La peine de mort en Afrique : les avancées et les revers

Par Netsanet Belay, directeur Afrique d’Amnesty International

« Les deux dernières exécutions qui ont eu lieu dans le pays concernaient 24 personnes en 1998 et 29 en 1992. Il s’agissait du nombre record de prisonniers exécutés en un seul jour par un gouvernement. Les Sierra-Léonais sont toujours sous le choc. Ils ne veulent pas assister à de nouvelles exécutions autorisées par l’État. »

Ainsi s’est exprimé le président sierra-léonais Ernest Bai Koroma, lorsqu’il s’est vu décerner un prix pour les mesures positives que son pays avait prises en vue d’abolir la peine capitale. Aucune nouvelle condamnation à mort n’a été prononcée en 2012 en Sierra Leone. La série de grâces accordées en avril a vidé les cellules du couloir de la mort.

Fort heureusement, la Sierra Leone fut loin d’être le seul pays à avancer vers l’abolition en 2012 ; l’Afrique subsaharienne, et plus généralement le monde, ont continué de progresser sur cette voie.Cette tendance se dessine clairement dans le rapport annuel sur les chiffres de la peine de mort que mon organisation, Amnesty International, a publié mercredi 10 avril. Le monde continue de se diriger vers l’abolition du châtiment le plus cruel et inhumain qui soit, lentement mais sûrement.

Au cours de l’année 2012, l’organisation a recensé des exécutions dans 21 pays seulement – ce chiffre reste inchangé par rapport à 2011, mais s’élevait à 28 il y a seulement 10 ans, en 2003.

Si l’on remonte plus loin dans le passé, l’évolution est encore plus frappante : lorsque nous avons commencé à faire campagne en faveur de l’abolition de la peine de mort, il y a 35 ans, les 16 pays abolitionnistes du globe représentaient une faible minorité. Aujourd’hui, 97 pays ont aboli la peine de mort pour tous les crimes, et 140 pays au total l’ont abolie en droit ou en pratique.

En Afrique, nous avons constaté des avancées dans plusieurs pays, outre la Sierra Leone. Le Bénin a ratifié un traité clé des Nations unies, engageant le pays à abolir la peine de mort, tandis que Madagascar l’a signé. Le gouvernement du Ghana prévoit d’abolir cette peine dans sa nouvelle Constitution. Le Bénin n’a prononcé aucune sentence capitale, de même que le Burkina Faso et le Malawi – contrairement à 2011.

Néanmoins, malgré ces progrès dans certaines régions du continent, 2012 fut à certains égards une année décevante pour l’Afrique.

Au moins 40 exécutions ont eu lieu dans cinq pays d’Afrique subsaharienne – en 2011, trois pays avaient procédé à 22 exécutions. Amnesty International a recensé au moins 449 condamnations à mort, chiffre en nette hausse par rapport à 2011, où il s’élevait à 254.

Les raisons sont nombreuses qui expliquent cette tendance à la régression, mais trois pays en particulier se démarquent.

Le Botswana a repris les exécutions en janvier, après plus d’un an et demi de pause.

En août, après presque 30 ans d’interruption, la Gambie a renoué avec les exécutions. Huit hommes et une femme ont été fusillés par un peloton d’exécution le même jour.

Le président gambien Yahya Jammeh avait annoncé que, d’ici à la mi-septembre, toutes les condamnations à mort seraient « appliquées à la lettre ». Suite au tollé suscité au niveau international, il a fait marche arrière et annoncé un moratoire « sous condition » sur les exécutions, qui serait « annulé automatiquement » en cas de hausse du taux de criminalité.

Par ailleurs, on a constaté une nette hausse du nombre de condamnations et d’exécutions au Soudan. Au moins 19 exécutions et au moins 199 sentences de mort ont été signalées en 2012 ; une hausse significative par rapport à l’année précédente, où ces chiffres s’élevaient respectivement à sept et 13. Si cela s’explique en grande partie par le fait qu’Amnesty International a pu obtenir des informations beaucoup plus fiables sur l’évolution de la peine de mort au Soudan, il demeure très inquiétant que les autorités recourent à ce châtiment pour réprimer les militants avérés ou présumés des groupes politiques de l’opposition.

Il est honteux que des pays comme le Soudan et la Gambie, ainsi que les trois autres États qui ont procédé à des exécutions en 2012 – le Botswana, la Somalie et le Soudan du Sud – compromettent l’avancée de l’Afrique vers l’abolition. Cette région du globe a connu des grands progrès au cours des cinq dernières années, durant lesquelles le Burundi, le Gabon, le Rwanda et le Togo ont tous aboli la peine de mort.

Le fait est que la peine de mort viole un droit des plus fondamentaux, le droit à la vie. Les gouvernements qui poursuivent les exécutions se justifient en avançant des arguments qui ne résistent pas à un examen approfondi.

En effet, il n’a jamais été prouvé que la menace de l’exécution ait un effet particulièrement dissuasif contre le crime.

Certains gouvernements non abolitionnistes affirment que la peine de mort doit être maintenue car le grand public y est favorable. Cependant, des éléments indiquent que ce soutien est très ténu dans la majorité des pays du globe. En outre, cet argument ne tient pas compte du fait que la peine de mort est une violation des droits humains et que les gouvernements doivent emmener leurs populations vers l’abolition.

Dans de nombreux pays qui continuent d’appliquer la peine de mort, de sérieux doutes pèsent sur l’équité des procédures judiciaires – il est alors fort probable que des innocents soient mis à mort. Notre message à la minorité de gouvernements qui continuent d’exécuter est limpide : la peine de mort est cruelle et inhumaine, elle ne peut en aucun cas être défendue, et en la maintenant, vous allez à contre-courant du reste du monde. Nous espérons que l’an prochain, nous pourrons dresser un bilan qui présente un nombre encore plus élevé de dirigeants ralliés à cette idée – dans le monde en général, et en Afrique en particulier.

Ce billet d’opinion a été initialement publié par le Standard Digital Kenya le 10 avril 2013.