Rhétorique et réalité sur les droits des Roms

Par Nicolas Berger, directeur du Bureau européen d’Amnesty International

« L’enjeu, c’est l’Europe. L’enjeu, c’est vous. » Tel est le slogan officiel de 2013, l’Année européenne des citoyens. Toutefois, si vous êtes l’un des six millions de Roms de l’Union européenne, on vous pardonnera si vous vous sentez exclu d’une telle rhétorique.

Alors que la Journée internationale des Roms va être célébrée le 8 avril, les Roms, l’une des plus importantes minorités ethniques d’Europe, subissent des discriminations grandissantes, des violences à caractère raciste, des expulsions forcées et diverses formes de ségrégation. Plus d’une décennie après l’adoption des lois européennes contre la discrimination, les États membres de l’Union européenne (UE) ne parviennent toujours pas à faire respecter ces lois.

La directive de 2000 de l’UE portant sur l’égalité raciale interdit clairement toute discrimination fondée sur la couleur de la peau et l’ethnicité dans une variété de domaines, y compris l’accès aux biens et aux services, la protection sociale, la santé, le logement, l’emploi et l’éducation. Toutefois, ainsi que notre document intitulé Europe. Ici et maintenant, droits humains pour les Roms. Un coup de semonce pour l’Union européenne le souligne, les politiques et les pratiques discriminatoires envers les Roms restent monnaie courante dans les pays de l’UE, et, à ce jour, la Commission européenne n’a pas réussi à améliorer la situation.

Dans le domaine du logement, Amnesty International et d’autres organisations ont recensé des expulsions forcées de communautés roms dans plusieurs pays européens, dont la Bulgarie, la France, la Grèce, l’Italie, la Roumanie et la Slovénie. Les Roms expulsés de force sont souvent transférés dans des zones éloignées et, dans certains cas, à proximité de sites pollués ou dans des logements qui ne sont pas conformes aux normes de base en matière d’habitat.

Souvent dans l’impossibilité de payer les loyers pratiqués sur le marché du logement privé, des centaines de milliers de Roms européens se voient néanmoins refuser d’autres options, y compris le logement social. Ces dernières semaines, par exemple, les autorités municipales romaines ont précisé que les Roms vivant dans des campements n’auront pas droit à un accès prioritaire au logement social, arguant du fait que ces personnes vivent déjà dans des « structures permanentes ».

En matière d’éducation, des dizaines de milliers d’élèves roms de la République tchèque, de la Slovaquie et de la Grèce doivent se rendre dans des écoles spéciales, parfois destinées aux jeunes souffrant de « légère déficience mentale », où ils ne peuvent suivre qu’un cursus restreint. On a demandé à Romi, un enfant rom d’Ostrava, en République tchèque, pourquoi il n’apprenait pas une langue étrangère, comme le font les élèves des écoles ordinaires. Sa réponse a été aussi simple que poignante : « Nous ne sommes pas des enfants de l’école primaire, nous sommes des élèves des écoles pratiques. »

Face à ces graves violations des droits humains par les États membres de l’Union européenne, il est difficile de comprendre pourquoi la Commission européenne n’a pas encore agi plus vite et de manière plus efficace.

L’organe exécutif de l’UE dispose pourtant de moyens d’action considérables. Il peut engager une « procédure d’infraction » contre l’un quelconque des 27 États membres dont les politiques ou les pratiques sont contraires au droit communautaire, et notamment à la directive sur l’égalité raciale.

Dans d’autres domaines du droit communautaire, la Commission n’est pas si réticente à utiliser ses pouvoirs. De fait, elle ouvre chaque année des centaines de procédures d’infraction touchant à l’environnement, à la fiscalité du marché intérieur et aux transports, entre autres. Certaines procédures concernent même l’absence de transposition de la directive sur l’égalité raciale dans les législations nationales. Néanmoins, aucune procédure n’a été ouverte à ce jour contre les États membres dont les politiques ou les pratiques sont discriminatoires envers les Roms, ou envers d’autres groupes ethniques.

En s’abstenant de prendre des mesures décisives, les institutions de l’UE ne parviennent pas à faire rendre des comptes aux États membres sur la façon dont ils traitent les Roms. En 2010, par exemple, la Commission a fait marche arrière, alors qu’elle menaçait initialement d’ouvrir une procédure d’infraction contre la France en raison de sa politique consistant à cibler spécifiquement les Roms, à les expulser de force et à les renvoyer dans leur pays d’origine. Le 14 mars 2013, le ministre français de l’Intérieur, Manuel Valls, a confirmé publiquement que cette politique serait poursuivie, sans clarifier comment les garanties ayant trait aux expulsions seraient appliquées.

La Commission doit commencer à utiliser tous les instruments à sa disposition pour faire face aux multiples formes de discrimination, de racisme et d’autres violations des droits humains subies par les Roms en Europe, y compris en tenant les États membres de l’UE pour responsables des violations de la législation européenne contre la discrimination.

L’UE se targue d’être fondée sur des principes de liberté, de démocratie, de respect des droits humains et des libertés fondamentales, mais la discrimination quotidienne contre les Roms montre clairement que l’UE doit faire de ces principes une réalité pour l’un des plus grands groupes ethniques d’Europe. « L’enjeu, c’est l’Europe. L’enjeu, c’est vous. » Ce slogan doit être une réalité pour tous les Européens, y compris les Roms.