Ouganda 2023
Les autorités ont continué de restreindre sévèrement les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Le président a promulgué une loi homophobe qui réprimait encore plus lourdement les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe et prévoyait la peine capitale pour certaines infractions. Le projet de construction de l’oléoduc d’Afrique de l’Est mettait en péril le droit à un environnement sain. Les expulsions forcées se sont poursuivies dans le mont Elgon, au nom de la conservation. En revanche, le gouvernement les a suspendues dans la région d’Apaa. Plus de 130 000 personnes en quête d’asile sont arrivées dans le pays, mais les financements manquaient cruellement pour garantir le soutien de l’Ouganda à plus de 1,6 million de réfugié·e·s.
Contexte
En mars, Muhoozi Kainerugaba, le fils du président Yoweri Kaguta Museveni, a annoncé sur X (anciennement Twitter) qu’il se présenterait à l’élection présidentielle en 2026. Il a ensuite supprimé sa publication, mais a cependant poursuivi dans son idée et lancé le mouvement MK, une campagne de mobilisation politique. Le chef de l’État n’a quant à lui pas annoncé ses intentions.
En août, la Commission électorale a lancé un plan stratégique national et une feuille de route pour les élections générales de 2026.
Ce même mois, le HCDH a fermé son bureau en Ouganda car le gouvernement avait refusé de renouveler l’accord de pays hôte. Depuis 18 ans, le bureau travaillait étroitement avec la société civile, les détenteurs et détentrices de droits et les ONG, et entretenait le dialogue avec les institutions de l’État pour promouvoir et protéger les droits humains dans le pays.
Liberté de réunion pacifique
Dans la capitale, Kampala, la police a arrêté en janvier le défenseur des droits humains Bob Barigye alors qu’il organisait un débat public sur la justice climatique. Cet homme a été relâché sous caution du poste de police de Wandegeya au bout de trois jours, inculpé d’« entrave [au travail d’un] policier dans l’exercice de ses fonctions ». Il a été de nouveau arrêté en juin, en compagnie de Zarika Mutesi, Shamim Naruwada et Phionah Nalusiba, trois défenseures des droits humains, pour avoir manifesté contre la compagnie d’énergies fossiles East African Crude Oil Pipeline (EACOP) Ltd (voir Droit à un environnement sain). Conduits au commissariat central de Kampala et inculpés d’incitation à la violence, les quatre militant·e·s ont été remis en liberté sous caution le lendemain.
Quatre militants écologistes ont été arrêtés le 15 septembre à Kampala parce qu’ils avaient organisé une manifestation. Benjamin Akiso, Wasswa Alex, Abduh Twaib Magambo et Kajubi Maktumin, étudiants, ont ainsi passé six jours à la prison de Luzira pour « nuisance générale », avant de bénéficier d’une libération sous caution prononcée par le tribunal de Buganda Road. Ils n’avaient pas été jugés à la fin de l’année.
En avril, la police a arrêté 12 députées devant le Parlement, à Kampala. Elles s’apprêtaient à marcher solennellement jusqu’au ministère de l’Intérieur pour y remettre une pétition concernant l’utilisation d’une force excessive par les services de maintien de l’ordre pour disperser plusieurs rassemblements organisés par des députées dans leurs circonscriptions. Ces 12 femmes, dont plusieurs ont été blessées au moment de leur arrestation, ont été relâchées sans condition du commissariat central plusieurs heures plus tard après une intervention de la présidente du Parlement.
Fin août, la Plateforme de l’unité nationale (NUP, parti d’opposition) a commencé à faire campagne et mobilisé une foule de sympathisant·e·s. La réaction de l’inspecteur général adjoint de la police a été de décréter, en septembre, l’interdiction temporaire des rassemblements et autres activités de la NUP dans l’ensemble du pays. Les autorités ont affirmé que des personnes provoquaient des troubles à l’ordre public tels que des accidents de la route, dont un ayant fait un mort, « pour inciter à la violence, promouvoir le sectarisme, lancer des appels illégitimes à la […] destitution du gouvernement […] et publier des déclarations diffamatoires contre le président… »
Le 9 octobre, les forces de sécurité ont empêché les dirigeant·e·s et sympathisant·e·s de la NUP de tenir une conférence de presse au siège du parti. Quatorze personnes, dont le secrétaire général de la formation, David Lewis Rubongoya, son porte-parole, Joel Ssenyonyi, et son secrétaire à la mobilisation, Fred Nyanzi, ont été arrêtés, puis libérés peu après sans condition.
Le 11 octobre, la police a inculpé 59 sympathisant·e·s de la NUP d’Entebbe, Kajjansi et Kawempe (un quartier de Kampala) pour réunion illégale et incitation à la violence au titre du Code pénal. Des dizaines de membres influents et de sympathisant·e·s de la NUP ont été arrêtés partout dans le pays pour avoir manifesté contre le placement en résidence surveillée du dirigeant de leur parti, Robert Kyagulanyi (également connu sous le nom de Bobi Wine). Ce dernier avait été arrêté le 5 octobre à son arrivée à l’aéroport d’Entebbe après une tournée au Canada et en Afrique du Sud. Les forces de sécurité l’avaient escorté jusque chez lui, à Magere, en périphérie de Kampala, où il est resté assigné pendant trois jours.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
La Loi de 2023 contre l’homosexualité a été promulguée en mai. Elle instaurait la peine de mort pour le crime d’« homosexualité avec circonstances aggravantes », qu’elle définissait vaguement comme toute relation sexuelle avec une personne du même sexe âgée de plus de 75 ans ou de moins de 18 ans, qui ne donnait pas son consentement ou n’était pas en mesure de le donner, ou qui était atteinte d’un handicap ou d’une maladie mentale. La loi prévoyait également la réclusion à perpétuité pour les relations consenties entre personnes de même sexe et jusqu’à 10 ans de détention pour les tentatives de relations entre personnes de même sexe, et érigeait en infraction la « promotion » de l’« homosexualité ».
Une augmentation des violences contre les personnes LGBTI et plus généralement des atteintes à leurs droits a été signalée à la suite de l’adoption de la loi. Une ONG locale, le Forum de sensibilisation et de promotion des droits humains (HRAPF), a recensé 379 cas de violences entre juin et décembre. Des personnes ont notamment été chassées de leur maison et de leur village, d’autres ont subi des agressions physiques ou ont été menacées de violences.
En août, la procureure générale a ordonné qu’avant toute inculpation, toutes les affaires concernant des faits visés par cette loi soient soumises à ses services accompagnées d’un avis juridique écrit. Cinq procès pour « homosexualité avec circonstances aggravantes » étaient cependant déjà en cours dans les districts de Kampala, Lugazi, Mbabara, Soroti et Wakiso et deux des personnes accusées étaient toujours aux mains de la police. Les autres avaient été remises en liberté sous caution. À la fin de l’année, 59 personnes au moins avaient été inculpées de diverses infractions au titre de cette loi, selon le HRAPF.
Le 18 décembre, la Cour constitutionnelle a commencé à examiner une requête en inconstitutionnalité déposée par des groupes locaux de défense des droits humains qui contestaient la loi.
Droit à un environnement sain
Le 24 janvier, EACOP Ltd, joint venture de la Compagnie pétrolière nationale de l’Ouganda, TotalEnergies EP Ouganda, la Société nationale chinoise du pétrole offshore et la Société tanzanienne de développement pétrolier, a reçu un permis l’autorisant à construire un oléoduc de 1 443 kilomètres (appelé EACOP) de Kabaale, dans le district d’Hoima (ouest du pays), jusqu’à la péninsule tanzanienne de Chongoleani, près du port de Tanga. Le projet, qui portait sur la construction d’un pipeline chauffé de 61 centimètres de diamètre destiné au transport de pétrole brut, menaçait d’expulsion forcée les habitant·e·s de centaines de villages des sous-comtés de Kapapi et Kiganja (voir Expulsions forcées). Le tracé de l’oléoduc traversait des zones d’habitat humain, des réserves naturelles, des terres agricoles et des sources d’eau, et mettait en péril le droit à un environnement propre, sain et durable.
Le 28 février un tribunal civil français a rejeté une action intentée en 2018 par six ONG françaises et ougandaises contre TotalEnergies, actionnaire d’EACOP Ltd. Les ONG voulaient arrêter la construction du pipeline en invoquant une loi française de 2017 relative au devoir de vigilance qui faisait porter aux multinationales la responsabilité des risques en matière d’environnement et de droits humains résultant de leurs activités commerciales sur le territoire français et à l’étranger. Le tribunal a jugé le dossier irrecevable pour des questions de procédure.
Pendant ce temps, des organisations de la société civile kenyane, ougandaise et tanzanienne attendaient la décision de la Cour de justice de l’Afrique de l’Est sur une affaire dont elles l’avaient saisie trois ans auparavant pour demander une ordonnance d’injonction provisoire en vue d’empêcher la construction de l’oléoduc. Le 5 avril, la Cour a mis la cause en délibéré après avoir entendu les parties, dont le secrétaire général de la Communauté de l’Afrique de l’Est et les gouvernements tanzanien et ougandais, qui ont soutenu que l’affaire n’était pas de son ressort (voir Tanzanie). Le 29 novembre, la cour a débouté les organisations de leur plainte au motif que celle-ci avait été déposée trop tardivement, déclarant que l’action aurait dû être entreprise en 2017 et non en 2020. Les organisations de la société civile se sont pourvues en appel le 11 décembre.
Expulsions forcées
Dans la nuit du 10 février, les forces de sécurité ont expulsé de leurs terres près de 500 familles des villages de Waaki North, Kapapi Central, Waaki South, Runga et Kiryatete, dans les sous-comtés de Kapapi et Kiganja (district d’Hoima), pour laisser la place à la construction de l’EACOP. Elles ont incendié des maisons, brutalisé des personnes et pillé des biens, notamment du bétail et des récoltes. À la fin de l’année, 11 villageois·es qui s’étaient opposés à ces expulsions avaient été arrêtés et inculpés de vol, de menaces de violences et de destruction volontaire de biens, entre autres charges. Au moins sept militant·e·s qui avaient participé à des actions de protestation contre l’oléoduc ont été arrêtés. Ils ont été remis en liberté par la suite, après plusieurs mois de détention pour certains.
L’Autorité de la flore et de la faune sauvage d’Ouganda (UWA) a continué de violer les droits des Benets du mont Elgon, dans l’est du pays, en arrêtant arbitrairement des membres de ce peuple autochtone, en brûlant leurs maisons et en confisquant des animaux domestiques qui, prétendait-elle, erraient dans le parc national. L’UWA n’a pas cessé ces pratiques, alors même que des affaires contre les autorités au sujet d’expulsions forcées de Benets étaient en instance devant la Haute Cour de Mbale. À la fin de l’année, 29 Benets avaient été arrêtés arbitrairement et maintenus en détention jusqu’au paiement d’une caution et d’autres amendes exorbitantes pour que leurs bêtes soient relâchées ; 190 vaches et 260 chèvres avaient été confisquées.
En février, le président de la République a suspendu un projet d’expulsion ordonné par la Première ministre contre l’ensemble des habitant·e·s du village d’Apaa (district d’Amuru, nord de l’Ouganda), censés libérer le secteur avant le 16 mai sous peine d’être expulsés de force. Le président, Yoweri Kaguta Museveni, a déclaré que le projet était suspendu dans l’attente de la formation et de l’approbation de la commission d’enquête judiciaire qui devait guider le gouvernement dans ses décisions concernant les conflits fonciers dans la région d’Apaa, où des litiges territoriaux avaient lieu depuis plusieurs dizaines d’années.
Droits des personnes réfugiées ou migrantes
L’Ouganda est resté le pays d’Afrique qui accueillait le plus grand nombre de réfugié·e·s. À la fin de l’année, 1 615 162 personnes réfugiées ou demandeuses d’asile y étaient recensées. Plus de 130 000 d’entre elles étaient arrivées en 2023. La majorité des personnes arrivées récemment venaient de la République démocratique du Congo et du Soudan du Sud. D’autres étaient originaires de Somalie, du Rwanda ou du Burundi.
Le HCR a déclaré avoir reçu moins de 30 % des 343,4 millions de dollars des États-Unis nécessaires pour 2023, alors qu’en 2022, il avait obtenu au moins 45 % des fonds dont il avait besoin.