur