Somalie

Amnesty International ne prend pas position sur les questions de souveraineté ou les conflits territoriaux. Les frontières apparaissant sur cette carte sont basées sur les données géospatiales des Nations unies.
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Somalie 2022

Toutes les parties au conflit en Somalie ont continué de commettre des violations graves du droit international humanitaire, en toute impunité. Le groupe armé Al Shabab a multiplié ses attaques illégales contre la population civile. Le conflit ainsi que la grave sécheresse due à l’absence de pluie ont entraîné le déplacement de plus de 1,8 million de personnes et provoqué une nouvelle vague de crise humanitaire. Les personnes déplacées à l’intérieur du pays étaient confrontées à de nombreuses violations des droits humains ; les femmes et les filles étaient particulièrement exposées à la violence liée au genre. Le gouvernement a augmenté le budget consacré à la santé, mais l’offre de soins médicaux restait insuffisante et la population manquait cruellement d’accès à l’eau, aux installations sanitaires et à la nourriture. La liberté d’expression a fait l’objet de restrictions et des journalistes ont été agressés, frappés, et arrêtés et poursuivis de façon arbitraire. Des médias ont été suspendus. Au Somaliland, les autorités ont fortement restreint les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association.

Contexte

En mai, à l’issue d’un long processus électoral, les parlementaires somaliens ont élu à la présidence Hassan Sheikh Mohamud, qui a nommé Hamza Abdi Barre au poste de Premier ministre en juin. Un nouveau gouvernement a été formé en août.

En avril, une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU a entériné le remplacement de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), présente dans le pays depuis 15 ans, par la Mission de transition de l’Union africaine en Somalie (ATMIS). Cette résolution prévoyait des stratégies de transfert des responsabilités en matière de sécurité à l’armée et à la police somaliennes avant la fin de l’année 2024.

La diminution des importations de nourriture due à la guerre en Ukraine, la crise climatique et l’effondrement économique lié à la pandémie de COVID-19, ainsi que l’absence des précipitations attendues lors de quatre saisons des pluies consécutives, ont entraîné une aggravation de la situation humanitaire.

Attaques illégales

La population civile a continué de faire les frais du conflit persistant entre le gouvernement et ses alliés internationaux d’une part, et le groupe armé Al Shabab d’autre part. Des centaines de civil·e·s ont été tués ou blessés pendant l’année. Aucune justice n’a été rendue et personne n’a eu à rendre de comptes pour les violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains.

Les Nations unies ont recensé 428 victimes civiles (167 ont été tuées et 261 blessées) entre février et mai, dont 76 % à la suite d’attaques illégales menées par Al Shabab, les autres cas étant attribués aux forces de sécurité gouvernementales, aux milices claniques et aux forces internationales et régionales.

Le 23 mars, six personnes, dont cinq de nationalité étrangère, ont été tuées dans une attaque d’Al Shabab contre le complexe SafeLane Global, dans l’enceinte de l’aéroport international Aden Adde de Mogadiscio, la capitale. Le même jour, ce groupe a commis deux attentats meurtriers dans la ville de Beledweyne, à environ 300 kilomètres au nord de Mogadiscio. Selon l’ONU, ces attaques ont fait au moins 156 victimes (48 ont été tuées – dont une députée de premier plan, Amina Mohamed Abdi – et 108 blessées).

Le nouveau président a déclaré en mai qu’il ferait de la sécurité et de la lutte contre Al Shabab une priorité de son gouvernement. Le groupe armé a réagi en multipliant ses attaques aveugles ou ciblées, dont des assassinats.

Le 19 août, Al Shabab a mené une attaque complexe contre l’hôtel Hayat, à Mogadiscio, tuant au moins 30 personnes et en blessant plus de 50 autres. Après avoir réussi à pénétrer dans cet hôtel renommé à grand renfort d’explosifs et de coups de feu, les attaquants ont assiégé l’établissement pendant plus de 30 heures. Le Premier ministre s’est engagé à demander des comptes, affirmant que toute personne ne s’étant pas acquittée de ses responsabilités aurait à répondre de ses actes, mais aucune enquête judiciaire n’avait été ouverte à la fin de l’année. Le 29 octobre, Al Shabab a commis un double attentat à la voiture piégée visant le siège du ministère de l’Éducation et un carrefour animé au sein d’un marché à Mogadiscio. Ce double attentat a tué plus de 100 personnes et en a blessé plus de 3001.

Droit à l’alimentation

Du fait de quatre saisons des pluies consécutives sans précipitations et des répercussions de la guerre en Ukraine sur les importations de nourriture, le pays a connu une grave crise humanitaire. Selon l’ONU, quelque 7,8 millions de personnes, soit la moitié de la population, avaient besoin d’une aide humanitaire pour survivre. Plus de trois millions de pièces de bétail, qui constituaient le moyen de subsistance des familles nomades, ont péri, dans une large mesure à cause de la sécheresse. D’après le Comité international de la Croix-Rouge, la Somalie dépendait de la Russie et de l’Ukraine pour plus de 90 % de son approvisionnement en blé. Or, la guerre entre ces deux pays a interrompu les livraisons. Par ailleurs, la hausse du coût des carburants, autre conséquence de la guerre, a provoqué une augmentation considérable des prix des denrées alimentaires, qui a touché de façon disproportionnée les personnes les plus susceptibles d’être victimes de discrimination, comme les personnes déplacées à l’intérieur du pays, celles qui pratiquaient l’agriculture de subsistance, et celles qui vivaient dans des zones touchées par le conflit. Des niveaux catastrophiques d’insécurité alimentaire ont été constatés dans certaines parties du pays, plus de 213 000 personnes se trouvant dans une situation assimilable à de la famine. Plus de 1,5 million d’enfants, parmi lesquels des nourrissons, souffraient de malnutrition aiguë, dont 386 400 de malnutrition aiguë sévère. Entre janvier et septembre, 730 enfants sont morts dans des centres de nutrition du pays. Parallèlement, Al Shabab a restreint l’accès à l’aide humanitaire dans les zones sous son contrôle, aggravant encore la crise.

Face à cela, le gouvernement fédéral a créé un ministère de l’Environnement et du Changement climatique et nommé un envoyé spécial du président chargé de la réponse à la sécheresse. Cet envoyé spécial a coordonné les initiatives locales et internationales, demandant aide et solidarité pour les personnes les plus touchées. Les acteurs humanitaires internationaux ont aussi augmenté l’aide alimentaire et médicale, entre autres, aux populations concernées. Cependant, les financements étaient bien inférieurs à ce qui était nécessaire pour atténuer la crise.

Droits des personnes déplacées

Les personnes déplacées à l’intérieur du pays étaient toujours confrontées à de nombreuses atteintes aux droits humains. Le pays comptait plus de 1,8 million de personnes déplacées à cause de la sécheresse et du conflit. Entre janvier et août, 188 186 personnes ont été victimes d’expulsions forcées dans le pays, dont une majorité de personnes déplacées.

La plupart des personnes déplacées étaient des personnes âgées, des enfants et des femmes, dont des femmes enceintes ou allaitantes. Le manque d’abris satisfaisants et d’intimité dans les camps surpeuplés de personnes déplacées exposait les femmes et les enfants à un risque accru d’atteintes telles que les violences liées au genre, notamment le viol et d’autres agressions physiques.

En juillet, Al Shabab a aussi mené des attaques militaires de grande ampleur le long de la frontière avec l’Éthiopie, entraînant le déplacement de la population locale.

Violences sexuelles ou fondées sur le genre

Les femmes et les filles ont continué d’être victimes de violences sexuelles, notamment dans le cadre du conflit. Ainsi, entre février et mai, l’ONU a signalé quatre attaques de ce type visant trois femmes et une adolescente de 15 ans, dont une femme déplacée et une femme enceinte qui ont été violées et tuées par leurs agresseurs.

En raison de la sécheresse persistante, les personnes déplacées étaient encore plus exposées aux violences liées au genre. En effet, les femmes et les filles risquaient davantage de subir des violences et des atteintes sexuelles quand elles parcouraient de longues distances pour aller chercher de l’eau pour leur famille.

Le Parlement fédéral n’avait toujours pas adopté les projets de loi relatifs aux infractions sexuelles et aux mutilations génitales féminines.

Droit à la santé

L’accès aux soins médicaux de base restait insuffisant. La grave sécheresse qui a touché la moitié de la population a entraîné une forte augmentation du nombre de cas de malnutrition ainsi que des poussées épidémiques, et davantage de personnes ont été confrontées au manque d’accès à une eau salubre, à des installations sanitaires et à de la nourriture en quantité suffisante. Selon l’OMS, les cas présumés de choléra et de rougeole se sont multipliés par rapport aux années précédentes. La pandémie de COVID-19 est restée un problème majeur ; en septembre, on recensait depuis son déclenchement 27 020 cas confirmés et 1 361 morts. Avec plus de 4,5 millions de doses de vaccin anti-COVID-19 administrées au 28 août, seulement 14 % de la population environ présentait un schéma vaccinal complet. Le gouvernement a augmenté le budget du secteur de la santé, le portant à 58,5 millions de dollars des États-Unis (contre 33,6 millions en 2021), ce qui représentait 6 % du budget total de 2022 (contre 2 % en moyenne au cours des cinq années précédentes).

Liberté d’expression

La liberté d’expression a fait l’objet de restrictions. Des journalistes ont été attaqués par les forces de sécurité et ont subi des menaces, un harcèlement, des intimidations, des coups, des arrestations arbitraires et des poursuites judiciaires. Neuf journalistes ont été blessés et deux médias ont été temporairement suspendus par les autorités de l’État du Sud-Ouest. Les autorités des États du centre et du sud du pays ainsi que du Puntland ont restreint l’accès des journalistes aux informations liées aux élections. Les forces de sécurité, notamment des membres de l’Agence nationale du renseignement et de la sécurité (NISA), ont empêché des journalistes de couvrir les événements concernant la campagne de l’opposition et les accusations d’irrégularités électorales généralisées.

Le 16 février, des policiers du district de Kahda, à Mogadiscio, s’en sont pris aux journalistes Ismail Mohamed Muse et Mohamed Hassan Yusuf, de Somali Cable TV, et Aweys Mohamud Jilaow et Mohamud Bari, de Five Somali TV. Ces quatre journalistes effectuaient un reportage sur les attaques menées par Al Shabab dans plusieurs endroits de la ville la nuit précédente. Des photos publiées sur les réseaux sociaux les ont montrés allongés face contre terre, les yeux bandés et les mains et les pieds liés dans le dos. Ils ont tous été libérés le jour même, sans inculpation.

Le 27 avril, des policiers ont empêché un groupe de journalistes d’entrer dans la salle Afisyoni, à Mogadiscio, où se tenait l’élection du président du Parlement.

Le 15 juillet, des agents des services de renseignement de l’État du Sud-Ouest ont arrêté arbitrairement le journaliste Hassan Ali Da’ud, d’Arlaadi Media Network, et l’ont placé en détention dans un lieu non révélé. Son arrestation est intervenue après son reportage sur les mauvais traitements présumés infligés à des législateurs de l’État du Sud-Ouest par des membres des forces de sécurité à Baidoa. Il a été libéré au bout de 19 jours sans avoir été inculpé.

Le 21 août, un policier de l’unité Haramacad a tiré à bout portant sur Ahmed Omar Nur, journaliste de M24 TV, le blessant grièvement à la joue, alors qu’il couvrait l’attaque de l’hôtel Hayat (voir Attaques illégales). Selon le Syndicat des journalistes somaliens (SJS), un syndicat et groupe local de défense des médias, deux policiers de l’unité Haramacad ont été arrêtés après les faits, mais ils ont ensuite été libérés sur ordre de leur commandant.

Le ministère de l’Information a rendu publique le 8 octobre une directive interdisant la « diffusion de messages relevant d’une idéologie extrémiste par le biais des médias traditionnels et des réseaux sociaux ». Plusieurs défenseurs de la liberté des médias, dont le secrétaire général du SJS, Abdalle Ahmed Mumin, ont exprimé publiquement leur inquiétude à propos des conséquences de cette directive sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes. Abdalle Mumin a ensuite été arrêté à l’aéroport international Aden Adde et empêché de se rendre à Nairobi. Il a été inculpé de plusieurs infractions au titre du Code pénal, notamment d’outrage à la nation ou à l’État et d’incitation à désobéir à la loi. Il a été libéré sous caution le 22 octobre, avec interdiction de quitter le pays jusqu’à ce que son affaire soit jugée.

Somaliland

Liberté d’expression et d’association

Les autorités du Somaliland ont accentué leur répression du droit à la liberté d’expression. Des journalistes ont été arrêtés et poursuivis en justice de manière arbitraire. Au moins quatre médias ont été suspendus et Internet a été coupé pour empêcher la diffusion d’informations sur les manifestations contre le report de l’élection présidentielle.

Le 13 avril, la police du Somaliland a arrêté au moins 15 journalistes qui couvraient des affrontements armés survenus ce jour-là à la prison centrale de Hargeisa. Douze d’entre eux ont été libérés le 19 avril, mais les autorités ont maintenu en détention Mohamed Abdi Ilig, directeur de MM Somali TV, Abdijabar Mohamed Hussein, reporter à Horn Cable TV, et Abdirahman Ali Khalif, de Gobonimo TV. Le 23 mai, le tribunal régional de Maroodi Jeex, siégeant à Hargeisa, a condamné Mohamed Abdi Ilig et Abdijabar Mohamed Hussein à un an et quatre mois d’emprisonnement pour « publication de fausses nouvelles ». Abdirahman Ali Khalif a été acquitté. Les deux journalistes condamnés ont été remis en liberté le 2 juillet à la faveur d’une grâce présidentielle.

Le 23 mai également, la cour d’appel régionale de Maroodi Jeex a condamné Abdimalik Muse Oldon, journaliste et militant des droits sociaux détenu depuis août 2021, à deux ans d’emprisonnement assortis d’une amende de trois millions de shillings du Somaliland (372 dollars des États-Unis). Il était accusé de « diffusion de fausses informations et propagande contre le pays » et de « diffamation ». Il a été libéré le 22 décembre, au terme de sa peine.

Le 11 août, avant les manifestations programmées par des responsables politiques de l’opposition dans tout le Somaliland, les autorités ont semble-t-il ordonné aux prestataires de services de télécommunication de couper Internet. La coupure a duré neuf heures et a nui à la capacité des journalistes et des autres personnes de communiquer librement et de rendre compte des manifestations.

Liberté de réunion

Le 11 août, les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive contre des manifestant·e·s qui protestaient contre le report de l’élection présidentielle dans les villes de Hargeisa, Burao et Erigavo. D’après le Centre des droits humains (HRC), une organisation locale, les forces de sécurité ont tué au moins cinq personnes et en ont blessé des dizaines d’autres, et la police a arrêté plus de 200 manifestant·e·s, dont des journalistes et des personnalités politiques de l’opposition. Les conclusions d’une enquête sur les événements du 11 août menée par le Comité permanent d’éthique de la Chambre des représentant·e·s du Somaliland ont été rendues publiques en septembre. Le Comité a conclu que les forces de sécurité avaient eu recours à une force excessive contre les manifestant·e·s mais, à la fin de l’année, nul n’avait été arrêté ni traduit en justice pour les actes illégaux commis contre les personnes qui manifestaient.


  1. « Somalie. Al Shabaab doit cesser immédiatement ses attaques contre la population civile », 31 octobre