Paraguay. Des millions de personnes dépendent de l’amélioration urgente du système de santé publique

  • Des inégalités profondes dans l’accès au système de santé publique au Paraguay, provoquées par l’insuffisance des investissements et l’inefficacité de l’utilisation des ressources, mettent non seulement la vie et la santé des personnes en danger, mais affectent aussi gravement leurs revenus, a déclaré Amnesty International dans un nouveau rapport.

Ce document, intitulé La deuda de la salud, analyse le degré de réalisation du droit à la santé au Paraguay, en s’appuyant sur la situation du système de santé publique. Conformément aux normes internationales, le rapport se penche sur les lacunes en matière d’accès aux services de santé, en se focalisant sur des aspects tels que la disponibilité, l’accessibilité, l’acceptabilité et la qualité, et en se concentrant tout particulièrement sur les soins de santé primaires. Les soins de santé primaires sont un élément fondamental et obligatoire pour tous les États parties au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, auquel le Paraguay est partie.
« Le système de santé publique ne remplit pas sa mission à l’égard des habitant·e·s du pays, et il est particulièrement dur avec des groupes généralement victimes de discriminations, tels que les femmes transgenres et les populations autochtones, qui se heurtent à de nombreux obstacles lorsqu’ils tentent d’y accéder. Les autorités paraguayennes doivent le renforcer et l’humaniser de toute urgence, en investissant davantage et mieux. Le bien-être de plus de 5 millions de personnes en dépend », a déclaré Ana Piquer, directrice du programme Amériques à Amnesty International.

Le système de santé publique ne remplit pas sa mission à l’égard des habitant·e·s du pays, et il est particulièrement dur avec des groupes généralement victimes de discriminations, tels que les femmes transgenres et les populations autochtones, qui se heurtent à de nombreux obstacles lorsqu’ils tentent d’y accéder. Les autorités paraguayennes doivent le renforcer et l’humaniser de toute urgence, en investissant davantage et mieux. Le bien-être de plus de 5 millions de personnes en dépend

Ana Piquer, directrice du programme Amériques à Amnesty International

La méthodologie employée dans le cadre du rapport associe des outils quantitatifs et qualitatifs. Ont été cités des statistiques et registres d’État, ainsi que des indicateurs internationaux sur la santé et le développement économique. Le rapport s’appuie par ailleurs sur 18 groupes de discussion auxquels ont participé 200 personnes, ainsi que sur quatre entretiens approfondis avec des personnes touchées par la précarité du système de santé.

En résumé, le Paraguay ne dépense pas le minimum recommandé par l’Organisation panaméricaine de la santé afin de garantir l’accès à la santé pour tous : 6 % du produit intérieur brut. Dans les faits, au niveau régional, le pays se classe parmi les derniers en termes d’investissement dans la santé. Ce sous-financement est grave dans un pays où sept personnes sur 10 n’ont pas d’assurance maladie et où la plupart d’entre elles dépendent du ministère de la Santé publique et du Bien-être social pour éviter des dépenses liées à la maladie qui compromettent leur projet de vie.

Inégalités profondes dans l’accès aux soins de santé au Paraguay

Le droit à la santé est un droit fondamental reconnu par le droit international et il doit être garanti sans discrimination. Cela implique que l’État paraguayen adopte toutes les mesures qui s’imposent afin de garantir l’accès progressif de tous et toutes aux services de santé.

La dette de l’État à l’égard de la santé du peuple paraguayen produit au contraire des inégalités prenant différentes formes. En termes territoriaux, la capitale et les zones urbaines concentrent la plupart des infrastructures et des ressources par rapport au reste du pays. En termes de population, l’institution accueillant le plus grand nombre de personnes, le ministère de la Santé publique et du Bien-être social, reçoit moins de fonds par personne servie que les autres institutions publiques.

Les écarts sont exacerbés pour d’autres droits connexes. Le rapport indique que l’insécurité alimentaire est plus marquée dans les foyers comptant des enfants de moins de cinq ans, et que les personnes dépourvues d’assurance maladie sont plus susceptibles d’avoir un accès limité à l’eau et à l’assainissement, d’où une exposition différenciée aux maladies. Il existe en outre un lien direct entre le statut professionnel et l’accès à l’assurance maladie. Les personnes travaillant dans le secteur informel sont généralement plus vulnérables face aux urgences médicales. Le travail informel a tendance à être féminisé – c’est-à-dire qu’un pourcentage plus élevé de femmes que d’hommes optent pour celui-ci – et la plupart des personnes dans cette situation appartiennent aux niveaux de revenus les plus bas.

« Je n’ai pas soigné mon cancer parce que je devais nourrir mes enfants et que je ne pouvais pas arrêter le travail. Si maintenant je dois choisir entre mon traitement et les nourrir, j’arrêterai le traitement », a déclaré Felipa, dont le nom a été modifié pour sa protection. Résidant dans la banlieue d’Asunción, elle tire ses revenus de la vente d’animaux de ferme. C’est à l’aide de ce moyen de subsistance qu’elle affronte un cancer du col de l’utérus à un stade avancé.

Je n’ai pas soigné mon cancer parce que je devais nourrir mes enfants et que je ne pouvais pas arrêter le travail. Si maintenant je dois choisir entre mon traitement et les nourrir, j’arrêterai le traitement

Felipa*

Ces failles dans l’accès aux soins de santé sont accentuées par la discrimination dont sont souvent victimes les femmes et les populations autochtones. L’insuffisance ou l’absence de soins prénatals et obstétriques est une forme de violence qui touche directement les femmes enceintes. Des femmes transgenres ont par ailleurs signalé à Amnesty International qu’elles subissaient des violences transphobes dans les centres de santé en raison de la non-reconnaissance de leur identité de genre ; certaines d’entre elles préfèrent même ne pas se rendre dans les institutions publiques, même en cas de maladies dégénératives.

Les chiffres de l’Institut national des statistiques indiquent par ailleurs qu’une grande partie des autochtones renoncent également à se faire soigner, en raison du manque d’infrastructures sur leur territoire ou des coûts associés aux soins, que ce soit en raison de l’éloignement physique des centres de santé ou de la pénurie fréquente de médicaments et de fournitures. Amnesty International a également pris connaissance de cas dans lesquels des personnes n’ont pas reçu les soins nécessaires parce qu’elles parlaient une langue autre que l’espagnol. 

« De tout temps, on a fait souffrir les autochtones pour ensuite s’occuper d’eux, nous demandons seulement qu’ils s’occupent de nous correctement », a déclaré Silvio, un membre du peuple Enxet, dont nous avons changé le nom pour sa protection. La vie et les revenus de Silvio et de sa famille ont été perturbés pendant des mois du fait des soins négligents et tardifs prodigués à Lilia, sa compagne, qui s’était cassé la jambe.

De tout temps, on a fait souffrir les autochtones pour ensuite s’occuper d’eux, nous demandons seulement qu’ils s’occupent de nous correctement

Silvio*

Un financement inefficace, inadéquat et injuste 

En vertu du droit international, l’État paraguayen est tenu de maximiser les ressources publiques pour garantir les droits humains, en particulier le droit à la santé, en investissant suffisamment dans les programmes et les budgets. L’élaboration de ces interventions doit respecter les critères d’équité et de non-discrimination dans l’accès à ce droit fondamental.

Le Paraguay est en outre l’un des pays du monde où il est le plus coûteux de tomber malade. En matière de dépenses de santé annuelles, quatre dollars sur 10 proviennent directement du porte-monnaie des citoyen·ne·s, du fait du manque de médicaments, de fournitures ou de soins en général. Cette situation est souvent entretenue par l’endettement des personnes et les contributions de solidarité des réseaux familiaux ou communautaires. Parallèlement, et depuis plusieurs années, les autorités n’utilisent pas la totalité du budget alloué à l’achat de médicaments, alors que 40 % des personnes déclarent ne pas avoir reçu de médicaments gratuits, ainsi que le prévoit pourtant la loi paraguayenne.

Selon l’Organisation panaméricaine de la santé, au moins un tiers de l’investissement annuel dans la santé devrait être alloué aux soins de santé primaires, qui sont essentiels à la détection précoce des maladies et, par conséquent, au bien-être de la population et à la désaturation des niveaux de soins supérieurs. Le Paraguay investit cependant moins de la moitié de ce qui est recommandé par les organisations internationales ; en revanche, il assure – paradoxalement – 4 % du budget public pour couvrir l’assurance maladie privée des fonctionnaires.

Enfin, les tendances en matière de financement du système public paraguayen ne sont pas viables. Ces dernières années, un tiers des investissements dans le domaine de la santé a été réalisé grâce à la dette publique. Selon l’analyse d’Amnesty International, le renforcement urgent du système de santé publique requiert, dans une large mesure, la mise en œuvre de politiques fiscales progressistes permettant une collecte plus large et plus équitable de fonds publics. Parmi ces politiques, il est possible d’envisager d’augmenter le taux de l’impôt sur les sociétés et de renforcer la lutte contre l’évasion fiscale. Le rapport souligne qu’actuellement, des produits ayant un impact direct sur la santé, tels que le tabac, l’alcool, les aliments à faible valeur nutritionnelle ou les boissons sucrées, constituent une source marginale de revenus pour le budget public. Outre le fait d’augmenter les recettes, les taxes sur ces produits pourraient bien conduire à une réduction de leur consommation et à une amélioration de la santé des citoyen·ne·s.

Clés pour renforcer le système de santé publique du Paraguay

Amnesty International demande à l’État paraguayen de déployer sa politique de santé autour de cinq axes principaux :

  • Renforcer les soins primaires et le réseau hospitalier à tous les niveaux ;
  • Garantir les médicaments, les fournitures et des transports gratuits dans les services de santé ;
  • Réduire les discriminations et promouvoir l’équité dans le système de santé ;
  • Mieux financer le système de santé publique par des réformes fiscales équitables, au lieu de creuser la dette publique ;
  • Améliorer l’efficacité de l’utilisation des ressources publiques actuelles.

Amnesty International a envoyé cette analyse aux autorités paraguayennes, afin qu’elles puissent se prononcer sur les conclusions de l’organisation. À ce sujet, le ministère de la Santé publique et du Bien-être social a partagé le rapport présenté en novembre 2023 sur les 100 premiers jours du gouvernement, qui dresse la liste de sept domaines dans lesquels diverses mesures ont été prises : 1) réduction du temps d’attente pour les consultations et les rendez-vous, 2) santé mentale, 3) système d’information sanitaire, 4) optimisation des ressources financières et réduction des démarches administratives, 5) initiatives en faveur de la santé cardiaque dans les institutions et les villes, 6) diagnostic cardiovasculaire à distance, et 7) lancement d’un guide clinique pour les maladies cardio-cérébro-vasculaires. Amnesty International prend note de ces apports et confirme les conclusions de son analyse, en insistant sur l’importance pour l’État paraguayen de prendre des mesures structurelles afin d’améliorer l’accès au droit à la santé, conformément aux conclusions de son rapport.